Nouari Nezzer , l’un des pionniers de la musique moderne chaouie
Il était l’un des pionniers de la musique moderne chaouie et le précurseur du folk-rock des Aurès. Poète du renouveau culturel, guitariste à la touche inimitable et chanteur à la voix atypique, Nouari Nezzar fait partie des rares musiciens qui ont osé composer hors des sentiers battus de l’imitation et de la tradition pour se construire un style propre. En dépit de cette originalité et malgré un talent immense, il s’est fait oublier plus ou moins volontairement. Nous sommes allés à sa rencontre dans son petit coin des Aurès. Portrait d’un musicien original
Avec ses mélodies du terroir, sa guitare aux accents folk et sa poésie d’un autre âge, il avait surgi comme une météorite par une nuit sans lune. A un moment où personne ne le l’attendait vraiment. Puis, comme cette météorite éphémère, il avait disparu des écrans radars de la chanson sans laisser de traces.
Mais que devient donc Nezzar Nouari, le fameux Bob Dylan des Aurès qui avait cassé la baraque il y a quelques années avec son rock-folk chaoui tout droit surgi des canyons escarpés qui avaient vu passer les armées d’Aksel et Dyhia ? La réponse tombe avec un sourire complice : «Vieux !», dit-il. N’exagérons rien. Si la barbe a effectivement blanchi et que les cheveux se sont fait rares sur le haut du crâne, à coup sûr Nouari Nezzar n’a perdu ni son sens de l’humour ni cette fameuse touche de guitare qui avait fait sa réputation.
Retiré de la scène artistique, oublié des galas et des festivals officiels où plus personne ne pense à l’inviter, l’artiste s’est tranquillement reconverti dans le petit commerce en continuant à travailler sa musique ou à arranger pour les autres dans son studio d’enregistrement à Batna. La bonne nouvelle est que Nezzar Nouari est toujours de ce monde. De celui de l’art et de la musique, s’entend. L’autre bonne nouvelle est qu’il a l’intention de revenir à ses premières amours. «Je vais bientôt sortir un album, en essayant d’être le plus fidèle possible à ce style des origines», di-il.
Dans les années 1980, Nouari Nezzar avait été un précurseur, un pionnier de la chanson moderne d’expression chaouie. Un défricheur de terrain qui «osait» chanter tout haut, et de fort belle manière, dans une langue ostracisée lorsque les autres prenaient soin de la parler tout bas. Il avait créé un style original où le mélange de rythmes modernes, de mélodies millénaires et authentiques avait bien pris.
Une guitare avec une feuille de palmier
«Petit, j’ai toujours été attiré par tout ce qui est moderne et j’ai toujours eu la tête en haut du palmier», dit-il. Un palmier ? A la bonne heure ! La transition est toute trouvée pour parler de sa première guitare bricolée à partir de trois fois rien. C’est-à-dire une feuille de palmier débarrassée de ses tiges, deux clous de part et d’autre, et un câble de frein de vélo. «Et on jouait les standards de l’époque que la radio passait», se souvient Nouari. La famille avait la chance de posséder une vieille TSF à ondes courtes qui crachotait toutes les musiques du monde. Ça faisait voyager et fleurir des vocations précoces.
Un jour, un membre de la famille lui offre une demi-guitare : un manche et une demi-caisse. Pas de quoi investir la scène, mais c’est un peu mieux qu’une branche de palmier. En attendant, il écoute et essaye de parfaire son éduction musicale. «J’entendais toutes les musiques et toutes les langues du monde, sauf la mienne», dit Nouari. A défaut de la sienne, un beau jour, au cours des années 1970, il va entendre «une très belle chanson» dans une langue cousine. Un certain Idir chante A vava Inouva, et c’est un véritable choc culturel. «Je me suis dit : ”C’est extraordinaire ! Voilà ce qu’il faut faire”. C’était le déclic», dit-il.
«Au départ, je ne comprenais pas trop cette langue cousine, mais petit à petit j’ai fini par m’y habituer», di-il. «A la radio, j’entendais du wahrani, du kabyle, du sahraoui, du constantinois, mais rien de nous… Je me suis alors demandé ce que c’était cette chape de plomb qui pesait sur nous. Je me suis dit : ”Je vais chanter en chaoui”. J’ai alors commencé à adapter des standards du rock en chaoui. Je rendais malléables les sons chaouis aux rythmes modernes de rock et de blues. J’ai commencé à raboter les mots pour qu’ils s’adaptent à la musique.
