Les bijoux berbères de l’Algérie

1 – QUELQUES JALONS

Avant même d’apprendre à se vêtir, l’homme pensa à embellir son corps et à le parer. Les colliers en fragments d’œufs d’autruche, les coupelles à fard et les pendeloques en pierre polies et gravées découverts dans nos sites préhistoriques témoignent de cette préoccupation.

A l’époque protohistorique naquirent les premiers bijoux métalliques. Les nécropoles de Aith Messous (Beni Messous) dans l’Algérois, de Tiddis et de Gastel dans l’Est, nous ont livré des boucles d’oreilles, des fibules volumineuses et des anneaux de cheville en bronze moulé, portés par les femmes de l’époque lybico-berbère. Le décor géométrique de ces premiers bijoux révèle déjà un grand sens esthétique et une ingéniosité remarquable.

Imeqyasen – Bracelets en or (trésor de Tin-Hinan) Musée du Bardo

Le trésor de Tin-Hinan, mystérieuse reine du Hoggar (IIIᵉ siècle Ap-JC) -bracelets en or moulé, médaillons et colliers de cornaline- ainsi que les bijoux découverts dans les sites d’époque romaine et le «trésor» de Ténès, d’époque byzantine, composé de riches bijoux en or ciselé, sertis de pierreries, constituent de précieux documents sur la période antique.

De l’époque médiévale, peu de spécimens nous sont parvenus, mais les récits d’auteurs arabes nous décrivent longuement la splendeur et le luxe des cités maghrébines qui rivalisaient alors avec Baghdad et Cordoue. Dans ces cités, les industries de luxe, tissages brodés et bijouterie, connurent une grande prospérité.

Ibn-Khaldoun, rapportant l’envoi en Egypte, par le Sultan Abou Hassen de Tlemcen, d’une ambassade conduite par Arif ibn Yahya pour porter des présents au sultan de ce pays, écrit :

«Les cinq chevaux d’escorte avaient un mors en or pur. On remit au sultan une mesure de perles et de rubis».

Ardif – Anneaux de cheville en or Bgayeth – Kabylie XII siècle

Les bijoux d’or d’époque fatimide (Xᵉ), découverts à Tarabia, en Tunisie, les anneaux de cheville d’époque almohade (XIIᵉ) découverts à Bgayeth (Bougie) et les bijoux d’or exhumés récemment à la Forteresse des Aith Hammad (Qalâa des Béni-Hammad) nous fournissent quelques précisions. Le décor de ces bijoux, têtes d’oiseau affrontés de l’anneau de cheville, entrelacs des médaillons, ornementation épigraphique ciselée, feuilles d’acanthe et petites palmes striées du bracelet, rappellent les thèmes décoratifs de l’architecture de l’époque. Cette bijouterie a laissé une tradition qui se maintient encore.

Khemsa en or et perles (Pays chaoui – Constantinois)

Des débuts de l’époque turque (XVIᵉ siècle), il n’existe aucune trace de bijoux ; la fonte et la mode ont tout fait disparaître. Aucun document écrit qui puisse nous fixer sur la forme des bijoux en usage à l’époque. Sur le XVIIIᵉ et XVIIIᵉ siècles les renseignements sont plus nombreux. Des voyageurs ont, en effet, décrit le costume et les ornements de la citadine. Venture de Paradis, voyageur du XVIIIᵉ siècle, écrit : «Les riches citadines portaient sur leur tête de hautes coiffures travaillées, à leurs pieds des bracelets massifs très pesants. Elles s’en couvraient aussi les bras depuis la jointure du poignet jusqu’au coude».

Ces mêmes types de bijoux ont continué d’être fabriqués jusqu’au début du XXᵉ siècle. Quelques spécimens épargnés par la fonte ont trouvé abri dans nos musées et dans les collections particulières.

Plus près de nous, la bijouterie moderne a gardé, «cristallisés», les types répandus au Moyen-âge et sous la Régence :

Jeune femme de Bousaada (Aith Nail) portant la parure complète

les Ardif (rdaïf) à têtes de serpent affrontés et les anneaux d’oreille circulaires, encore portés de nos jours, ne sont pas sans analogie avec ceux découverts à la Forteresse des Aith Hammad ; les plaquettes triangulaires, semblables à celles de Tarabia, sont encore utilisées comme temporaux aussi bien à Djerba que chez les Aith Naïl (Ouled Naïl). Le bijou-fleur du XVIIᵉ, se maintient encore dans nos cités. Cette pérennité des formes et des décors est plus marquée en zone rurale qu’en zone citadine. À ces types se sont ajoutées des compositions nouvelles nées de la conjonction des décors traditionnels et des multiples apports véhiculés par les échanges commerciaux


