L’Homo sapiens marocain , encore bien du nouveau à l’extrême ouest
ABSTRACT
The discovery of five individual bone specimens of an Homo sapiens in the southwestern part of Morocco (Jebel Irhoud is 50km inland from the coastal town of Safi) has been a major anthropological discovery announced in June 2017. The two date analysis used conclude to an age of 315,000BC. The oldest form of an Homo sapiens had been found in Ethiopia. It was roughly less than 200,000 years old. This was a double surprise for scientists, first because of the new time span, and also because of its location. Until then, paleontologists thought that the regional ancestors were the Capsians (south Tunisia, c. 8000-4500 BC.) or the Iberomaurusians, who lived on the Atlantic and Mediterranean coastal areas of Northern Africa. Consequently, the discovery of a Moroccan Homo sapiens initiated the current article. It it also a follow-up of a former paper called ‘History & the Berbers‘ (‘Les Berbères dans l’Histoire‘, https://univ-amu.academia.edu/ChristianSorand). If the Moroccan Homo sapiens is confirmed to be another ancestor of the Berbers (the indigenous term ‘Amazigh‘ is now preferred), it raises some sociological questions analyzed in the paper. At this point of time in History, the Sahara did not exist and the whole continent was a vast fertile land like the Tassili n’Ajjer rock art shows it (Algerian/Libyan border). It facilitated migrations and eventually exchanges. All the latest scientific technology and research have created a new indigenous consciousness about culture and origin. What used to be a giant jigsaw puzzle, now reveals a clearer picture of the Past. When the University of Leicester, UK will be able to resume its archaeologic discoveries in the Fezzan (southwestern part of Libya), we may expect to get more surprising facts. The Garamantes used four-horse chariots and were known by the Greeks and the Carthaginians for their trade with western Africa. The Phoenicians had probably explored the Gulf of Guinea as well. Although it may still be pure speculation, it is worth considering any possible link between the Egyptian Ankh, the Punic sign of Tanit, and the Ashanti Fertility Doll of Ghana. If the Berbers /Imazighen (plural form of Amazigh) are such a crucial influential people, how can they still largely be ignored by History?
Dans la foulée de la découverte de l‘Homo sapiens du Maroc, on est en droit de se poser quelques nouvelles questions. Notamment, celle de l’impact que cela peut avoir sur une connaissance du peuple Amazigh. S’agit-il bien d’ailleurs d’un ancêtre berbère ?
En laissant les paléontologues débattre de cette question sur un plan scientifique, il semble utile d’analyser les conséquences que cette découverte, liée à la Préhistoire et à l’histoire de l’Afrique du Nord, peut avoir sur un plan sociologique.
Le site du Djebel Irhoud au Maroc a été découvert dans une mine située entre Marrakech (à une centaine de kilomètres à l’est) et la ville côtière de Safi (à environ 50km à l’ouest). Les travaux miniers ont mis accidentellement à jour une grotte dans laquelle se trouvaient des ossements humains et des éclats d’outils de silex.
Des fouilles ont alors été entreprises par le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin (de l’institut Max-Planck de Leipzig et du Collège de France) et par son collègue marocain Abdelouahed Ben-Nacer (de l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine de Rabat). Pour pouvoir effectuer une datation correcte, deux méthodes ont été utilisées grâce à la panoplie des outils lithiques trouvés sur le site:
- les traces de brûlures ont permis une première datation par thermoluminescence,
- une seconde a été faite par la méthode de résonance de spin électronique.
Or, il s’avère que les deux datations tournent autour de -315 000 ans (avec une marge d’erreurs de +/- 34 000 ans), et que les plus vieux restes d’un Homo sapiens trouvés en Éthiopie datent d’environ -200 000 ans, soit un recul de 100 000 ans ! Bien évidemment, l’analyse des crânes permet de les classer parmi les Homo sapiens, ancêtres directs de notre espèce. Il s’agit toutefois d’un Homo sapiens primitif en fonction de la taille du cerveau que seule l’évolution transformera peu à peu.