Ayant acquis cette capacité à adapter, je me suis mis à écrire mes propres textes d’une façon tout à fait nouvelle. Petit à petit, mon style personnel prenait forme. Je voulais couper les liens avec le traditionnel qui devait rester tel quel et passer à ”l’idirisation” de la chanson chaouie», raconte Nezzar Nouari.
Un nouveau style musical
Le style ayant pris forme, il s’agissait à présent de le soumettre à l’appréciation du public auquel il était destiné. Une première occasion s’offre à Nouari Nezzar de se produire devant un authentique public chaoui, dans la petite ville de Seriana. Tremblant de trac, il monte sur scène et chante Angie, le fameux tube des Rolling Stones qu’il avait adapté dans la langue de Kahina. Les yeux écarquillés de stupeur, les gens écoutent attentivement ce jeunot qui semble tombé du ciel, avant de l’applaudir à tout rompre. Rassuré par l’accueil chaleureux du public, le jeune Nouari est persuadé d’être sur la bonne voie. «J’ai alors décidé d’y aller», dit-il.
La prochaine étape consiste à écrire ses propres compositions. Textes et musique. «J’ai écrit le texte de zizi, (une ballade folk empreinte de nostalgie qui raconte la vie rude et simple des montagnards), composé la musique et j’ai fait écouter cette chanson à mon défunt grand frère Mokhtar qui était quelqu’un de très conservateur. Il écoute attentivement et me demande : ”C’est toi qui a fait ça ?”. Devant ma réponse affirmative, un très large sourire se dessine sur sa figure, ce qui était extrêmement rare pour un homme…»
Nezzar Nouari compose donc plusieurs chansons dans ce style qu’il a mis du temps à élaborer et à créer. Un jour, son ami, le peintre Cherif Merzougui, le sollicite pour un projet artistique. Les deux hommes sont liés par une solide amitié et un amour commun et sans limites pour ces montagnes des Aurès où ils adorent se perdre pour de longues randonnées pédestres à admirer les paysages et à faire de la photo.
Une première fois à la télévision algérienne
A la même époque, le réalisateur Rachid Benbrahim, qui faisait des portraits des peintres des Aurès, cherchait des fonds sonores pour ses documentaires. C’est alors que Cherif Merzougui suggère à Benbrahim le nom du jeune Nouari qui est aussitôt sollicité pour une passer une audition. «Je me trouvais dans le Sud quand Merzougui m’envoie un télégramme. Je prends aussitôt l’avion pour rentrer. Je passe l’audition avec Rachid Benbrahim qui m’engage sur le champ», se souvient Nouari. Il enregistre alors plusieurs chansons qui vont composer la bande sonore du documentaire sur le grand peintre Merzougui.
Le documentaire passe à la télé et remporte un vif succès. A l’époque, les Algériens n’ont qu’une seule chaîne télé devant laquelle tout le monde se retrouve le soir. Son impact est immense et beaucoup de gens parlent de ce Bob Dylan des Aurès qui faisait de si belles chansons. «C’est la première fois que la télévision algérienne retentissait de mots qui venaient du fond des âges», dit-il. La prochaine étape ne peut évidemment être que l’enregistrement d’un album. Nouari Nezzar monte alors un groupe dont les membres vont changer continuellement. Un éditeur de Ain M’lila, celui-là même qui avait produit le groupe «Les Berbères», le contacte pour enregistrer un album. L’enregistrement est artisanal et le travail est bâclé.
Le son est très mauvais. «Nous avons dû refaire un autre enregistrement dans les années 1990, à Alger, avec les frères Torki», dit-il. Il reviendra au-devant de la scène par l’intermédiaire de Cheb Aziz pour lequel il compose plusieurs tubes, notamment le fameux Ya Ldjemmala. La jeune étoile sera malheureusement assassinée par les terrorises islamistes le 20 septembre 1996 à Constantine.
S’ensuit une longue période d’absence et de silence. «C’est comme si je n’avais plus besoin de prouver quoi que ce soit…», dit-il. Nouari Nezzar s’occupe d’un studio où il enregistre et quelquefois fait des arrangements pour les autres. Un peu désabusé, il se désole aujourd’hui dêtre oublié par les festivals, les radios, les télés, les galas, comme s’il n’avait jamais existé. Mais quand on a la musique dans le sang, forcément on finit par revenir à ses premières amours. «Iniyi a zizi, mamek thela tmedurth n zik ?» (Dis-moi grand-père, c’était comment la vie avant ?».
Djamel Alilat