2 – FONCTIONS DU BIJOU

Himcherrefth (Pays chaoui – Aurès)

Se parer fut d’abord un geste magique et le bijou fut à l’origine un talisman, une amulette destinée à se concilier la nature, à conjurer le mauvais sort, à protéger et à promouvoir la vie et la fécondité. Les formes mêmes des bijoux et leur décor —figures géométriques, thèmes cosmiques et animaliers— eurent un sens magico-symbolique. Le serpent, symbole de la science chez les anciens, avait, dans les croyances populaires, le pouvoir de favoriser le jaillissement des sources et l’éclosion des céréales. Le poisson, à cause de l’abondance de ses œufs, symbolisait la fécondité. Le triangle, représentant l’image féminine, symbolisait également la fécondité. Le motif cruciforme, la rosace, la main, l’œil, avaient le pouvoir d’éloigner le mauvais œil…

Ces thèmes ont aujourd’hui perdu de leur signification magico-religieuse et n’ont plus qu’une valeur esthétique. Cependant, en zone rurale, certains bijoux restent encore chargés de sens magique et même en zone citadine, les médaillons à inscriptions coraniques, les breloques porte-bonheur, khomsa et poisson surtout, gardent leur signification première de même que la valeur particulière que la femme attache à sa parure traditionnelle ne s’explique que par le symbolisme lié au bijou.

Mais, la faveur accordée à la parure tient surtout à sa signification sociale. Le bijou, tout comme le costume, était jadis, un moyen de paraître et d’exhiber sa fortune, un moyen d’indiquer son rang social. Fortune et rang étaient évalués à la quantité des bijoux portés par les femmes à l’occasion des mariages.

Achentouf asoltani (Hodna – Aith Nail)

De nos jours, la parure revêt encore autant d’importance. Les transformations sociales et les mutations économiques n’ont rien changé à la tradition ; en milieu citadin, souvent, la jeune fille ne travaille que pour amasser l’argent nécessaire à l’achat des bijoux traditionnels. Souvent aussi, les parents empruntent et s’endettent pour les acquérir. Le désir de paraître est si grand que, lorsque la famille ne possède pas assez de bijoux, on les emprunte aux autres membres de la famille, voire aux amis ou aux voisins. En zone rurale, les femmes manifestent la même passion pour la parure. Quel que soit le niveau de vie, les femmes possèdent des bijoux. Une paire de boucles d’oreille et de bracelets, au moins, pour vaquer aux travaux quotidiens, une parure plus complète pour les jours de fête et pour les mariages.

Les bijoux font partie de la dot de la jeune fille. Très tôt, on commence à constituer sa parure. Petite fille, on lui offre sa première paire de boucles d’oreille et sa première paire de bracelets. À l’occasion du premier jeûne, elle reçoit sa deuxième parure. Plus tard, lorsqu’elle se fiance, les parents du futur mari lui offrent plusieurs bijoux, bijoux qu’on exhibe devant les invités et dont on fait connaître le prix.

Fibule en maillechort ornée d’un cabochon de verre rubis (Pays chaoui – Aurès)

Jusqu’au jour du mariage, les beaux-parents lui envoient, à l’occasion de chaque fête religieuse, une parure appelée mhiba. Au moment du mariage, les parents de la jeune fille complètent la parure. Généralement, la mère offre à sa fille des bijoux qu’elle a, elle-même, reçus de sa mère.

Ces bijoux de famille se transmettent uniquement de mère à fille ; on ne les offre pas à la belle-fille.

Le jour de son mariage, la jeune fille exhibe sa parure complète. Pour la famille, la parure est un moyen de paraître et de faire étalage de sa fortune. Pour la mariée, elle prend un autre sens. Elle signifie que la jeune femme acquiert un statut social nouveau, qu’elle prend de nouvelles responsabilités, qu’elle accède à son rôle de maîtresse de maison.

Dans certaines régions, le lendemain de la cérémonie du mariage, le mari offre à sa femme le haqq el klam, ou bijou de la première parole. A l’occasion de la présentation de la mariée aux hommes de la famille, les proches offrent également des parures, c’est le haqq el khroudj. Plus tard, chaque acte important de la vie est marqué par un bijou. La naissance d’un enfant, d’un garçon surtout, est prétexte à offrir une parure à la mère, les fêtes religieuses également. Ces bijoux sont la propriété personnelle et sacrée de la femme. Ils sont son épargne et sa sécurité.