Les cinq individus retrouvés ont permis d’établir qu’il s’agissait de trois adultes, d’un adolescent et d’un enfant de 7 à 8 ans. Il faut bien garder à l’esprit qu’à cette époque lointaine de l’Histoire, le continent africain était un vaste espace vert et que le Sahara n’existait pas encore, comme l’attestent les gravures et les peintures rupestres du Tassili-n’Ajjer.
Jusqu’à maintenant, la paléontologie admettait que les ancêtres des Berbères étaient soit issus des Capsiens, aujourd’hui disparus, à l’est (région de Gafsa, au sud de la Tunisie), soit des Ibéromaurusiens (apparentés aux Néandertaliens d’Europe) établis sur le littoral méditerranéen et atlantique…
Le fait d’avoir trouvé, semble-t-il, un Homo sapiens au Maroc, étaye l’idée de l’origine africaine de l’espèce humaine, et de sa lente progression vers le nord, à une époque où le Sahara est encore inexistant. En définitive, rien d’étonnant à ce que cette lente migration se soit établie ici. On ignorait malgré tout l’Homo sapiens dans la frange occidentale nord du continent africain.
Or, l’une des premières retombées de cette découverte, fait – une nouvelle fois – qu’elle élimine une mythique origine proche-orientale de ce peuple appelé ‘berbère’ par les Romains. L’ethnologie moderne préfère dorénavant le terme ‘Amazigh‘ en conformité au nom indigène.
La linguistique avait déjà démontré que la branche chamito-sémitique du Tamazight (langue berbère) était africaine, vraisemblablement apparentée aux anciens Éthiopiens. Déjà, les travaux de recherches du professeur Gabriel Camps incitaient le linguiste Salem Chaker à penser que « les Berbères possèdent une écriture alphabétique (consonantique) qui leur est propre depuis la protohistoire. Les inscriptions les plus anciennes ont pu être datées du VIe siècle avant J.-C (Camps 1978).[1] » Salem Chaker ajoute que « l’émergence de cette écriture renvoie à une dynamique socio-culturelle largement interne à la société berbère. Il semble bien que cette approche nuancée – une émergence endogène, au contact d’une civilisation porteuse de l’écriture – est désormais admise par la majorité des spécialistes.[2] » En d’autres termes, on évoque alors une forme panafricaine des Tifinagh (caractères de l’alphabet libyque).
Il sera donc intéressant d’étudier, l’heure venue, les conséquences matérielles d’un Homo sapiens indigène sur la civilisation berbère contemporaine. Considérant l’état de nos connaissances actuelles, voici ce à quoi on peut s’attendre :
- L’Antiquité révèle à quel point les échanges culturels aux quatre coins du bassin méditerranéen, étaient nombreux et fructueux. Les Carthaginois ou les Grecs, comme les Hébreux, ont joué un rôle crucial bien avant la romanisation du continent non encore identifié géographiquement. Il ne prendra son nom définitif que sous l’égide de la colonisation de l’Empire romain. Après la chute de Carthage (149 av. J.-C.), la rencontre avec le peuple numide des Afri ou Afer incita les Romains à appeler cet ancien territoire tunisien, « le pays des Afri » (Africa). Linguistiquement parlant le terme ifri [ⵉⴼⵔⵉ] signifie « caverne ». C’est d’ailleurs le mot arabe Ifriqiya [إفريقية] qui est utilisé pour désigner le continent. Or ce type d’habitat troglodyte subsiste dans la région de Matmata, dans le sud tunisien. Le site marocain d’Ifrane en est une autre illustration toponymique. On pourrait citer d’autres exemples : le village d’Ifri, en Kabylie, dans la wilaya de Béjaïa; ou bien cet autre village d’Ifri, à proximité de la ville marocaine de Tinghir dans la vallée du Drâa-Tafilalet.
