Meriem Bouattoura, le martyre au féminin
Symbole de la femme algérienne combattante, Meriem Bouattoura, cette héroïne chaouie tombée à la fleur de l’âge, n’a peut-être pas eu les hommages qu’elle mérite, et son histoire, fabuleuse et quasi mythique, doit être portée au plus large public : son combat, son sacrifice et sa symbolique sont vraiment dignes d’une icône.
Née le 17 janvier 1938, à N’Gaous – Hbathent (Batna) dans les Aurès, bastion de la résistance contre le colonialisme, Meriem Bouattoura, surnommée Yasmina, a choisi de rejoindre le maquis à l’âge de 18 ans, alors qu’elle poursuivait encore ses études au lycée, et avait tout, chez elle, pour mener une vie tranquille et prospère. Son père était un riche commerçant de la ville.
Admise avec d’autres – dont Massika Ziza (consulter le portrait), Aïcha Guenifi et Yamina Cherrad – dans les structures sanitaires de la Wilaya II (Nord-Constantinois), elle est pendant quatre ans assistante sociale (mourchida), puis infirmière à la clinique Khneg-Mayou, où elle travaille à Sétif, avec notamment le Dr Lamine Khene, avant de réintégrer, à sa demande, les fidaïs de Constantine, à partir de 1960, où elle prend part à de nombreuses opérations commando et attentats, qui révèlent chez elle un esprit de sacrifice insoupçonné et des qualités de combattante intrépide. Elle active notamment dans le groupe de Rouag et celui de Bourghoud. « Meriem ne cachait pas son désir de participer directement à l’action, » témoigne la moudjahida Khadra Belhami Mekkidèche.
La dernière opération qu’elle accomplit aux côtés de son camarade Slimane Daoudi dit Boualem Hamlaoui, pour faire exécuter un traître par deux autres fidayine, échoue. Dénoncée, elle est découverte avec Daoudi dans une maison à Constantine. Encerclée par l’armée française, la bâtisse est dynamitée. Les détails de ce récit rappellent le plasticage par les parachutistes du sinistre général Bigeard, le 8 octobre 1957, de la cache où s’étaient réfugiés Hassiba Benbouali, Ali la Pointe et P’tit Omar. C’était durant la bataille d’Alger.
Mais la mort de Meriem Bouattoura demeure une énigme, tant pour les historiens qui ont eu à parcourir sa fulgurante épopée révolutionnaire, que pour ses frères d’armes qui ont témoigné sur cet épisode. Fatima-Zohra Boudjeriou indique qu’elle fut transportée à l’hôpital de Constantine vivante, mais que quelqu’un l’aurait achevée par une injection. Et avant de mourir, elle aurait crié : « Vive l’Algérie libre et indépendante ! À bas le colonialisme ! » D’autres affirment qu’elle aurait été tuée avec son compagnon d’armes Slimane Daoudi dit Hamlaoui et d’autres encore qu’elle fut déchiquetée par l’obus de char sur place, le 8 juin 1960.
Un compagnon d’armes, Bachir Bourghoud, assure : « Il était environ cinq heures du matin quand Hamlaoui est venu me réveiller et m’avertir que l’armée nous encerclait. Je suis allé réveiller Meriem, il faisait encore sombre. De nos fenêtres, on voyait le déploiement des soldats. J’ai demandé à Hamlaoui, qui avait une meilleure connaissance des lieux, s’il y avait une issue possible pour sortir, il m’avait répondu que non. Il ne nous restait plus qu’à résister. »
L’assaut est terrible, Meriem et un autre fidai, Mohamed Kechoud, disposent de grenades et de pistolets automatiques. Hamlaoui et Bourghoud de mitraillettes. Deux tentatives de sortie échouent. Meriem est chargée de brûler tous les papiers et biens personnels du groupe. « Les soldats ont lancé trois bombes lacrymogènes, raconte Bachir Bourghoud, Meriem nous avait donné des chiffons mouillés pour nous protéger. Puis, ils ont balancé les obus. La première à avoir été touchée par les éclats fut Meriem. Quand j’ai entendu son cri, je me suis dirigé vers elle, elle avait la jambe sectionnée et perdait beaucoup de sang. Je lui ai fait un garrot de fortune avec mon chiffon, elle m’a demandé de l’achever. Hamlaoui fut touché à la poitrine. Moi, j’avais reçu des éclats dans la tête avant de perdre conscience. Au réveil, nous étions à la cité Ameziane. J’entendais Hamlaoui, il était encore en vie. Meriem était étendue, elle était morte ».
Non, pas encore ! Fatima-Zohra Boudjeriou affirme : « En dépit de son état grave, les détenus qui étaient alors à la cité Ameziane l’ont entendue crier : « Vive l’Algérie libre et indépendante ! À bas le colonialisme ! » On lui avait fait une piqûre pour l’achever ».
À sa mort, Meriem Bouattoura avait 22 ans. La maternité (EHS) de Batna, un lycée à Alger (anciennement lycée Félix-Gautier), un institut à Constantine et un collège à N’Gaous portent son nom. Il faudrait surtout publier des ouvrages, retranscrire tous ces témoignages précieux sur sa vie de moudjahida et penser, pourquoi pas, à faire un film sur son histoire.
Adel Fathi