Yamina Mechakra « la calèche verte de ma grand-mère »
Mon grand père a été marié à une femme berbère rousse, aux yeux d’un bleu vif, descendant d’une illustre famille, et dont le propre grand père a tué le représentant d’un Bey de la régence turque d’Alger .
La tradition orale en donne une version : les Trucs, dans la région exagéraient sur les impôts devenu trop lourds et insupportables pour la population autochtones. Or, nous étions une tribu fondamentalement révoltée, réfractaire à toute forme d’occupation étrangère et qui, de ce fait, payait le minimum d’impôts aux Turcs. Nous ne les aimions pas. Un jour soixante dix cavaliers berbères de notre tribu allèrent à Constantine pour négocier la perception de la dîme. Ils furent massacrés par les turcs. Mes ancêtres femmes furent les seules survivantes.
Mon arrière-grand-père, le père de ma grand-mère qu’on appelait « Rouag » , le rouquin , prépara la vengeance . il se devait de réparer l’honneur de la tribu. toutes les femmes s’étaient alors habillées de noir et faisaient le tambour de guerre. C’était « le cri de la vengeance ». Mon arrière-grand-père est parti, a tué un représentant du Bey puis il est revenu. Par la suite, il a cherché un endroit où s’installer .Il a découvert une villa romaine qu’il a restaurée. Il a préservé le puis, les abreuvoirs à lapin, des chevaux, la meule pour la récolte des olives et ainsi, sauvé la maison et son séjour. Aujourd’hui, il n’en reste que quelques pierres insignifiantes. Il recevait dans ce décor fastueux ses amis en grand seigneur latin .
Je me souviens d’un jour quand j’étais enfant durant la guerre , nous attendions , mon frère et moi , le bus qui venait de Tébessa afin d’accueillir notre père qui avait été emprisonné dans le camp de concentration d’El Djorf , à M’sila , et libéré à la mort de ma grand-mère vers 1959 ou 1960 . Nous avons vu descendre du bus un vieillard tenant à la main une valise qui cherchait ses enfants. C’est mon grand frère qui l’a reconnu à sa valise. C’était notre père, emmené les cheveux noirs, libéré les cheveux blancs. A la maison, il s’est assis sur une chaise, m’a prise sur ses genoux et m’a embrassée.
Mon père était le dernier fils de ma grand-mère. Ô combien j’aime évoquer la calèche verte de ma grand-mère ! Elle avait effectivement une calèche verte car elle refusait de monter dans une voiture. Elle la prenait toujours , au grand étonnement des habitants , pour aller en ville d’où elle rapportait toujours un poulet , toute contente . Il y avait aussi, invariablement , un coq qui suivait la calèche . Nous , les enfants , aurions préféré un mouton pour nous fournir de la viande . Elle a une histoire la calèche verte de grand-mère ! Aujourd’hui, tout cela n’existe plus . Ces allées de verdure, de fruit ; le jardin est presque parti, la maison est devenue un gourbi. Tout cela remonte à l’époque de ce grand-père qui s’était investi dans une maison latine où il vivait à la romaine.
Yamina Mechakra
Cet extrait est un entretien donné par Yamina Mechakra à Rachid Mokhtari en 1999. L’intégralité de l’entretien est sorti en 2015 aux édition Chihab sous le titre « Yamina Mechakra , entretiens et lectures »