«lehadaïd lechadaïd» (les bijoux sont faits pour les temps de crise), dit la sagesse populaire. Se trouve-t-elle seule, démunie d’argent ; un malheur vient-il frapper la famille, la récolte est-elle mauvaise, elle vend un ou plusieurs bijoux.

Elle les remplacera quand les temps seront meilleurs. Sans perdre son rôle d’ornement, le bijou prend ici une signification économique. Les pièces de monnaie d’or transformées en collier ou en ceinture, les lourds anneaux de cheville qui ressemblent plus à des lingots d’or qu’à des bijoux, soulignent cette nouvelle valeur dévolue à la parure.

Plus qu’un futile objet d’ornement, plus qu’un objet de parade, le bijou a donc de multiples fonctions : magique, esthétique, sociale, économique, d’où l’importance du petit monde des bijoux comme document sur l’homme, sur la société, les mœurs, l’histoire.

3 – BIJOUX D’OR

Dans les cités, le besoin de paraître est grand. D’autre part, le bijou a, très tôt, été transformé en objet de placement. Aussi, les parures sont-elles en or rehaussé en pierres précieuses et de perles baroques. Tout dans le bijou, matière, dimensions, éclat, contribue à donner une impression de richesse, de somptuosité, d’opulence.

Jeune algéroise portant le khit er rouh

Les formes sont simples, bien adaptées aux parties du corps. Le décor reproduit tous les motifs de l’architecture : les arcs, les entrelacs, les nervures alternent avec les galons plats ou festonnés, les étoiles et les rosaces.

Le caractère très composite du style s’explique par l’histoire de nos cités. Au XVᵉ siècle, les artisans andalous re-viennent en Afrique du Nord enrichir les métiers d’art. Au XVIᵉ siècle, avec l’arrivée des Turcs, les industries de luxe comme la bijouterie connaissent une activité intense.

Toutes les villes ont leur quartier de bijoutiers ; Alger, alors capitale de la Régence, compte deux cents boutiques de bijoutiers.

D’autre part, les relations avec l’étranger se font intenses, les objets d’art affluent de toutes parts. Aussi, les productions artistiques s’enrichissent-elles d’apports nouveaux. Au substrat berbère caractérisé par les formes géométriques, s’ajoutent les palmes et les fleurons d’Andalousie, les volutes baroques, les coquilles et les nœuds d’inspiration européenne, les motifs floraux de Turquie.

Ces multiples éléments assimilés, réinterprétés, donnent naissante à un style citadin somptueux et délicat.

Ceinture en or (Hodna – Msila)

À Tlemcen, où les traditions se sont perpétuées, la parure nuptiale reste aussi somptueuse que par le passé. La mariée revêt le cafetan de velours brodé d’or et se couvre de bijoux traditionnels de la tête aux pieds. Une femme, heureuse en ménage, est chargée de l’habiller et de la parer.

La tête fait l’objet de soins tout particuliers. Elle est coiffée d’une Hchachith (chéchia) en velours, de forme conique, brodée de palmes et de fleurons d’or. Une longue écharpe de fine soie dorée Aâbrouq est disposée sur le front ; nouée sur la nuque, elle retombe en larges pans sur les épaules. Sur cette écharpe sont disposés, l’un au-dessus de l’autre, trois diadèmes (Adjbîni) en or, ciselés, incrustés de pierreries.

Khros (Pays chaoui – Constantine)

Sous les diadèmes, on ajoute plusieurs ferronnières Azerrouf composées de chatons d’or sertis d’éclats de pierreries. Les roses trembleuses Arracha accrochées à la hchachith rehaussent de leur éclat cette coiffe déjà somptueuse.

Deux temporaux Khros, composés d’anneaux d’or et de grappes de perles fines, s’accrochent aux tempes et couvrent les joues.

Le buste disparaît sous des colliers innombrables : colliers plastrons faits de soltanis ou de louis, enrichis d’un médaillon d’or et de pierreries (Azemerrad), longs colliers de perles baroques, chaîne d’or torsadée, boîtes à parfums filigranées et ornées de pierreries et de perles Hemeskith (Meska) suspendues au bout de longues chaînes.

Les avant-bras parés de dessins au henné sont couverts de bracelets ciselés, ajourés, gravés ou emperlés. Aux chevilles, la mariée, tout comme sa sœur de l’époque médiévale, porte une paire de Ibrimen en or, torsadés et ornés de têtes de serpent.

