Du “Monde arabe” au… Monde Afrique !
Cette contribution a été suscitée par l’article paru dans le dernier numéro du Monde diplomatique, traitant des problèmes d’intégration des personnes d’origines étrangères en France (1).
On y lit dès les premiers mots de cet article : “Dans l’incessant débat sur les personnes d’origine arabe et africaine…”.
En effet, ces millions de personnes subissent la double peine dès le début de l’article :
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On ne leur reconnaît pas leur africanité et/ou leur nord-africanité.
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On en fait des Arabes alors qu’ils sont à 99 % Berbères.
Alors, excès de langage et banalisation des approximations ? Ce qui est étonnant de la part de spécialistes reconnus qui contribuent au prestigieux “Diplo” !
En effet, comment peut-on faire une analyse sérieuse sur un sujet important en omettant au départ d’identifier les sujets de l’étude, comme l’exprimait Aristote… il y a très longtemps (2) ?
L’explication est malheureusement de l’ordre des forfaitures historiques et du mimétisme qui peut toucher les plus avertis. Son origine est très ancienne. Dans sa stratégie du “royaume arabe”, Napoléon III avait décidé d’accoler l’Afrique du Nord, nouvellement conquise dans sa partie centrale (l’Algérie), au Moyen-Orient déjà en partie sous la domination française. Cette vision il l’a exprimée le 18 septembre 1860 dans son discours sur le port d’Alger : “Notre possession d’Afrique (l’Algérie, NDLR) n’est pas une colonie ordinaire, c’est un royaume arabe”. En occupant l’Algérie, la France avait créé le “royaume arabe” en… Afrique du Nord !
Près de deux siècles après, la France est restée dans ce paradigme du “royaume arabe” et la presse a fabriqué dans la suite le concept de “Monde arabe”.
Seuls quelques scientifiques éclairés, historiens et linguistes français voyaient cette Afrique du Nord là où elle était réellement et ce qu’elle était effectivement, la Berbérie au nord de l’Afrique depuis des millénaires, l’ex. Numidie-Maurétanie, et non comme une partie du Moyen-Orient arabe.
Cette forfaiture historique a été revigorée dans les années 1950 et 1960 par l’entrée dans la Ligue arabe des pays d’Afrique du Nord nouvellement indépendants.
La recherche d’appuis et de solidarité à l’extérieur par les mouvements indépendantistes, au Maroc, en Algérie et en Tunisie, avait conduit à privilégier la solidarité pan-islamique et arabe, quitte à fabriquer des acteurs fictifs de cette solidarité. Les quelques volontaires Rifains qui étaient venus épauler l’insurrection de 1954 en Kabylie, aux côtés de Krim Belkacem, étaient présentés aux militants comme des “officiers Irakiens” !
Cette géopolitique de l’amalgame n’est pas une manifestation de l’histoire ancienne ni une méconnaissance des réalités historiques et culturels des peuples impactés. Plus près de nous, la stratégie américaine du “Grande Moyen-Orient” (The Great Middle East) (3), impulsée par G. W. Bush au début des années 2000 est un remake, en plus large, du “royaume arabe” de Napoléon III, qui s’étale cette fois-ci de Tanger à Kaboul et Islamabad !
Les objectifs stratégiques n’ont que faire des identités et cultures des peuples ciblés.
La longue vie de concept erronés et de regroupements contre-nature n’est heureusement pas une fatalité. Ce qui a été fait à une époque, peut être défait plus vite que personne ne l’aurait imaginé. Qui aurait pu prédire la fin du rideau de fer entre l’Est et l’Ouest, seulement quelques mois avant ce 27 juin 1989 (4) ?
Dans le cas du concept contre-nature de “monde arabe” que subit l’Afrique du Nord, le processus de distanciation est engagé et s’amplifie continuellement. Dans la presse, comme dans les écrits, le qualificatif de “monde dit arabe” est passé dans les habitudes et approprié par tous. Il s’agit d’avancer dans cette voie pour la récupération de notre sous-continent nord-africain et de nous situer désormais dans notre espace légitime, le Monde Afrique.
Ainsi, l’article du Monde diplomatique cité au début aurait pu commencer par : “Dans l’incessant débat sur les personnes d’origine d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne…” !
Nous n’aurions rien eu à redire !
Aumer U Lamara, physicien et écrivain de langue tamazight
Notes :
(1) “Intégration, la grande obsession”, Monde diplomatique, N°767, févr. 2018.
(2) “En toute chose il y a qu’une seule façon de commencer lorsqu’on veut discuter convenablement : il faut bien comprendre l’objet de la discussion”. Aristote, philosophe grec, 324 – 322 avant J.C.
(3) “…Tant que le Moyen-Orient restera un lieu de tyrannie, de désespoir et de colère, il continuera de produire des hommes et des mouvements qui menacent la sécurité des États-Unis et de nos amis. Aussi, l’Amérique poursuit-elle une stratégie avancée de liberté dans le Grand Moyen-Orient”, jetant ainsi les bases de ce qu’on appelle désormais la doctrine Bush (extrait).
(4) Le 27 juin 1989, les ministres des Affaires étrangères hongrois et autrichien tailladaient devant les caméras la barrière de barbelés qui séparait leurs deux pays. Comment est-on arrivé à ce geste spectaculaire ?..