Les cigognes de Meskiana

Mohamed Larbi Hannachi signe son entrée en littérature en publiant un récit autobiographique édité à compte d’auteur : Les Cigognes de Meskiana, une première œuvre qui contient des promesses.

Aussitôt la lecture entamée, on commence déjà à apprécier la fraîcheur et la spontanéité qui se dégagent du texte. Au point d’oublier les imperfections de l’auto-édition. Parce que l’auteur invite à un voyage mnémonique dans les merveilleux territoires de l’enthousiasme juvénile. «L’homme spontané voit la nature et l’histoire avec les yeux de l’enfance», disait l’historien et philosophe Ernest Renan. La formule peut s’appliquer à l’ouvrage de Mohamed Larbi Hannachi. Par exemple, lorsqu’il écrit : «Avec le recul du temps, je ressens à chaque évocation du passé défiler des moments magiques où je revois les cigognes de mon village voler dans son ciel, et les miens.» Les souvenirs sur lui-même, il les raconte avec des mots simples, justes, sans artifice. La meilleure façon aussi de montrer un peuple vivant, authentique et riche de ses valeurs humaines. «Le mois de juillet à Meskiana, malgré la chaleur torride du jour, se caractérisait par un air de fête permanente», garde-t-il de ses souvenirs d’enfance. Et cette autre image que la fraîcheur de perception fait remonter en mémoire : «Au début de l’année scolaire 1959, âgé de six ans, je m’apprêtais à rejoindre l’école des garçons de Meskiana. J’étais tellement content de mon cartable tout neuf avec son ardoise, son chiffon et ses crayons de couleur que j’oubliais presque ma peur de me retrouver pour la première fois avec tous ces garçons apeurés de rejoindre l’école.»

Dans ce récit assez court, les événements vécus par le narrateur se succèdent dans l’ordre chronologique, depuis sa venue au monde «un jeudi de l’année 1953» jusqu’à ses premiers pas à l’université de Cirta (Constantine), la ville où il étudiait dès le collège. Avant de raconter cette série d’expériences vécues, l’auteur prévient dans la préface que son ouvrage se veut d’abord «un témoignage d’une époque perçue par une deuxième génération née dans la tourmente des années de feu».

Les Cigognes est écrit également en hommage à «une localité historique, Meskiana (…), un village microcosme d’une société dont les valeurs de l’époque sont celles de toute l’Algérie qui a payé un lourd tribut pour son indépendance». Enfin, Mohamed Larbi Hannachi tient à exprimer sa reconnaissance à «tous les Algériens enseignants et autres qui ont pris à bras-le- corps l’enseignement en Algérie qui a fonctionné merveilleusement bien à l’indépendance, en conciliant une volonté inébranlable de réussite face aux défis du moment et en intégrant un enseignement privé de grande qualité à une éducation publique au top». Il raconte dans le livre comment lui-même avait vécu cette «symbiose parfaite entre des institutions publiques et privées», notamment sa scolarité à Cirta où il était interne au «collège des Pères Blancs, école de la culture et de la tolérance». La migration des cigognes accompagne l’enfance, à Meskiana, puis le reste à Cirta jusqu’aux années fac. Cette histoire d’une vie, c’est un peu le rétroviseur d’une «deuxième génération qui a la nostalgie de cette période où l’Algérie était euphorique et heureuse».

Il y a d’abord Meskiana, Oued Melegue, beaucoup d’images d’enfance… La vie quotidienne dans «la vallée heureuse» était simple et heureuse malgré les affres de la guerre, Meskiana, la bourgade qui avait «abrité la capitale de l’une des prestigieuses femmes algériennes, Dhaya (la Kahina)». Là où «les hommes rudes ne connaissaient pas le mensonge et la malice, ils étaient pétris par les massifs des Aurès». Parmi les images fortes, celle du père du narrateur : arrêté par l’armée française, torturé, il est «libéré en fin de compte dans un état piteux, le corps massacré». Il y a surtout énormément de bonheur, de découvertes, d’émerveillements. La joie de voyager, de découvrir l’Algérie (Tébessa, Annaba, Cirta, puis Alger, Oran…), le cinéma, la littérature, le théâtre, la musique. Et ce coup de foudre pour Cirta, la ville qui avait ce «quelque chose d’indéfinissable qui la rendait attractive aux visiteurs avec qui elle scelle une relation qui ne s’interrompt jamais». Tout en détaillant les années collège qui apportaient «les matériaux nécessaires pour bien grandir», Mohamed Larbi Hannachi remercie la ville des Ponts suspendus pour tout ce qu’elle lui a donné : «Ces moments privilégiés ont marqué notre existence dans une Cirta lumineuse, pleine de vie, citadelle de la culture et du savoir-vivre dans le respect des uns et des autres». Hommage à la ville d’adoption ; reconnaissance à tous ces hommes et ces femmes qui, à cette époque, faisaient preuve de générosité d’âme et de noblesse de cœur. A Meskiana comme ailleurs, il y avait des êtres éduqués, amoureux de l’art et de la beauté, élégants, ouverts sur les autres et le monde… C’était du temps où l’Algérie était réconciliée avec elle-même après le dur passage du colonialisme». Aujourd’hui, écrit l’auteur à la fin du récit, «la deuxième génération qui a réussi à aller plus loin que ses aînés dans l’instruction et le savoir (…) se retrouve désarmée, faute de passage générationnel à temps, face à une régression fatale».

Hocine Tamou

Mohamed Larbi Hannachi, Les cigognes de Meskiana, édition à compte d’auteur, 192 pages.
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