Fibule d’Alger

Le septième jour après le mariage, nhar el hzam (jour de la ceinture), la mariée ajoute à sa toilette aussi somptueuse que celle du premier jour, une fouta et une ceinture faite de plaques d’or ciselées.

Le port de la ceinture a, ici, une valeur symbolique. Il est le souvenir d’un rite de passage. La mariée, reine pendant sept jours, doit, à partir de ce jour, participer aux travaux de la maison.

Plus ouverte aux influences étrangères, Alger a moins bien conservé ses traditions ; le costume et la parure traditionnels, peu compatibles avec la vie active de la capitale, ont disparu.

Hchachith brodée d’or et achentouf

Jadis, la tête était coiffée d’une Hisermeth (sarma) d’or ou d’argent, de forme conique, décorée d’une savante composition de rinceaux entrelacés. La Hisermeth se portait sur une Hchachith pointue, en velours ou sur un bandeau de soie ou de crêpe noué derrière la tête, dont les pans retombaient sur les épaules.

Dans les mailles étaient piquées des roses trembleuses dont les scintillements enrichissaient la coiffe. La Hisermeth fut remplacée au XIXᵉ siècle par un foulard en soie bordé d’une frange Himehremth (Mharma) qui couvrait en partie la chevelure.

Le front était ceint d’une Haâsabth (Assaba) en argent incrustée de diamants et d’émeraudes dont les pendeloques descendaient comme une frange.

Khit Er Rouh Alger

Sous la Haâsabth, on disposait un kheit er rouh formé de fleurettes d’argent enchâssant des brillants taillés en roses. Seules ces deux pièces sont encore portées de nos jours par la mariée.

Anneaux d’oreille. Or et perles baroques (Pays chaoui – Constantine)

Des Himengach (mnaguech) de plus petite taille que la khorssa tlemcénienne, faites d’or et enrichies d’émeraudes, de rubis et de perles baroques, ornaient les oreilles. De nombreux colliers d’ambre, de pièces d’or ou de perles baroques enserraient le cou et couvraient le buste. Des fibules en or découpé, décorées de rinceaux retenaient le voile croisé sur la poitrine. Les chevilles étaient ornées de Ikhelkhalen (khlakhel) dont le poids pouvait, comme le dit une vieille chanson algéroise, atteindre deux livres.

Ainsi parée, la mariée devait rester immobile comme une statue, yeux baissés, serrant dans ses mains un foulard de soie brodé d’or.

Haasabth d’Alger

Hiâasabine (sg. Haâsabth), kheit er rouh, colliers et Ikhelkhalen (sg. Akhelkhal) étaient fabriqués entre autres, à Alger, qui comptait alors deux cents boutiques de bijoutiers groupés dans le Souq n iseyaghen (essyaghine) près de la rue de la Marine. Ces bijoux continuèrent d’être fabriqués par les artisans algérois réfugiés dans la haute Casbah jusqu’au début du XXᵉ siècle.

Khorsa. Boucle d’oreille (Telemcen)

Cirta (Constantine) fut aussi un centre important de la bijouterie. Les bijoutiers étaient jadis installés au Souq Al Asser et formaient, comme à Alger, une corporation surveillée par le contrôleur de la monnaie (Amine es-sekka), nommé par le bey. De nos jours, Cirta reste, avec Tlemcen, un des centres de fabrication les plus actifs. La tradition du bijou ancien y connaît une véritable renaissance.

Les artisans y font revivre les HImeskiyine (sg. Hemeskith) filigranées enrichies de perles et de pierreries, les khros, les himcherfine et les Ardif (rdaïf) à tête de serpents. Constantine approvisionne toute la région et la parure constantinoise se retrouve, avec certaines variantes, dans tout l’est du pays, de Sétif à Annaba jusqu’à Thagast (Souk-Ahras). Comme à Tlemcen, c’est à l’occasion du mariage que la mariée revêt la parure complète.

Dlala. Coiffe de la mariée (Annaba)

À Annaba, la parure de tête est somptueuse. Un bandeau de velours orné de soltanis, d’un motif circulaire et de deux immenses mains stylisées en or, est disposé sur le front.

Ce bandeau s’appelle Hadlalth (dlala) ; deux temporaux très décoratifs Imeqyasen sg. Ameqyas (Amaqfoul) s’accrochent de chaque côté à la Hadlalth. Une mentonnière Haqtinth (Qtina) formée de plusieurs chaînes d’or encadre le visage et s’accroche également à la Hadlalth de chaque côté des tempes.

