Tamazight : la dernière bataille des arabo-islamo-baathistes ?
L’officialisation de la langue tamazight en Algérie en février 2016 soulève plus d’inquiétudes que de satisfactions d’une réconciliation heureuse du pays avec son identité, son histoire multi millénaire, et comme conséquence ultime sa réappropriation par les jeunes générations pour affronter les défis futurs.
Les conditions de son officialisation, la formulation des articles de cette constitution ainsi que les limites et conditions posées pour rendre effective cette officialisation dans tous les organismes de l’administration de l’État et dans la société, laissent planer un doute certain sur les intentions de ceux qui ont élaboré cette constitution et du pouvoir qui l’a commanditée.
Il y a une inquiétude réelle dans le pays sur le sérieux de cette officialisation. La question que beaucoup se posent pourrait être formulée ainsi : “Comment un système politique autoritaire installé depuis 1962, basé sur une idéologie arabo-islamique négatrice de la réalité historique, linguistique et culturelle du pays, peut-il remettre en question son inféodation à cette idéologie et sa vassalisation aux sultanats et émirats-orientaux ?”.
De notre point de vue, le “système arabo-islamo-baathiste” n’a pas évolué d’un pouce et n’a fait aucune concession. Dans cette constitution :”L’Algérie est un pays arabe”, “l’arabe est la langue officielle de l’Etat”. Quant à la langue tamazight, elle est rejetée dans les ténèbres des “calendes berbères” !
Le système algérien vient ainsi de mettre à jour la doctrine de l’apartheid, dans lequel “tous les hommes sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres”(*).
Génocide linguistique.
Le doute jeté sur la sincérité de cette officialisation de tamazight en 2016 n’est pas sans fondement. Il y eu un précédent qui a impacté des millions de jeunes Algériens depuis le lancement de l’arabisation en 1965. L’expression communément usitée en Algérie de “catastrophe de l’arabisation” ou de “catastrophe nationale” n’est pas exagérée.
L’objectif politique de l’arabisation était défini par Ahmed Ben Bella, puis par le Conseil de le révolution de Houari Boumédiène pour fabriquer “l’Algérien nouveau”, arabe et musulman. Dès lors, la stratégie d’arabisation adoptée s’était inscrite totalement dans cette perspective.
Les linguistes le savent mieux que nous, que la méthode utilisée pour l’enseignement de l’arabe en première année dès 1965, est définie comme une méthode “structuraliste et pavlovienne”. Elle avait pour objectif une “mutation linguistique” : casser le potentiel linguistique acquis par les enfants de 6 ans dans leur langue maternelle (tamazight ou dardja), les culpabiliser et les amener à s’exprimer en … arabe classique.
La méthode d’enseignement adoptée (“Malik et Zina”) est une adaptation d’une méthode utilisée en France dans les années 1960 pour l’alphabétisation des enfants de migrants et des débiles mentaux légers. C’était à l’origine une méthode, dite de “pédagogie compensatoire”, qui a été développée dans les année 1940 au États-Unis pour enseigner aux noirs afro-américains des ghettos les rudiments de langue anglaise afin de pouvoir comprendre les ordres et d’en faire de bons exécutants dans les usines et les emplois subalternes.
Les dégâts faits par cette méthode en Algérie depuis 50 ans n’ont pas fini d’être évalués. Mme Boudalia Greffou (psycholinguiste) l’exprime sans détours : “En s’attaquant au dialecte de l’enfant, c’est à ce capital linguistique que l’école algérienne s’est attaquée… l’introduction de la méthode structuraliste et pavlovienne est un coup porté à notre patrimoine”(**).
Les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Les différents ministres algériens de l’Education nationale depuis 1965, les cadres supérieurs du ministère de l’Education nationale impliqués, les cadres de l’IPN (Institut Pédagogique National ) qui ont élaboré les documents pédagogiques doivent répondre de leur politique et de leur responsabilité dans cette catastrophe.
Pour ce faire, tous les Algériens et Algériennes qui ont été scolarisés à partir de 1965 et qui ont subi cette méthode de déculturation devraient traduire en justice les responsables de ce génocide linguistique.
Cette méthode “structuraliste pavlovienne” a cassé la dynamique de développement des langues populaires algériennes (tamazight et dardja) et produit des formes de créoles dans les réflexes de résistance. Après 50 ans d’entêtement, aucun Algérien ne s’exprime naturellement en arabe classique. Cette langue est restée ce qu’elle était, la langue des speakers de télé, des prêches et des textes écrits pour les discours officiels.
Fabriquer une “tamazight classique arabo-islamique”
Ce rappel de la tragédie de l’arabisation confirme notre doute sur la volonté du “système” de favoriser le développement de la langue tamazight et l’épanouissement de la culture algérienne authentique. Des indices précurseurs, faits de déclarations, d’avis de spécialistes, d’inquiétudes de certains, nous permettent de déduire qu’une stratégie d’étouffement de la langue tamazight est en cours.
Les avis exprimés ici et là sur la nécessité de normaliser la langue, de choisir en urgence une graphie (les caractères arabes souvent cités en premiers), ne présagent rien de bon. Pour réaliser ce forfait, certains perçoivent déjà des manœuvres en cours de la part de l’État pour la ”fabrication de spécialistes de la langue tamazight” pour faire le sale boulot.
Sans risque de nous tromper, l’objectif ultime des stratèges est de fabriquer à partir des différents parlers une langue “tamazight classique” que personne ne comprendrait et ne pratiquerait, et d’aboutir à terme à la marginalisation et à la disparition de cette langue. Celle-ci serait la voie royale pour le créole franc-arabe des zouaves de la période coloniale !
Mais le monde a changé. Si entre 1962 et 1965, dans l’euphorie du panarabisme et du nassérisme triomphant, le coup d’État linguistique a été accompli, cela n’est plus possible aujourd’hui. Le peuple uni d’Afrique du Nord, Tamazgha, qu’il soit arabophone ou amazighophone, revendique son identité, s’interroge sur son histoire, pour enfin se projeter dans son espace naturel africain et méditerranéen.
Ainsi, cette bataille programmée aujourd’hui par les arabo-islamo-baathistes, ne serait qu’un combat de mercenaires d’arrière-garde ?
Aumer U Lamara
Note :
(*) Paraphrasant la célèbre phrase de Georges Orwell, “Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que d’autres ”, dans le roman “La ferme des animaux”, édité en 1945. Concept repris aussi par les idéologues de l’apartheid en Afrique du sud.
(**) “L’école algérienne de Ben Badis à Pavlov”, de Malika Boudalia Greffou, éd. Laphomic, Alger.