Tamazight langue officielle : piège ou légitime avancée ?
La révision constitutionnelle institutionnalisant la langue tamazight langue nationale et officielle a été votée à l’unanimité en 2016.
L’avènement de cette décision dans une période relativement calme (absence de pression populaire), la contradiction majeure contenue dans le préambule de cette même constitution (« l’Algérie… pays arabe, méditerranéen et africain »), le statut de langue pas tout à fait officielle et qui peut être révisable dans une future révision constitutionnelle, et l’absence d’actions concrètes de sa mise en application dans les faits depuis 2016, soulèvent des doutes légitimes quant à la sincérité du pouvoir politique qui a ‘’octroyé’’ cette faveur pour la nation.
Mis à part l’écriture en tamazight sur les frontons de quelques administrations et édifices publics, il n’y a rien de nouveau à l’horizon.
L’hypothèse la plus largement partagée (1) concernant cette concession venant de la part d’un système politique né et évoluant toujours dans la nébuleuse idéologique arabo-islamique des années fastes du nationalisme arabe, pourrait être résumée ainsi : c’est une stratégie de planification de la mort linguistique de tamazight, langue et culture nord-africaine et méditerranéenne, par la domestication des symboles historiques et culturels et la neutralisation des élites pour les fondre dans le moule de l’arabo-islamisme.
Cette stratégie serait étrangement commune au Maroc et à l’Algérie En bref, une forme d’OPA sur l’Afrique du Nord, pourtant issue d’une histoire multimillénaire, afin d’écrire ‘’la fin de l’Histoire et du dernier… amazighophone’’. Démarche pas très éloignée de celle de Georges Armstrong Custer (2) ; seuls les moyens utilisés pouvant être différents.
L’immobilisme actuel concernant la mise en place des étapes nécessaires pour l’intégration de la langue tamazight dans les rouages du fonctionnement de l’État (administration, monnaie, diplomatie, …) et les blocages et manipulations concernant le nombre d’élèves et la qualité de l’enseignement de tamazight, contribuent sûrement à accréditer l’hypothèse exposée ci-dessus.
La société algérienne, et les amazighophones en premiers car les plus concernés dans un premier temps, n’attendent pas grand chose de l’État sur ce sujet. Les arabophones, ou plus exactement les darjophones, aussi Amazighs que les autres, ne sont pas opposés au développement de la langue tamazight dans leur pays, excepté une minorité d’islamo-baâthistes, qui est dans son projet totalitaire pour la disparition de toutes les autres langues du monde autres que l’arabe.
Alors, plutôt que de spéculer sur la sincérité ou les calculs obscurs qui ont mené à cette officialisation de la langue tamazight, le mieux est de s’en tenir aux faits :
La langue tamazight est langue nationale et officielle dans notre pays.
Des dizaines de milliers d’élèves, sur presque tout le territoire national, suivent des enseignements de tamazight. L’important maintenant est d’élaborer un enseignement de qualité autre que ce qui est appliqué jusque-là depuis 1962 pour la langue arabe. C’est la mission noble des pédagogues et enseignants.
Des milliers d’étudiants en tamazight dans plusieurs universités du pays pour la formation des cadres. L’université de Batna croule sous le nombre de demandes d’inscriptions.
Des dizaines (ou centaines) d’étudiants à l’étranger qui préparent des doctorats dans les différents domaines amazighs.
Des milliers d’associations dans le pays qui œuvrent dans la création, l’animation et la promotion de la culture amazighe et la citoyenneté.
Cet immense mouvement, les stratèges de la manipulation ou de la ‘’programmation de notre mort linguistique’’ ne peuvent l’endiguer. En d’autres temps cela s’appellerait génocide et/ou de l’ethnocide, selon les moyens utilisés.
L’installation prochaine de l’académie nationale de la langue tamazight doit être vue comme une pierre de plus dans l’édification du projet national algérien dans une Afrique du Nord réconciliées avec son identité et son histoire. Son rôle premier est bien évidemment la nécessaire normalisation de la langue et la convergence vitale des créations néologiques avec les autres régions d’Afrique du Nord (Maroc, Tunisie, Libye, …).
