Toute la priorité aujourd’hui est à la sauvegarde des variétés amazighes
Abderrezak Dourari, professeur des sciences du langage et directeur du centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de tamazight était l’invité, ce jeudi, de l’université Hadj Lakhdar de Batna où il a animé une conférence à la faculté des langues, lettres et arts.
Invité par le rectorat, le directeur du CNPLET est venu, semble-il, pour éclairer et expliquer à la communauté universitaire auressienne les derniers développements qu’a connus la question amazighe et surtout les grands chantiers qui attendent la future académie chargée de la promotion et l’officialisation effective de cette langue.
D’emblée, Mr Dourari a salué les dernières décisions du gouvernement quant à la consécration de “Yennayer” comme fête nationale ainsi que la création imminente d’une académie de la langue amazighe.
Ces décisions courageuses sont à capitaliser parce qu’elles ouvrent une nouvelle ère à un peuple pour qu’il puisse vivre en harmonie avec sa réalité sociolinguistique. Une réalité faite d’un plurilinguisme et d’une diversité culturelle qu’il convient plutôt de valoriser et non pas de diaboliser sous prétexte qu’elle mettrait en péril l’unité du pays. « Plusieurs pays de par le monde, argumente-t-il, tels que la Suisse, la Belgique et le Canada, vivent un plurilinguisme apaisé »
Soutenir alors que la diversité linguistique pourrait porter atteinte à la cohésion de la nation n’est qu’une affabulation de ceux qui s’accrochent à l’unicité de la pensée et qui refusent d’entrer de plain-pied dans le troisième millénaire. Toutefois, le conférencier reconnait que la tâche ne sera guère de tout repos notamment dans les pays du tiers-monde. Les représentations sociales construites autour du plurilinguisme dans ces pays sont souvent négatives. En Algérie, l’unicité de la pensée a donné lieu à une politique qui exclut toute diversité culturelle ou linguistique. Cela n’est pas sans conséquences néfastes sur les représentations des Algériens qui refusent l’altérité, préférant ainsi se complaire, dit-il, dans une sorte de « fanatisme linguistique ». Il faut donc beaucoup d’effort et de temps pour faire évoluer ces représentations, et le rôle de certains secteurs comme celui de la culture, estime-t-il, est primordial à ce sujet.
Quant aux questions de la graphie et de la normalisation de la langue amazighe qui suscitent présentement beaucoup de débat, le directeur de CNPLET réitère ses opinions, estimant que le choix de l’alphabet n’est pas fondamental. « La priorité aujourd’hui, dit-il, est plutôt de recueillir les différents corpus en vue de sauvegarder le trésor linguistique » Il s’agit là d’une première étape avant de procéder, ajoute-t-il, « à la normalisation des différentes variétés linguistiques. »
En scientifique dépassionné, Mr Dourari semble ne pas être emballé par l’idée d’une normalisation débouchant sur un tamazight commun qui n’existe pas, selon lui, dans la réalité. Reste qu’il ne s’agit là que de son point de vue puisque, précise-t-il, « il appartient aux futurs membres de l’académie de trancher ce genre de questions ».
Interrogé sur le problème de la terminologie scientifique et des procédés pour la création des néologismes, le conférencier estime que ce genre de lexique qui fait défaut à tamazight – parce que cette langue était, des siècles durant, essentiellement orale – est très particulier puisqu’il n’est pas régi par l’arbitraire du signe. Il convient, dès lors, de procéder d’abord par une normalisation des variétés linguistiques avant de se lancer dans la création de la néologie.
Répondant à autre question sur la durée de l’entreprise pour faire de tamazight une langue de science et d’enseignement, l’orateur avoue ne pas pouvoir donner une date précise pour réaliser cet objectif. « Ça prendra ce que ça prendra. L’essentiel est de travailler dans la sérénité, en évitant d’agir dans la précipitation pour ne pas rééditer les expériences malheureuses de certaines politiques linguistiques », conclut-il.
Salim Guettouchi