Deux autres bijoux en forme de glands, composés de boules d’or et de fines perles, appelés Hichouchnine (chawchanate), s’accrochent un peu plus haut.

Le troisième jour, la mariée change de coiffe, elle porte une minuscule Hchachith conique, en velours, ornée de soltanis. La Hchachith est disposée sur la tête, de côté, en biais. Un ruban garni de pièces Ldjâm, encadre le visage et maintient la Hchachith.

Hchachith brodée d’or et mentonnière

Le front est ceint d’un Adjbini (djbin) de brillants et d’un kheit er rouh tout à fait semblables à ceux d’Alger. La chéchia se portait jadis sur un foulard à frange.

Comme à Tlemcen, le buste disparaît sous d’innombrables colliers : colliers d’or ornés de motifs en forme de grains d’orge, colliers de louis et de soltanis, collier de perles Imkhebbel (Mekhebel).

La pièce maîtresse est le Askhab, immense collier dans lequel les perles de pâte d’ambre alternent avec des motifs en or filigrané. Au milieu du collier est suspendue une énorme boîte à parfum en forme d’amande Hemeskith (Meska), décorée de délicates arabesques, en filigrane, enrichies de perles et de diamants. Le Askhab s’accroche à la Hajbibth (gandoura) sur chaque épaule.

Epingles trembleuse d’Alger

Les avant-bras sont surchargés de bracelets. Bracelets d’or ajourés ou d’argent sertis de diamants (Hdaïd), bracelets pleins ornés de motifs appliqués en relief (Msaïs). Une ceinture de plaques d’or ajourées ou de pièces d’or se porte avec la gandoura à partir du septième jour.

Askhab. Ambre et or + Meska. détail du Askhab (Pays chaoui -Constantine)

Des anneaux d’or ornés de tête de serpents aux extrémités, portés aux chevilles (Ardif), complètent cette parure somptueuse.

 4 – BIJOUX D’ARGENT

Jeune femme en costume tlemcenien

En zone rurale, sur les Hauts plateaux, dans les régions présahariennes et sahariennes, les bijoux, fruits d’un art plus rustique et plus spontané, nourri de traditions locales très anciennes, sont plus appréciés pour leur valeur esthétique et symbolique que pour leur valeur marchande. Ils sont généralement faits de maillechort ou d’argent.

Ce choix s’explique peut-être par le symbolisme initialement attaché à ces métaux, mais il est plus vraisemblablement dû au niveau de vie. L’argent est moins cher que l’or ; le maillechort, encore moins coûteux que l’argent.

En dehors des Aith Yenni (Beni-Yenni), où se pratique la technique savante des émaux filigranés, probablement importée des cités andalouses, les procédés de fabrication sont simples et le matériel archaïque : les bijoux sont généralement fabriqués au moule, ornés d’un décor ciselé, repoussé ou poinçonné.

Ardif – Anneaux de cheville (Hodna – M’sila)

Malgré cette simplicité des moyens et la pauvreté de la matière, les parures se caractérisent par leur force, leur beauté sauvage, l’harmonie de leurs lignes. Les formes sont sobres, le style moins composite que dans les villes, le décor souvent géométrique.

Cependant, il n’est pas rare de trouver, sur un bracelet des Aith Yenni, des volutes baroques, sur une boucle de ceinture du Sud un décor exubérant de coquilles et de rinceaux, sur une amulette de Tamanrasset un décor d’entrelacs.

Boucle de ceinture (Hodna – Msila)

Les échanges avec les villes et la mobilité des artisans nomades expliquent ces interférences. Jusqu’à une époque récente, dans certaines régions d’Algérie, les artisans bijoutiers étaient ambulants. Ainsi en était-il de certains membres de la fraction iheddadhen, qui travaillaient en été sur les Hauts plateaux entre Bordj-Bou-Arreridj et El-Eulma puis redescendaient en hiver vers M’Sila, s’installaient à Biskra et se déplaçaient de mechta en mechta pour restaurer et fabriquer des bijoux à domicile. Ces artisans ont répandu les types de bijoux que l’on trouve entre l’Aurès et les Babors.

Ainsi en était-il de certains artisans de Tiaret, de Laghouat, de Ghardaïa qui parcouraient la région et fabriquaient des bijoux sur place dans les ksours.

