Samir El Arifi : auteur du premier lexique sur Tachelhith de l’Atlas
Samir El Arifi s’est distingué sur le web et notamment sur les réseaux sociaux, grâce à ses travaux linguistiques et onomastiques, consacrés essentiellement à la région atlassienne (w. de Blida, Médéa, Aïn Defla, Bouira et Boumerdès). Son lexique « Tamazight (Tachelhit) de l’Atlas blidéen », premier du genre, a été exposé au S.I.L.A. – Salon International du Livre d’Alger, il a été édité et mis en vente par l’O.P.U. – Office des Publication Universitaires. C’était l’occasion pour nous de lui poser quelques questions …
Inumiden.com : Bonjour Samir, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Samir El Arifi : Bonjour, je vous remercie de me donner la parole à l’occasion de l’édition du premier lexique sur le dialecte amazigh de la région atlassienne. Je me nomme El Arifi Samir. Ou’Belaïd N’Aït Arif est mon nom tribal et ancestral. Je suis originaire d’Aït Arif chez les Aït Moussa (d. de Bougara, w. de Blida) du côté de mon père et des Aït Saleh du côté de ma mère. Je suis, par ailleurs, lié aux Aït Missera qui sont mes parents par alliance.
Inumiden.com : Votre intérêt pour la culture amazighe et en particulier pour la linguistique, est-il le fruit de votre parcours universitaire/professionnel ? Ou bien cela vient-il dans le cadre d’une démarche personnelle ?
Samir El Arifi : Je n’ai pas de formation particulière dans le domaine de la linguistique, la lexicologie, etc … Ceci ne m’a pas empêché de présenter un travail qui a valu d’être publié grâce à un partenariat entre le H.-C.A. – Haut-Commissariat à l’Amazighité et l’O.P.U.. Ce que je présente aujourd’hui s’inscrit dans une démarche personnelle car je refuse de voir le patrimoine amazigh de la région atlassienne disparaître, amoindri, remplacé ou occulté comme ça a été le cas au cours des dernières décennies. Ce temps est désormais finit. Aujourd’hui, les Atlassiens affirment haut et fort leur amazighité, ils ne s’en cachent pas, ils souhaitent se réapproprier leur histoire qu’on ne leur a jamais enseignée. La région atlassienne a connu de nombreuses batailles durant la colonisation comme celles d’Agouni Nda, d’Isebghane, de Tiberguent, de Bou Handes, de Tniyet Mouzaïa, d’Adrar Izegzawen (Bou Zegza), etc … Les colons de la première heure ont mis de nombreuses années à s’implanter localement grâce à l’union des confédérations atlassiennes qui s’élançaient depuis les contreforts atlassiens pour combattre. On ne parle jamais de ces glorieux combattants, de leur histoire et de leur langue. Rien de cela n’est enseigné. Les nouvelles générations montantes de la région atlassienne ignorent qu’elles ont une histoire merveilleuse, un patrimoine culturel extraordinaire.
Inumiden.com : Comment vous est venue l’idée d’un lexique ?
Samir El Arifi : Il y a eu plusieurs facteurs mais le principal élément déclencheur a été mon D.U. de berbère que j’ai obtenu en 2009 à l’université d’Aix-Marseille. Je suivais des cours de civilisation berbère passionnants dispensés par M. Chaker Salem en plus d’un enseignement basique de taqbaylit donné par sa lectrice. À partir de là, j’ai commencé une recherche minutieuse sur ce qui a été produit au sujet de la région atlassienne notamment sur le dialecte amazigh local. J’ai centralisé autant d’informations que j’ai pu, je les ai retranscrites, vérifiées et enrichies. Ce premier travail allait devenir la base du futur lexique. Depuis, mon travail est axé sur l’enrichissement du lexique grâce à l’exploitation d’enregistrements que je réalise auprès des Atlassiens amazighophones. Aussi, je ne peux parler de mon travail sans citer mon ami M. Mouffok Omar, chercheur en variantes amazighes et traducteur à l’A.P.S. – Algérie Presse Service qui n’a cessé de m’encourager et me conseiller en direction du lexique.
Inumiden.com : Pouvez-vous nous faire un rapide aperçu de cet ouvrage ?
