HistoireMoyen âge

Zaïnab Tanfzawit, Une grande figure amazighe du XIe siècle

L’une des plus grandes figures féminines du XIe siècle au Maghreb était sans doute l’étonnante Zainab, originaire de la tribu de Nefzawa. Elle avait joué un grand rôle dans l’histoire du Maghreb médiéval, grâce à sa large connaissance des affaires politiques.

Après avoir été mariée à plusieurs hommes de pouvoir, Zainab devient, en 1071, non seulement l’épouse, mais également la conseillère perspicace du maître des Almoravides, Yusuf Ibn Tachfine. Elle l’a considérablement aidé, voire poussé à conquérir la majeure partie du Maghreb et de l’Espagne.

Ainsi, la fondation de cet immense empire allant de l’Atlantique jusqu’au-delà d’Alger, et du Sénégal jusqu’à l’Espagne musulmane, peut être attribuée au génie de Yusuf, mais aussi et surtout aux conseils judicieux et à l’extrême habilité politique de sa femme Zainab. Car en effet, et selon la plupart des sources, notamment les descriptions données par Ibn Idari, El Bakri, et Ibn Khaldoun, Zainab était une femme très belle, énergique, dotée d’une intelligence peu commune, et d’une large connaissance des affaires politiques au point qu’on l’appelait «la magicienne». En fait, avant d’épouser Yusuf b. Tachfine, elle avait déjà partagé la vie du chef de l’Ourika, Yusuf Ibn Ouatas, dont elle avait était la concubine. Ensuite elle avait épousé le prince d’Aghmat, Laghout. Devenue veuve, elle s’est remariée avec Abu Bakr b. Umar, le cousin de Yusuf b. Tachfine, et le premier chef almoravide.

Toutes ces années partagées avec des hommes de pouvoir l’ont enrichie de beaucoup d’expériences, surtout sur le plan politique, car elle réglait la plupart des affaires conjointement avec ses ex-époux successifs. C’est donc grâce à ses qualités et à ses expériences qu’elle était devenue le grand guide de son quatrième mari, Yusuf b. Tachfine, novice en matière de politique.

Quelle était donc l’origine de cette femme si fascinante et si ambitieuse ? On a très peu de renseignements concernant son passé. On sait tout juste qu’elle était la fille d’Ishaq El Houari, et qu’elle venait vraisemblablement de Kairouan, originaire de la tribu de Nefzawa, une fraction de la grande tribu zénète située dans l’Ifriquiya méridionale.

En fait, outre les Masmouda, qui représentaient le plus ancien groupe amazigh du Maghreb, une autre branche était constituée par les Sanhadja. Ces derniers comportent les Sanhadja du nord-est rassemblés par les Zirides, et les Sanhadja du sud-est, fondateurs de l’empire Almoravide.

Par ailleurs, un troisième groupe se distinguait de plus en plus par sa pression dans le Maghreb, il s’agit de celui des Zanata, composé de plusieurs tribus, dont entre autres, celle des Maghrawa, des Banu Ifren, et des Nefzawa.

Au début, Zainab s’installa d’abord à Aghmat, située au débouché du nord de l’Atlas, et qui fut une ancienne dépendance de Masmouda. Mais les Maghrawa (Imgharen) avaient écrasé cette dernière et se sont emparés d’Aghmat et c’est ainsi que leur chef Yusuf Ibn Ouatas la domina en devenant Cheikh de l’Ourika, et prit Zainab pour concubine. Mais peu de temps après, ces Maghrawa avaient été envahis par les Banu Ifren, et l’Ourika tomba sous leurs mains. Aghmat ne tarda pas à tomber à son tour, leur prince Laghout épousa légalement la belle Zainab.

Néanmoins, elle ne tarda pas à perdre son second compagnon. Les Almoravides, venant du Sud saharien pour faire leur conquête vers le nord, avaient envahi en 1056 les régions de Sous, de Massa à Taroudant avant de s’emparer d’Aghmat. Son prince Laghout, forcé par le chef Almoravide, Abu Bakr b. Umar, la quitta pour se réfugier à Tadla, mais cette dernière finit aussi par succomber, et Laghout fut tué dans le combat.

C’est ainsi que Zainab devint la veuve héritière d’Aghmat et de ses richesses. Selon Ibn Idari, elle reçut de multiples demandes en mariage, surtout de plusieurs princes de Masmouda. Mais elle refusa toutes ces demandes, en affirmant qu’elle n’épouserait que celui qui serait capable d’unifier tout le Maghreb. Peu de temps après, elle épousa le maître des Almoravides, Abu Bakr. Mais encore une fois, et sous la contrainte, cette union ne dura pas longtemps. Car en effet, Abu Bakr avait reçu de mauvaises nouvelles parvenant du Sahara, où avait éclaté un grave conflit au sein de Sanhadja, entre les tribus de Lemtouna et de Messoufa. Ce conflit était devenu tellement alarmant qu’il avait obligé Abu Bakr à se rendre sur place pour le régler, d’autant plus qu’il menaçait l’intégrité de son pouvoir, car c’étaient ces tribus sahariennes qui avaient constitué les bases mêmes de la domination Almoravide.