- Un Homo sapiens nord-africain pourrait placer le peuple Amazigh sur le même pied d’égalité anthropologique que d’autres cultures méditerranéennes. Il est clair que les Grecs étaient pleinement familiers avec les rives méridionales et occidentales de la Méditerranée. L’étude approfondie de leur mythologie l’atteste. Car, quels que soient Océan, Atlas, les Hespérides, les Travaux d’Héraclès, la déesse Athéna, voire les Gorgones, ceux que les Grecs appelaient alors les Libyques, étaient un peuple connu et devenu même familier après la fondation de la colonie de Cyrénaïque (aux alentours de 640 av. J.-C.). Les Hellènes n’ignoraient rien, ni de leur culture, ni de leurs croyances. Tant s’en faut, puisqu’ils avaient même choisi d’incorporer certains éléments à leur propre mythologie !
- Certes il est encore prématuré d’élargir le champ de l’impact que l’homme du Djebel Irhoud pourrait révéler, mais on peut raisonnablement s’attendre à ce que cette découverte apporte une base solide à l’origine africaine du Tamazgha (monde berbère). Il apparaît comme une nouvelle preuve scientifique irréfutable d’une civilisation locale remontant aux débuts de l’humanité. Il est vrai que chacune des interférences ultérieures a vraisemblablement modifié la culture amazighe, mais sans jamais véritablement l’éradiquer.
Plus que toujours, l’Amazigh peut revendiquer son rôle d’ « homme libre » (traduction du mot Amazigh). L’Homo sapiens du pays où le char d’Apollon disparaissait chaque jour dans le grand fleuve Océan, faisait déjà partie de la culture de tous les autres peuples du bassin méditerranéen.
C’est ici qu’Atlas portait le monde sur ses épaules et qu’Héraclès a terminé le 11ème de ses travaux. Le mythe n’est-il pas déjà l’expression d’une certaine réalité qu’il nous faut décrypter correctement ? Les signes symboliques appartenant à l’art et à l’architecture constituent également une sorte de langage visuel transmis pour sublimer les langues et le temps. C’est donc l’ensemble de toutes ces données, appuyées par la science, qui nous permettent de mieux connaître le passé.
Il y a 315 000 ans en tout cas, on était encore bien loin du temps, au VIe siècle de notre ère, où une armée, arrivée au galop du Levant, allait porter la parole de Mahomet jusqu’au « pays du soleil couchant » (le Maroc, en arabe المغرب al-Magrib). La religion n’est que le vernis d’un édifice derrière lequel se cache une toute autre réalité.
La femme amazighe rechigne à voiler son visage car elle n’a rien à cacher. Gardienne de la tradition ancestrale, elle sait par la symbolique de ses tatouages et de ses bijoux qu’elle demeure la poutre maîtresse de la maison familiale aux traditions ancestrales remontant jusqu’à la Préhistoire.
On voit comment, après chaque découverte, le peuple amazigh commence à mieux s’identifier. Les morceaux épars du puzzle prennent forme au fil du temps grâce à l’évolution des connaissances. Une véritable prise de conscience émergeant des nouvelles données scientifiques incite à repenser l’Histoire, voire à la réécrire. S’il y a déjà bien du nouveau à l’extrême ouest[3], il faut peut-être s’attendre à en apprendre davantage, côté est. Quand les fouilles de Carama (région du Fezzan, en Libye) entamées par l’université anglaise de Leicester reprendront, il est vraisemblable que l’on fera un pas de plus dans l’histoire du monde amazigh. Car les Garamantes, peuple libyque, conducteur de chars[4], se révèleront peut-être comme un maillon terrestre essentiel entre le nord de l’Afrique et celui de l’Afrique de l’ouest.