Samir El Arifi : En introduction je tente d’expliquer au lecteur ce que signifie la région atlassienne qui s’étend sur les cinq wilayas que vous avez citées au début. Nombreuses sont les personnes qui, par manque de connaissances, réduisent cette région aux alentours de Blida seulement. Celui qui s’intéresse au patrimoine culturel atlassien se doit d’avoir une vision globale, il doit faire abstraction des limites administratives. Je m’attarde également sur un sujet qui n’a cessé de revenir tout au long de mon travail, celui des dénominations qu’on donne au massif atlassien, à ses plaines, à son dialecte et à ses habitants. La région atlassienne se compose de deux plaines : la Mitidja « Tametticht », « Metticht », … et le Titteri ainsi que d’une partie montagneuse : « Atlas blidéen », « Atlas mitidjéen » ou « Atlas maritime » pour la partie septentrionale et « Atlas médéen » pour sa partie méridionale. La dénomination « Petit Atlas » (Atlas amezgan) est la seule qui semble être englobante. Les Atlassiens sont issus d’une dizaine de confédérations aux origines zénéto-sanhadjiennes. Ils se rattachent encore aujourd’hui à leur confédération, à leur tribu, à leur village ancestral ou à tout ce que je viens de citer à la fois. Ils se nomment d’une manière générale « Idjbayliyen » ou encore « Aït Woudrar ». L’aire dialectale de la région atlassienne est située entre le bloc taqbaylit (Kabylie) et le bloc tachelhit (Dahra). Différentes dénominations existent pour désigner le dialecte atlassien : « tachelhit, hachelhit », « znatiya » (arabisation de taznatit) et « taqbaylit, haqbaylit ». Outre ces dénominations, nous en retrouvons d’autres qui désignent les variantes internes du dialecte atlassien : « tasalhit », « taïchawit », « taqbaylit n Yeghzer Yesser », …
Au vu de la situation critique dans laquelle se trouve notre dialecte, nous n’avons pas d’autre choix que de resserrer les rangs, c’est pour cela que dans la partie « lexique » proprement dit, je m’intéresse aussi bien au dialecte de l’Atlas occidental, central ou oriental. Je rappelle, que le berbérisant Laoust Émile était conscient que le dialecte atlassien est une variante riche, c’est pour cela qu’il avait proposé de donner au dialecte atlassien le nom générique de « Dialectes de l’Atlas de la Métidja »[1].
Inumiden.com : Votre lexique s’est fait connaitre sur le web avant de se faire publier. Racontez-nous comment cela s’est passé.
Samir El Arifi : La première version du lexique date de 2010. Il s’agissait d’un simple fichier contenant une liste de mots et de toponymes atlassiens que je mettais à jours plusieurs fois par mois. Cet enrichissement me rendait joyeux car c’était autant de fenêtres qui allait se fermer qu’on rouvrait. Aujourd’hui encore, à chaque mise à jour je suis heureux de participer à la revivification de mots oubliés ou en voie de disparition. Je crois que sans la présence continuelle du lexique sur le web et sans ces mises à jour, la version papier n’aurait pas pu voir le jour.
Inumiden.com : Avez-vous d’autres ouvrages, si oui, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Samir El Arifi : Au sujet du lexique, je devrais, si Dieu veut, continuer son enrichissement car tout travail effectué reste toujours à parfaire. Il reste beaucoup à faire. En parallèle, je travaille à la confection d’un recueil sur la toponymie de la région atlassienne. Enfin, avec M. Otsmane Mohamed et Mme Boudiaf Sana tous deux Atlassiens et ingénieurs d’État en agronomie, diplômés de l’E.N.S.A. – École Nationale Supérieure d’Agronomie, nous préparons une publication sur la flore atlassienne. Il serait aussi intéressant de s’intéresser de près sur les confédérations atlassiennes. Il y a temps à écrire sur la région atlassienne …
Inumiden.com : Il y a un engouement général pour la culture amazighe ces dernières années, Pourtant, notre culture n’a jamais été autant en danger. Que faut-il faire selon vous pour sauvegarder ce qui reste de notre héritage et créer un véritable centre d’intérêt, surtout auprès des plus jeunes ?
Samir El Arifi : Effectivement, cet engouement est une réalité incontestable aujourd’hui et ce, malgré les invasions successives que notre pays a connues et les tentatives de déculturation en direction du peuple algérien. Dans la région atlassienne, comme ailleurs, la Régence d’Alger avait, autrefois, privé les Atlassiens des terres les plus fertiles. Elle les avait contraints à se replier davantage dans la partie montagneuse. La création des outhanes a été une catastrophe pour les Atlassiens. La colonisation française a créé, dans la région atlassienne, des villages de regroupement ce qui a eu pour effet de détruire en grande partie le tissu sociétal amazigh. Enfin, la décennie noire a forcé les montagnards, dans les années 1990, à fuir leur terre ancestrale, cette terre nourricière qui a nourrit leur ancêtre pendant des siècles. Les Atlassiens n’ont jamais vécu en paix sur de longue période. On dit « chassez le naturel, il revient au galop », voilà que depuis le début des années 2000, malgré les incendies anormaux que subit la région atlassienne chaque année, les enfants du pays retournent à leur terre, ils organisent désormais, annuellement, plusieurs rassemblements culturels multigénérationnelles qui leur permettent de renouer avec les traditions, l’histoire locale, la toponymie, tamazight, … Mais est-ce suffisant ? Je ne le crois pas tant que cet engouement ne sera pas appuyer sans réserve par les autorités locales. Tamazight doit reprendre sa place naturellement dans toute la région atlassienne sans attendre au vu de sa situation critique.
Inumiden.com : Un dernier mot ?
Samir El Arifi : Tant que j’en aurai l’occasion, je remercierai toujours les Atlassiens toute génération confondue qui ont participés à l’enrichissement de ce lexique. Chacun, a une part de responsabilité dans la préservation du patrimoine atlassien (toponymes, lexique, traditions, histoire locale, etc …) : ceux qui peuvent transmettre qu’ils transmettent, ceux qui peuvent écrire qu’ils écrivent, … Il faudrait également se rassembler et discuter.
Interview réalisée par Bassem ABDI
[1] LAOUST Émile, “Étude sur le dialecte berbère du Chenoua comparé avec ceux des Beni-Menacer et des Beni-Salah”, intr. p. I à II, p. 5, Paris, 1914.