Cette mobilité des artisans rend le classement des bijoux difficile et ne permet pas de situer de façon précise le lieu d’origine de certains bijoux. Cependant, certaines régions comme les Aurès, la Grande-Kabylie, les Hauts plateaux, le Hoggar ont conservé des techniques traditionnelles particulières. Leurs bijoux présentent une unité stylistique et une personnalité originale.

ikhelkhalen cislés et ornés de coraille (Pays chaoui – Aurès)

Dans toutes les régions la parure se compose, à quelques différences près, des mêmes pièces ; seuls les noms changent.

Le diadème appelé Adjbini ou Haâsabth, composé d’une ou de deux rangées de plaques, fait le tour de la tête. De multiples pendeloques en forme de poissons ou de croissants descendent sur le front comme une frange.

La Haqtinth (chaîne mentonnière), faite de plusieurs rangs d’anneaux, encadre le visage, tombe sous le menton et s’accroche aux nattes compliquées des brunes chevelures.

Les anneaux d’oreille, ornés de dents de scie ou de chaînettes, passent autour de l’oreille et s’accrochent à la parure de tête.

Les fibules portent le nom de Habzimth (bzima) ; triangulaires ou rondes, découpées ou pleines, souvent reliées par une chaîne, elles retiennent les pans de la Himelhefth (melehfa). Les Hikhlaline sg. Hakhlalth (khelala-broche) fixent le voile sur les épaules.

Bracelets (Pays chaoui – Aurès -Biskra)

Les robes sont ceinturées de chaînes auxquelles s’accrochent de nombreux talismans. Les boucles de ceinture, volumineuses, ont des formes baroques.

Les bracelets, ajourés ou décorés de motifs appliqués, de motifs incisés ou de pointes, couvrent les avant-bras.

Les anneaux de chevilles présentent une grande variété ; les uns, lingots massifs tournés en fer à cheval, sont forgés au marteau. D’autres, ronds et creux, sont ornés à leurs extrémités de grosses boules sphériques ou de cubes à facettes. Certains contiennent des grenailles qui accompagnent la marche d’un joli tintement.

A – LES BIJOUX CHAOUIS (AURÈS)

Anneaux de cheville – Ardif (Pays chaoui – Aurès)

Les bijoux des Aurès ont gardé une originalité très grande. Les plus anciens ont l’aspect massif et sont ornés de cabochons de corail. Les bijoux plus récents frappent, au contraire, par leur légèreté, leur finesse et leur élégance.

La présence d’ateliers d’orfèvres est attestée depuis des temps très reculés. Les trésors découverts ici et là accidentellement ou lors de fouilles organisées, témoignent d’un art local très ancien. Transmis de génération en génération, ce savoir-faire existait encore jusqu’au XXᵉ siècle, notamment chez les Aith Saada Aith Abdi.

Haâsabth – Diadème (Pays chaoui – Aurès)

Composés de plaques creuses ajourées, ornés de motifs filigranées, de perles de verre rouge rubis et de chaînes, ils rappellent, par leur composition, des fragments d’architecture. Les plaques sont des silhouettes simples : cercles, rectangles, losanges ou fuseaux. Les chaînes, très longues et multiples, jouent un rôle important dans l’agencement des bijoux.

Faites d’anneaux ronds, enfilés les uns aux autres, elles marquent les axes et les jointures. À leurs extrémités sont accrochées des breloques minces et légères affectant des formes de croissant, de langues d’oiseau, de peignes, de mains stylisées et de vrilles.

Ces formes et ces motifs, nés à une époque où l’art avait un caractère religieux, eurent jadis un sens symbolique très affirmé. Ce sens s’est, au fil des ans, atténué et les figures n’ont plus, aujourd’hui, qu’une valeur esthétique.

Hiâlaqin – Hichenchounine -Pendant d’oreille(Pays chaoui – Aurès)

La femme chaouie, caractérisée par une élégance naturelle, se pare avec beaucoup de recherche ; elle aime les boucles volumineuses. Les Hiâellaqine ou hichenchounine, une des plus anciennes, a un anneau de dix centimètres de diamètre sur lequel sont enfilés des boules sphériques alternant avec des motifs losangiques en filigrane.

Les longues chaînes suspendues à l’anneau, tombant en grappes, interrompues en leur milieu par des breloques en forme d’étoile en font un bijou très décoratif. Le mot achenchen désigne le tintement des chaînes et des breloques.

La Himecherreft est ornée de dents de scie. C’est le bijou le plus répandu dans le pays chaoui ; les Aurès, Le Constantinois, et dans le Sud. Elle peut peser jusqu’à soixante-dix grammes. Elle est alors soutenue par un ruban ou une chaîne passant sur la tête.