Cet énorme potentiel de compétences en formation doit être mis au service de la nation, en complémentarité avec une dynamique de la société autonome par rapport au pouvoir politique.
D’autres pays comme le nôtre, qui avaient des langues minorisées, ont fait leur expérience, et les actions principales sont connues ; elles concernent d’abord chaque citoyen : utiliser la langue tamazight dans sa vie quotidienne partout, en ville, dans les transports, au marché, à l’usine ou le chantier, dans l’administration ; organiser où c’est possible des écoles maternelles en tamazight ; créer des journaux et des lieux de débats et créations littéraires ; amener les opérateurs économiques vers un mécénat utile pour l’équipement de bibliothèques, la subvention des éditeurs indépendants, l’animation culturelle, etc.
Aujourd’hui, beaucoup sont révoltés par le faible taux de scolarisation des élèves en langue tamazight, qui serait en Algérie et au Maroc entre 3 % et 5 %. Il serait préférable, à notre avis, de s’inquiéter d’abord de la qualité de cet enseignement à déployer au plus tôt sur tout le territoire national.
Il y a un siècle, un homme seul au début, pas linguiste du tout, a rendu à la vie une langue non parlée depuis plus de 3000 ans. Il avait commencé l’enseignement de l’hébreu moderne à Jérusalem avec un seul élève : son fils. C’était Elieser Ben Yehuda (3).
Aumer U Lamara, écrivain
Notes :
(1) Voir par exemple la conférence du professeur Salem Chaker du 01/12/2018, à l’association Tamazgha, Paris 14eme.
(2) Georges Armstrong Custer (1839 – 1876) : général de cavalerie américain… il est l’une des principales figures américaines des guerres indiennes du XIXe siècle. Il est tué lors de la bataille de Little Bighorn durant laquelle ses troupes sont écrasées par une coalition de tribus indiennes.
(3) Eliezer Ben Yehuda (1858 – 1922) : la renaissance de l’hébreu, langue morte depuis plus de 3000 ans, pour devenir une langue vivante parlée, est due à cet homme visionnaire, d’origine de Lituanie-Biélorussie, qui a entrepris l’œuvre colossale de redonner vie à la langue de ses ancêtres qui n’était alors utilisée que comme langue écrite des textes religieux. Pour lui, la nation et la langue sont intimement liées, et ne peuvent renaître que solidairement. En 1879 il rédigea un appel au peuple juif de la diaspora pour exposer son projet (publié par un mensuel juif à Vienne, en Autriche).
Pour mettre en application son projet, il émigre en Palestine en 1881 et « son action s’exercera dans cinq directions précises : l’adoption de l’hébreu comme langue familiale, le journalisme, l’enseignement, le dictionnaire, le Comité de la langue ». Il fonda la première famille hébréophone du monde moderne et lance des appels à la population locale et à la diaspora pour encourager chacun à parler l’hébreu en famille. Pour réaliser le dictionnaire, il ratissa les bibliothèques de Jérusalem et celles d’un grand nombre de villes du monde, consultant des milliers d’ouvrages au total. En 1904 il crée le Comité de la langue, œuvre collective pour la normalisation, mobilisant les maîtres des premières écoles hébraïques et la population. Ce comité est reconnu en 1912 comme autorité supérieure en matière de langue hébraïque moderne.
L’histoire du monde va accélérer le mouvement de renaissance de cette langue. La Palestine était alors sous administration britannique, la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 informait le monde de la faveur avec laquelle le gouvernement britannique envisageait « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple Juif ». L’hébreu était, le 31 août 1918, déclaré langue officielle de la Palestine, au même titre que l’arabe et l’anglais. Le rêve de Ben Yehuda était devenu une réalité.
Le Comité de la langue, légitime aux yeux de la population juive, est érigé plus tard en académie de la langue hébraïque. (source : ‘’Halte à la mort des langues’’, C. Hagège, édition Odile Jacob, 2002.