Rif : tirer les leçons de l’histoire
Le Rif, qui a été dans les années 1920 le précurseur du mouvement(1) de libération des peuples colonisés, se retrouve aujourd’hui dans la même situation d’il y a un siècle : un Rif marginalisé dans un Maroc triplement colonisé :
- Par la dynastie chérifienne inféodée à l’arabo-islamo-wahhabisme sur les plans politiques, culturels et financiers,
- Par l’occupation d’une partie de son territoire par l’Espagne (Ceuta et Mellila), constituant aujourd’hui les dernières possessions coloniales européennes en Afrique,
- Par la main-mise financière du lobby de la ”France-Afrique”, qui lui assure une forme de protection… comme au temps du protectorat français du Maréchal Lyautey !
Dans ce magma politico-financier et religieux, le Rif paie le prix de sa volonté d’émancipation et d’autonomie depuis des siècles (il n’a jamais accepté le pouvoir des sultans et s’était toujours défendu, par les armes, contre les troupes des sultans).
Pourtant, lors de la guerre du Rif (1920 – 1926) contre l’occupation espagnole et française, puis l’instauration de la République du Rif, les Rifains avaient, dès 1925, engagé un déploiement militaire coordonné de libération de tout le Maroc. La coalition Espagne-France avec la complicité du sultan Moulay Youcef avait mis en échec cette initiative de libération. En plus de la levée par le sultan des troupes harkis à côté de l’armée française et espagnole, la religion avait été fortement utilisée pour combattre les Rifains.
Le sultan et ses cheikhs faisaient des prêches dans les mosquées et sur les marchés pour combattre les … ”envahisseurs rifains” (el djouhalla du Rif”) !
Lors de l’accession à l’indépendance du Maroc en 1956, le Rif, qui était alors solidaire de la guerre de libération algérienne et de la volonté de libération de toute l’Afrique du Nord, n’avait pas accepté la cessation unilatéral du combat par le Maroc et la prise du pouvoir par les Alaouites.
On connaît la suite : la première sortie de l’armée marocaine en 1958, à sa tête Hassan II et le général Oufkir, c’était pour raser des villages rifains et causer des milliers de morts (les spécialistes parlent de 5000 à 10000 morts civils).
Depuis, le Rif a été volontairement marginalisé, surveillé et offert aux fonctionnaires véreux, avec pour mission de mater les Rifains, et aux trafiquants de kif.
Ce qui se passe aujourd’hui est l’addition de toutes ces injustices, de toutes les répressions et de la volonté de bloquer l’émergence du Maroc réel, nord-africain, dans lequel le Rif est une partie indissociable.
Les quelques initiatives de désenclavement du Rif, prises depuis la prise du pouvoir par Mohammed VI, ne sont que de la tactique, des cache-misères pour étouffer des revendications inéluctables.
Nul ne peut s’opposer à la volonté d’émancipation des peuples, et le Rif, malgré les difficultés d’émergence d’un mouvement unitaire, est capable de faire avancer l’histoire, avec tous les Marocains, vers la fin des archaïsmes politico-religieux et suivre la voie du développement dans une Afrique du Nord solidaire.
Ce n’est pas la voie choisie aujourd’hui par le Makhzen… Pire, le pouvoir de Rabat exploite les différences régionales (2) pour instaurer son ordre et se positionner en arbitre. La même recette utilisée jadis par ses ancêtres Alaouites ! La chute n’en sera que plus brutale…
Aumer U Lamara, écrivain
Auteur de l’ouvrage en tamazight : ”Muhend Abdelkrim, di Dewla n Ripublik (Du temps de la République du Rif, 1920-1926)”, éditions L’Harmattan, Paris, 2012.
(1) De 1920 à 1926, les Rifains (à leur tête Muhend Abdelkrim el Khettabi) ont affronté et battu les armées espagnoles et françaises sur plusieurs champs de bataille, créé la République du Rif, avant d’échouer devant la coalition des forces européennes disproportionnées et de la manipulation de la religion par les cheikhs.
(2) Aujourd’hui, le pouvoir de Rabat fait venir au Rif des troupes de répression depuis Agadir et Marrakech ou d’ailleurs pour mater les Rifains. Recette bien connue du ”diviser pour continuer de régner” en faisant massacrer des Amazighs par d’autres Amazighs.