Salim Souhali « l’Amazighité doit être au cœur de notre projet de société »
Salim souhali est un artiste aux multiples talents ; musicien, peintre, homme de théâtre, sculpteur, caricaturiste, bédéiste, aucune forme artistique n’a de secret pour lui. Il fut également un défenseur acharné de la culture amazighe dans les Aurès, un engagement qui lui a valu de nombreux démêlés avec les services de sécurités.
L’homme de théâtre
Ce fut avec la musique, l’une des premières passions du jeune Salim Souhali , l’aventure a commencé à la fin des années 1970 , lorsqu’il forma avec des amis , une petite troupe de théâtre à la maison de culture de Batna .
La rencontre avec l’un des fondateurs du théâtre algérien, le regretté Mekki Chebbah fut décisive pour le jeune Salim : « Mekki Chebbah est le père du théâtre Révolutionnaire algérien, il avait osé défier le colonialisme français et ses relaies par l’art. Sa pièce Le Pharaon écrite en 1940 qui dénonçait la voracité du Bachagha Bengana , grand propriétaire terrien et serviteur zélé des français , a failli lui coûter la vie.
« Notre théâtre s’est inscrit dans le sillage de Mekki Chebbah , et Kateb Yacine , c’était un théâtre de gauche , populaire , contestataire , qui prend la défense de la classe ouvrière , des démunis et des marginalisés » nous dit-il . Son premier texte fut intitulé « senslat l’malhoufin » inspirée par une troupe de théâtre constantinoise , le GAC (Groupe de l’action culturelle), suivi de « Khelf dour » , un texte dont l’identité amazighe fut le sujet central , le héro kherbech qui dort une fois sous le mausolée Imadghassen est visité la nuit par une foule de personnages qui lui racontent la véritable l’Histoire de son peuple . Kherbech découvrit alors ses ancêtres que l’histoire officielle s’obstinait à les lui cacher, ils s’appelaient Massinissa, Jugurtha, Dihya .
« À la fin de la présentation une voiture de police m’a emmené au poste. Depuis ce jour, j’avais pris l’habitude de faire le même trajet à la fin de chaque représentation » nous avoue-t-il avec le sourire.
En 1982, il écrit la pièce « Hna houma hna » à laquelle Kateb Yacine assiste. L’idée est que le gouwel (conteur) s’échappe du musée pour faire découvrir ce lieu magique aux gens et les incite à le visiter, la pièce est une apologie de la culture populaire algérienne, un thème cher à Salim Souhali .
D’autre pièce vont suivre, « qafila tassir » (une caravane passe) , « fen ou aâfan » (Art et pourriture) , Malhamet El Awres ( l’épopée de l’Aurès) , Taslith n wenzar (La fiancée de la Pluie), une pièce où pour la premier pièce la mythologie amazighe est abordée dans le théâtre algérien .
Il écrit également une pièce sur le soulèvement de Belharech dans le nord constantinois, un homme qui a combattu Bonaparte en Egypte lorsqu’il revenait de la Mecque, et qui s’est insurgé ensuite contre le bey de Constantine qu’il tua en 1804 . Son premier texte en tachawit fut « Ajamadh n tarjayin » (la rive des rêves). Salim Souhali a réalisé également la musique de nombreuses pièces de théâtre et de feuilletons télévisés.
Aujourd’hui, il est le commissaire du festival du théâtre Amazigh qui se déroule chaque année à Batna.
Salim Souhali le musicien
Nous l’avons interrogé ensuite sur la musique et le chant, sa seconde passion ; «comme tout chaoui j’ai grandi avec les mélodies de la flûte ( aqechbudh) dans la tête nous confie-t-il , pour assouvir ma passion pour la musique j’ai bricolé une guitare avec des files de frein et une boite de conserve ».