Himcherrefth à décor symbolique (pays chaoui – Aurès)

Celle que nous présentons offre un riche décor ; oiseaux, main ornée d’un poisson, coquille, et fleurs. Le décor a, ici,-un sens symbolique. La colombe est un messager de paix, la main éloigne le mauvais œil, le poisson est un symbole de fécondité et un porte-bonheur.

La lekhras ikhf n-figher (khorsa ras hnech – boucle à tête de serpent) est un gros fil d’argent rond, recourbé et aplati à l’une des extrémités en forme de tête de serpent stylisé. Un motif creux en forme d’amande, orné d’une grosse perle de verre rubis et de motifs filigranés, est soudé à l’autre extrémité.

Haâlaqth -Pendant d’oreille(Pays chaoui – Aurès)

Une des pièces les plus anciennes est le Askbab, collier d’aspect massif composé de perles de couleur marron, d’éléments creux et fuselés en argent et de perles de corail. De lourdes mains d’argent sont suspendues au milieu du collier. Une plante odoriférante, sert à la fabrication des perles de couleur marron.

L’Aurasienne les fabrique elle-même. Elle broie les graines de cette plante avec des clous de girofle et malaxe le tout à l’aide d’un peu d’eau safranée. Quand la pâte est à demi sèche, elle la divise en petits morceaux de forme pyramidale. Lorsque les morceaux sont presque durs, elle les troue de part en part de manière à pouvoir y passer un fil. Ainsi, Askhab conserve très longtemps une odeur forte et pénétrante.

La Hcherketh (cherka), plus légère, est composée de plusieurs rangées de chaînettes reliées par des motifs ornés de cabochons rouges desquels se détachent de longues chaînes formant plastron. Elle se porte au ras du cou.

Aqerran (Pays chaoui – Aurès)

Le Aquerran constitue une très belle parure. Il se compose de deux fibules rondes reliées par un ensemble de chaînes à trois disques formant le motif central. Disques et fibules sont ornés de boutons d’argent alternant avec des cabochons de verre rubis. Comme dans la Hcherketh, de longues chaînes, se détachant des disques pour retomber sur la poitrine, ajoutent à l’élégance du bijou.

Askhab (Pays chaoui – Aurès)

Les Hinâassine (Naâassa) est un ornement de la coiffure. Elle se compose d’un triangle orné de fils torsadés, quatre cabochons de verre rubis l’éclairant. Ses longues chaînes interrompues par un motif en forme de barrette ruissellent sur la joue.

Les bracelets ornés de fleurettes et de boutons en relief, ou de gros cabochons de verre rubis, se portent par six à chaque bras.

Les larges chevillières décorées de fleurs stylisées, incisées, et les Ardif en forme de serpent complètent la parure.

B – BIJOUX DE KABYLIE

L’art de fabriquer les bijoux est fort ancien en Kabylie. On y dénombrait au XIXᵉ siècle 130 ateliers d’orfèvres et d’armuriers.

Hibzimin – Fibules (Kabylie Aith Yenni)

La tradition de l’orfèvrerie s’y est conservée jusqu’à nos jours dans de nombreux villages et dans les villes. Mais le centre de fabrication le plus important est constitué par les petits villages de Aith Larba, Taourirt-Mimoun, Aith-Lahsen et Taourirt El-Hadjadj, perchés au sommet des pitons des Aith-Yenni, en Grande-Kabylie. Ces villages sont célèbres par leurs bijoux d’argent ornés de cabochons de corail et surtout par la technique des émaux filigranés. Cette technique «savante» a été probablement introduite au XVᵉ siècle par les émigrées andalous, à Bougie, alors «centre de culture et d’élégance citadine».

Achentouf – Collier fait de pièces d’argent et de corail (Kabylie)

Abandonnée plus tard par les artisans de la ville, elle s’est réfugiée chez les Aith Yenni où les artisans, conscients de l’importance de leur tradition, la conservent jalousement et se transmettent le métier de père en fils depuis des siècles.

Les parures sont en argent massif. La «rudesse» de leurs formes contraste avec le raffinement du décor. Le filigrane en est l’élément essentiel. Il dessine des chevrons, des lignes brisées et des figures géométriques simples, quelquefois des lignes ondulées ou festonnées.

