Yamina Mechakra ou la quête perpétuelle de l’identité
Il y a quatre ans nous quittait Yamina Mechakra , une grande figure de la littérature algérienne . Auteur de « La grotte éclatée » paru en 1979 et « Arris » en 1999, elle fut l’une des auteurs qui a ont marqué la scène littéraire algérienne malgré la brièveté de son passage.
Yamina Mechakra est née le 17 juin 1949 à Meskiana, sa famille est originaire du douar Mechtab à 5 kilomètres de Meskiana. Sa famille appartient à la tribu d’Aith Sidi Athmane, du nom d’un saint dont le mausolée est encore vénéré aujourd’hui. Une autre piste généalogique rattache la famille à la tribu d’Aïth Ali Ou Yahia, fraction de la grande tribu d’Aith Harkath (les Hrakacta)
Elle grandit au milieu de huit sœurs et quatre frères, son père est souvent absent. Emprisonné plusieurs fois par les autorités coloniales dès 1952, il sera finalement déporté au camp d’internement administratif de Djorf à M’sila. Au milieu de ces horreurs de la guerre, la petite Yamina se refugie dans l’écriture et tient en cachette un petit journal, mais elle sera bientôt rattrapée par ces évènements tragiques. Un jour de 1958, elle assiste de son grenier de la maison à une scène qui la marquera à vie : un camion de l’armée française s’arrête, et des soldats en descendent. Ils enlèvent la bâche arrière du véhicule et déversent leur cargaison : des corps déchiquetés de maquisards.
La petite Yamina a vu des intestins, des poumons, des têtes fracassées, des jambes coupées. Elle consigne cette vision dans son journal. “De ce jour-là, je n’ai plus mangé de viande”, confie-t-elle. Dans “La grotte éclatée”, elle reproduit presque la même scène et des corps de combattants déchiquetés lors du bombardement de la grotte.
A l’indépendance, elle est pensionnaire au collège Chanzy sur le Coudiat à Constantine, ensuite au lycée El Houria où elle poursuivit ses études jusqu’au terminale en 1969. Elle y décroche son baccalauréat de sciences expérimentales avec mention “assez bien”. Elle étudie un an de médecine à Constantine et ensuite part à Alger poursuivre ses études. Yamina Mechakra trouve un poste de surveillante au lycée Hassiba Ben Bouali de Kouba dont la directrice est son ancienne proviseur du lycée El Houria de Constantine, avec l’aide de cette dernière elle peut trouver une chambre au pensionnat de jeunes filles dans le Vieux Kouba, établissement géré par les sœurs blanches. C’est dans ce pensionnat qu’elle entame l’écriture de “La grotte éclatée”.
Don précoce pour l’écriture
Si elle n’avait édité que deux romans, Yamina Mechakra n’a jamais cessé d’écrire et ce, depuis sa tendre enfance lorsqu’elle décida de tenir un cahier-journal. En 1986, vingt pages de ce cahier-journal ont été publiés par El Moudjahid. Et c’est à l’âge de douze ans qu’elle écrit son premier roman “Le fils de qui ?”. Avant cela, la petite Yamina avait écrit une lettre à Léopold Sédar Senghor pour ” le supplier de venir l’aider dans sa scolarité”. Le poète sénégalais lui répond quelque temps après.
Yamina Mechakra avait également écrit un roman de 400 pages “La bourgeoise constantinoise” dont elle a perdu le manuscrit. En 1990, elle écrit une dizaine de contes pour le journal El Moudjahid : “L’histoire de la petite Marguerite”, “Le vent des cimes”, “Le vent de la ville”, etc. En 1999 paraitra son dernier livre “Arris”.
La rencontre avec “l’ancêtre”
“J’ai commencé à écrire “La grotte éclatée”, raconte-t-elle au journaliste Rachid Mokhtari en 1999″. “J’avais des amis de Souk Ahras qui recevaient la visite de leurs frères au parloir du pensionnat. Quand j’ai rencontré Chakib Hamada, qui était venu rendre visite à sa sœur au pensionnat de Kouba, et Gueria Mustapha, je leur ai montré le texte manuscrit au parloir. Ils m’avaient dit et je m’en souviens très bien : “Il n’y en a qu’un qui peut vous comprendre, c’est Kateb Yacine”. C’étais la première fois que j’entendais parler de Kateb Yacine, mais c’est comme ça que je l’ai rencontré … quelque jours après, ils sont venus me chercher dans le parloir, j’avais le manuscrit de “La grotte éclatée” et je l’ai montré à Kateb. Il a pris un stylo et a mis en marge quelques petites corrections. Il lisait et on aurait dit qu’il était de marbre. “Dans un mois, je viendrai vous voir”. Quelques mois après, elle revoit Kateb Yacine, qu’elle appelle désormais “l’ancêtre”, en dehors du pensionnat. “Il m’a prêté, raconte-t-elle, une machine à écrire toute blanche en me disant : “Mets-toi à l’écriture. Tu me la rendras quand tu auras fini !” C’est sur cette machine que j’ai saisi moi-même “La grotte éclatée””.
Pour écrire la célèbre préface de “La grotte éclatée” “Les enfants de la Kahina”, Kateb Yacine va enregistrer Yamina Mechakra pendant des heures où elle parlera de son enfance, de ses souvenirs, et de sa conception de la vie.
La quête obsédée de la langue
Dès son premier roman “Le fils de qui ?”, écrit à douze ans, la recherche de l’identité chez Yamina Mechakra est déjà présente. Puissamment. Pour Yamina Mechakra, cette quête perpétuelle de l’identité et de la langue est légitime. “Vous êtes née berbère et quand vous allez au lycée, on tente de vous déformer, de vous couper de vos propres racines […] je suis persuadée qu’un jour je me mettrai à parler ma langue maternelle sans m’en rendre compte comme un poussin qui pousse un cri. Instinctivement, je vais me mettre à parler mon berbère, ça je le sais. Un beau jour, vous m’entendrez parler ma langue maternelle, tamazight, sans aucune erreur”, confie-t-elle à Rachid Mokhtari .
Dans son roman “Arris”, largement inspiré de son expérience de psychiatre, elle dit à propos du héros : “Il est en quête perpétuelle de sa langue, celle qui est restée dans sa tête… bébé, enfant, il la parlait. Quand il est parti, il parlait la langue de sa mère. Et, dans son exil, il ne l’a trouvée dans aucun port. Partout où il va, il tend l’oreille pour savoir si on parle sa langue maternelle ou pas. Jusqu’au jour où il retrouve le chemin de son pays, là où on parle sa langue maternelle : “la langue de sa mère !”, s’est-il exclamé ! Pas la langue du père, la langue de la mère !”.
Après avoir sillonné tous les hôpitaux de l’Algérie profonde comme psychiatre, Yamina Mechakra est mise en invalidité médicale et de fait à la retraite en 2010. Elle s’éteindra à Alger le 19 mai 2013. Elle est considérée aujourd’hui comme un auteur majeur de la littérature algérienne et maghrébine.
Jugurtha Hanachi
Bibiographie :
“Yamina Mechakra, entretiens et lectures”, par Rachid Mokhtari, Chihab Edition.