Révision de la constitution : « circulez, y a rien à voir ! »
Au temps d’internet, la rétention de l’information qui a caractérisé la diffusion de ce projet parait illusoire. L’État aurait gagné en crédibilité en mettant à la disposition des citoyens le texte intégral, accessible pour tous, sur un site internet dédié par exemple.
On se croirait revenu aux temps de la censure des années 1970, lorsqu’on se passait de main en main la photocopie de la page 2 du journal Le Monde, lorsqu’il y avait un article sur l’Algérie !
En 2020, il nous a fallu une semaine pour obtenir le fichier de la totalité des pages photographiées artisanalement par un citoyen anonyme et diffusé par mail. Cette persistance de la clandestinité est malheureusement une caractéristique du système politique algérien, pour lequel le citoyen informé est une donnée qui n’est pas prévue. Dès lors, on peut douter de cette ‘’Algérie nouvelle’’ qu’on nous promet !
Comme premier constat sur l’impact de ce projet auprès de la population, l’agora (agraw) du village a déjà répondu : silence absolu ; aucune allusion à ce projet en un lieu où d’habitude des échanges animés ont lieu tous les jours sur la situation politique du pays ; c’est donc un non événement, et ce n’est pas du tout l’aboutissement que propose le mouvement de dissidence populaire depuis le 16 et 22 février 2019.
Le temps des rustines
L’aspect patchwork de ce nième projet, par la profusion de rustines rapportées sur les précédentes versions depuis l’affaire du cinéma Le Majestic à Bab El Oued en 1963, fait d’abord penser au dicton populaire algérien : ‘’yugar ti ersi, tafawett’’ (la déchirure est ɣersi, tafawett’’ (la déchirure est plus grande que la pièce prévue pour rapiécer).
Le groupe d’experts a certainement travaillé, beaucoup travaillé pour tenter de rendre une certaine cohérence, par rafistolages (1), à une succession de braconnages institutionnels commis depuis 1962. Dure besogne, mais le résultat n’est pas acquis !
L’illusion aurait presque réussi lorsqu’on observe la multitude d’analyses et de critiques de cet avant-projet projet par des compétences de tout bord. La majorité a foncé tête baissée, en professionnelle de l’analyse textuelle et juridique, comme si c’était la constitution d’une nation qui dispose de quelques siècles de traditions républicaines et démocratiques. On en est encore loin.
Un constat que personne ne peut mettre en cause : jusqu’à aujourd’hui, la constitution algérienne était un simple faire-valoir, essentiellement faite pour la galerie et… ‘’l’image du pays à l’étranger’’, et le pouvoir réel est ailleurs.
Pour schématiser, le texte de la constitution algérienne est similaire au plan de construction d’habitation, obligatoire il y a quelques dizaines d’années, pour pouvoir obtenir la livraison du quota de ciment et de rond à béton auprès des sociétés nationales qui en avaient l’absolu monopôle. Les citoyens copiaient alors un plan quelconque d’un voisin ou d’un ami, puis renommé et visé par un architecte de complaisance, mais qui n’avait aucune ressemblance avec la construction projetée. Ainsi, le contrat est à mille lieues de la réalité.
Le fond n’est pas abordé dans cet avant-projet
La profusion de détails et d’annotations accessoires dans cet avant-projet semble jouer le rôle de paravent pour cacher le principal enjeu : ne pas proposer la rédaction d’une nouvelle constitution plus conforme à la demande de la majorité de la population engagée dans le mouvement de contestation pacifique (Hirak) depuis plus d’un an. Dès lors, l’accusation de ‘‘volonté de reconduite du système’’, exprimée depuis quelques jours, est bien fondée.
Aussi, l’instrumentalisation du symbole du mouvement populaire, le Hirak, semble trop grosse pour échapper à la critique. S’il y a quelque hésitation, le double langage adopté, Hirak ‘’béni’’, puis Hirak traqué par toutes les polices et procureurs du pays, renseigne sur les objectifs réels de ceux qui gouvernent aujourd’hui contre le peuple.
D’autre part, la reprise telles quelles des contre-vérités historiques concernant les fondements de la nation algérienne (2) et son positionnement stratégique nord-africain est un indicateur de repli du système sur ses lubies antérieures, pour ne rien lâcher, et bloquer ainsi toute évolution positive de la situation. Il va droit dans le mur !
Le passage en force du projet dans les prochains mois sera encore une nouvelle occasion d’émancipation perdue, pour un temps, pour la nation algérienne.
Ce ne sera pas la faute du peuple. En tout cas, la rupture symbolique entre le système oligarchique et ce peuple est consommée depuis l’avènement du Hirak. Il n’y aura plus désormais de délégation de légitimité et de pouvoir. La société algérienne, avec la nouvelle génération consciente et engagée, est dans un nouveau paradigme… et, les chars et la répression ne pourront rien contre la volonté populaire.
Aumer U Lamara.
Physicien, écrivain
(1) Dans les années 1980, lorsque la bourse de Londres (London Stock Exchange) avait été informatisée, il y a eu une succession anormale de directeurs de projet. Chaque arrivant en mettait une nouvelle couche logicielle, des surcoûts énormes et la bourse n’était toujours pas opérationnelle, jusqu’au jour où le nouveau directeur de projet imposa de démolir le tout et de recommencer la conception sur de nouvelles bases plus conformes à la réalité.
(2) « En toute chose, il y a qu’une seule façon de commencer lorsqu’on veut discuter convenablement, il faut bien comprendre l’objet de la discussion ». Aristote, philosophe grec