Mais sachant qu’il ne pouvait pas se rendre au Sahara en abandonnant les terres conquises, ainsi que les luttes acharnées contre les Zénètes d’une part, et les Barghwata d’autre part, il décida alors de déléguer ses pouvoirs à un lieutenant pendant son absence, et choisit son cousin Yusuf b. Tachfine pour cette mission. Ainsi, avant de quitter Aghmat, devenue la capitale de son pouvoir, il confia à Yusuf la moitié de son armée, et commanda l’autre moitié vers le sud. Et craignant le pire une fois parti, il préféra libérer des liens du mariage Zainab qui avait été, selon la plupart des sources, l’instigatrice de ce divorce. L’attitude de Zainab était révélatrice de son importance et de sa forte personnalité dans l’univers du rudes Sanhadjiens. Abu Bakr lui conseilla de se remarier provisoirement avec Yusuf b. Tachfine, à qui il dit avant son départ « Marie-toi avec elle, c’est une femme de génie ».

Trois mois plus tard, en mai 1071 et après la fin de la période de retraite légale ordonnée par le Coran, Yusuf se maria avec Zainab, cette ambitieuse qui allait l’aider à combler ses volontés expansionnistes vers le nord du Maghreb.

Ainsi, Yusuf b. Tachfine ne disposant pas d’une forte armée pour continuer les conquêtes de son cousin, Zainab lui fit don de toute sa fortune pour l’équipement et l’organisation de ses troupes.

Il termina d’abord l’oeuvre d’Abu Bakr en fondant la ville de Marrakech, qui devint la capitale de son pouvoir ascendant. Il semblerait que Zainab ait été l’instigatrice du choix de son emplacement, vu que cette nouvelle capitale était située pas loin d’Aghmat où elle avait vécu.

La puissance de Yusuf avait pris une grande ampleur, ce qui inquiéta Abu Bakr, celui-ci annonça alors à son cousin son prochain retour, certainement dans l’espoir de reprendre son pouvoir et sa femme. Mais Yusuf n’entendait pas lui céder sa puissance acquise et le prestige de son pouvoir, et encore moins Zainab qui ne se réjouissait d’ailleurs pas à l’idée de redevenir l’épouse d’Abu Bakr. C’est ainsi qu’elle intervint en conseillant à Yusuf d’accueillir Abu Bakr froidement, en alignant devant lui sa rude armée, tout en le couvrant de riches présents qui représentaient un luxe pour le saharien. Ébloui par tant de richesses, Abu Bakr en demanda la raison à Yusuf, celui-ci lui répondit « C’est pour que tu ne manques de rien au désert où t’attendent de nouveaux exploits ». Abu Bakr avait compris le sens de ce message, il avait jugé, en voyant le nombre des soldats de Yusuf, qu’il serait plus prudent d’accepter ses cadeaux. Et après un court séjour à Aghmat, il rédigea le document de cession de pouvoir en présence de deux notaires. Ensuite, il repartit définitivement vers le sud, où il continua son prosélytisme en Afrique noire jusqu’à sa mort, survenue en 1087 à Tagant.

Yusuf b. Tachefine devint alors le souverain incontestable du Maghreb, et le maître de l’immense empire après son intervention en Al-Andalus. C’est ainsi que les conseils pertinents de l’ambitieuse Zainab créèrent la première grande dynastie amazighe homogène.

Fatima Moutaoukil

Bibliographie :

Ibn Idari, Kitab bayan al mughrib, T.4
Ismat Abd al Latif Bandach, Nouvelles lumières sur l’histoire des Almoravides, Dar Al Gharb Al Islami, Beyrout, 1991
Vincent Lagardère, Les Almoravides jusqu’au règne de Yusuf b. Tachfine, Bordeaux 1976
Gabriel Camps, L’Afrique du Nord au féminin, Perrin 1992.
A. Benachenchou, La dynastie almoravide et son art, SNED, Alger, 1974

Bassem ABDI

Passionné d'histoire, j'ai lancé en 2013 Asadlis Amazigh, une bibliothèque numérique dédiée à l'histoire et à la culture amazighe ( www.asadlis-amazigh.com). En 2015, j'ai co-fondé le portail culturel Chaoui, Inumiden.

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