La ressemblance troublante entre les éléments visibles de la croix ansée égyptienne, symbole de vie et de fertilité, et la statuette de la déesse Ashanti de la fécondité au Ghana est telle qu’il faudra songer à étudier un lien éventuel. Les Phéniciens ont été jusqu’au golfe de Guinée. On sait également que les Carthaginois ont fait appel aux Garamantes pour le commerce subsaharien. Or, l’analyse du signe de Tanit[5] semblerait indiquer un lien possible; tel est le cas peut-être aussi du signe de la croix touarègue (‘la croix d’Agadez’) ou même de certains éléments rencontrés chez les Dogons du Mali. Que dire encore au sujet des Peuls, peuple métis ? Seraient-ils les descendants des hommes de la culture néolithique du Tassili n’Ajjer ? Autant de suppositions incitent, pour le moment à la prudence, mais n’invitent pas moins à formuler des hypothèses. Il apparaît en tout cas primordial que différentes branches scientifiques puissent collaborer afin d’avoir une approche pragmatique des différentes données obtenues.
Le rôle joué par l’Afrique du Nord dans ces échanges lointains n’a pas fini de nous étonner. Peut-on encore ignorer davantage le peuple Amazigh dans l’Histoire ?
Christian Sorand
Références :
Civilisation Ibéro-maurusienne : http://www.universalis.fr/encyclopedie/civilisation-ibero-maurusienne/
Hominidés- Évolution de l’espèce Homo sapiens : http://www.hominides.com/html/dossiers/evolution-homo-sapiens.php
Tribune de Genève- L’Homo sapiens prend un sacré coup de vieux : https://www.tdg.ch/savoirs/homo-sapiens-prend-sacre-coup-vieux/story/31710299
UNESCO- Tassili n’Ajjer: http://whc.unesco.org/en/list/179
University of Leicester, UK: ‘We discovered a ‘lost civilisation’: https://www2.le.ac.uk/offices/press/media-centre/le1-articles/we-discovered-a-2018lost-civilisation2019
Bibliographie :
Camps, Gabriel – ‘Les Garamantes, conducteurs de chars et bâtisseurs dans le Fezzan antique‘, juin 2002, Clio-2016, http://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/les_garamantes_conducteurs_de_chars_et_bAtisseurs_dans_le_fezzan_antique.asp
Camps, Gabriel -« Ibéromaurusien », in Gabriel Camps (dir.), 23 | Hiempsal – Icosium, Aix-en- Provence, Edisud (« Volumes », no 23) , 2000 [En ligne], mis en ligne le 01 juin 2011, consulté le 03 février 2017.URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/1626
Chaker, Salem – « Libyque : écriture et langue », in Salem Chaker (dir.), 28-29 | Kirtēsii – Lutte, Aix-en-Provence, Édisud (« Volumes », no 28-29) , 2008 [En ligne], mis en ligne le 01 juin 2013, consulté le 02 février 2017. URL : http://encyclopedieberbere.revues.org/344
Sorand, Christian – Les Berbères dans l’Histoire, d’Ouest en Est bien du nouveau, février 2013, Academia.edu : https://www.academia.edu/22100212/Les_Berbères_dans_lhistoire
[1] Chaker, Salem : ‘L’écriture libyco-berbère : état des lieux et perspectives‘, Inalco, Paris, https://centrederechercheberbere.fr/tl_files/doc-pdf/Libyque_Synthese.pdf
[2] Chaker, Salem : ‘Libyque : écriture et langue‘, Encyclopédie Berbère, Aix-en-Provence.
[3] Cet article est la suite d’un article antérieur intitulé “Les Berbères dans l’Histoire, d’Ouest en Est bien du nouveau” (février 2013).
[4] G.Camps – ‘Les Garamantes, conducteurs de chars et bâtisseurs dans le Fezzan antique‘, juin 2002, Clio-2016
[5] C.Sorand – ‘Le signe de Tanit‘, juin-août 2017, Inumiden.com : https://www.inumiden.com/signe-de-tanit/