Quelques années après, il décide d’entrer à l’Institut national supérieur de musique à Alger ; « je étais frappé par l’absence du folklore algérien , il y avait deux programmes : la musique classique occidentale ( Chopin , Mozart , Vivaldi etc.) , et la musique Andalouse( Malouf, Hawzi etc.) , mais pas de folklore Tergui ,Chaoui , Kabyle » nous raconte-il .
La première chose qu’il a faite lorsqu’il retourna à Batna fut la création du groupe Thaziri : «Nos débuts furent vraiment très difficiles, dès qu’on a commencé à chanter en chaoui toutes les portes se sont fermées devant nous. La maison de culture comme le théâtre nous ont été inaccessibles. Il une fois même, la police a débarqué pendant notre absence et a tout pris, guitares, synthétiseur, …etc. » se souvient-il.
Au début des années 1980 , Thaziri enregistre sa première bande sonore à Tizi Ouzou « le groupe Debza et Yougherthen , nous ont beaucoup aidé pour les arrangements , nous raconte Salime Souhali , mais la quête pour éditer l’album fut un vrai parcours de combattant . Les gens étaient surpris d’entendre du chaoui avec des instruments modernes .Nous avons fini par retourner en Kabylie chez « Massinissa Edition » pour enfin éditer notre première cassette » .
Pour la distribution de leur premier album, Salim Souhali et ses amis n’ont pu compter que sur eux même, « On transportait nos cassettes dans des couffins qu’on vendait sur les marchés hebdomadaires ».
Après avoir montré la voie, Salim Souhali lance plusieurs jeunes chanteurs chaouis à l’image de Katchou , Ranida , Tafsuth , ..ect. « Notre ambition était d’avoir un chanteur dans chaque village » se remémore-t-il nostalgique.
Après la fin de l’aventure Thaziri , Salim Souhali n’abandonne pas la musique et se retourne vers la musique d’illustration pour le théâtre et la télévision .
Salim Souhali peintre et sculpteur
En plus du monde du théâtre et de la musique, Salim Souhali fréquentait un groupe de peintres chaouis très talentueux, composé de Chérif Merzougui , Houara Hocine , et Abdelali Boughrara .
La première bande dessinée qu’il réalise fut intitulée « Les insoumis » en hommages aux insurgés du soulèvement de 1916 dans les Aurès et les fameux bandits d’honneur.
S’ensuit une série sur les rois berbères : Massinissa, Jugurtha, Juba I, et Takfarinas .
Aux débuts des années 1990, Salim Souhali s’oriente vers la caricature au sein du journal Alwres News.
A son actif également, plusieurs fresques dans la ville de Batna et ses environs, notamment la statue de Bouthaâlaweth , à Aïn Touta , l’un des héros du soulèvement de 1871 dans le Bellezma .
Salim Souhali chercheur et auteur
Salim Souhali a retracé la chronologie de la fondation de la ville de Batna dans un livre intitulé « Batna , dhakiret madina » ( Batna , mémoire d’une ville) , « l’histoire de la ville de Batna et sa formation me tenait à cœur , d’autant que son histoire se confondait avec celle de ma famille , la première mosquée de Batna fut celle de mon grand père Ahmed Ou Lkadhi , malheureusement , je n’ai pas encore trouver un éditeur malgré toutes mes démarches .
« Mon second ouvrage est une étude sur la musique berbère dans l’Aurès, la Kabylie et la région de Ouargla, il m’a pris presque vingt ans de recherche » nous confie-t-il.
Apologie de la culture populaire
Pour terminer notre entretient, nous avons voulu savoir l’avis de Salim Souhali sur la situation de Tamazight après son officialisation, « cette officialisation ne suffit pas , nous répond-t-il , si elle n’est pas suivi de mesures concrètes , cette dimension essentielle de notre identité doit figurer dans les manuels scolaires , dans les médias , sur les scènes des théâtres , dans les salles de cinéma , l’Amazighité doit être au cœur de notre projet de société » conclue-t-il .
Jugurtha Hanachi