Hazlagt m lherz – Collier (Kabylie)

Des granules d’argent s’ajoutent au décor filigrané ; le corail rehausse de sa couleur chaude les reflets mat de l’argent. Mais, c’est surtout à l’éclat des émaux bleus, verts et jaunes, que les bijoux des Aith Yenni doivent leur originalité. La polychromie délicate des émaux s’alliant à l’éclat discret des coraux et les multiples pendeloques suspendues à la partie inférieure des bijoux, en font des pièces très décoratives.

Comme dans les cités, c’est le jour de son mariage que la jeune fille revêt sa parure complète, parure achetée grâce à la dot versée par le futur époux.

Collier (Kabylie Aith Yenni)

Un premier foulard de soie, noir et jaune, est noué sur son front. Un second foulard noir est disposé, en bandeau, par-dessus le premier. Le diadème, pièce importante de la parure, est disposé sur le bandeau. Trop encombrant et d’un coût prohibitif, il est aujourd’hui abandonné par les jeunes femmes.

La Timelhaft est maintenu sur les épaules par de larges fibules triangulaires finement ornées d’émail sur deux faces. Une chaîne agrémentée au centre d’une boîte émaillée relie les fibules entre elles.

Habzimth – Fibule (Kabylie)

Une petite fibule ronde, l’Idwiren, montée généralement sur une pièce de monnaie, est épinglée au foulard, sur le côté. Les grandes boucles d’oreille (Letrak), qui se portaient jadis sur le lobe supérieur, ont disparu depuis le début du siècle.

On leur préfère les petits anneaux ornés de cabochons de corail ou de calottes émaillées, plus faciles à porter. Et les Tigwematin, composées d’une plaque circulaire émaillée sur les deux faces, agrémentées d’une sertissure de corail et de huit chaînettes d’argent terminées par une perle de corail.

C – BIJOUX TARGUIS

Femme portant la parure complète (Pays Touareg – Hoggar)

Les bijoux targuis sont d’une extrême sobriété et d’une grande beauté. La simplicité des formes, réduites presque uniquement au triangle, au losange et au rectangle, le caractère dépouillé du décor exclusivement géométrique et graphique confèrent à ces bijoux un aspect sévère.

La pièce maîtresse de la parure est le Tereout, grand pendentif pectoral formé de triangles de différentes dimensions sobrement décorés de motifs incisés, pièce que la femme targuie revêt généralement le jour de son mariage.

Porte amulette (Pays Touareg – Hoggar)

Le pendentif appelé Tereout n azref a une signification magique plus marquée. Trois amulettes, en charnière sur un triangle, le compose. L’amulette centrale, de forme carrée, ornée de dessins ciselés et de cinq clous est destinée à éloigner le mauvais œil. Les deux autres sont en forme de losange.

La femme targuie maintient son voile bleu à l’aide d’une clef quelle attache à la partie inférieure.

Dans les colliers, la fantaisie se donne libre cours. Chaînes d’argent et pendeloques, perles de corail et boîtes émaillées, mains d’argent et pièces de monnaie entrent dans leur composition ; c’est le seul bijou que la femme peut confectionner sans l’aide du bijoutier.

Bracelet ornés de boules (Pays Touareg)

Les bracelets sont de purs joyaux. La mariée en porte plusieurs, côte à côte. Amechloukh, orné d’émaux filigranés et de sertissures de corail, est le plus répandu. Le Dhuh, de plus grandes tailles, ornées d’un décor «repoussé», est plus ancien et plus rare.

Les chevillières au décor ciselé, émaillées sur une seule partie, ont été abandonnées en raison de leur grande taille. Les plus anciennes présentent un rétrécissement dans la partie centrale.

Hereout – Grand pendentif (Pays Touareg – Hoggar)

La grande fibule ronde (Ibzimen), pièce maîtresse de la parure, est offerte par le mari à l’occasion de la naissance du premier garçon. Elle est portée sur le foulard au milieu du front.

Ces clefs, véritables bijoux, ont des formes très artistiques. Les bracelets présentent une grande variété. Les uns sont ornés aux extrémités de cubes à facettes décorés au poinçon. D’autres sont couverts de losanges, de boules, ou encore sont hérissés de tiges.

Bagues (Pays Touareg)

Les bagues ont des formes curieuses : bagues à chaton en tronc de cône, bagues à chaton rond orné de boules d’argent, bagues à chaton ouvrant, contenant du musc ou des pommades embaumées, bagues à grenailles destinées à faire entendre un tintement.

Clé de voile targui (Pays Touareg)

La plus étrange est la bague en forme de pyramide de sept étages, dont le diamètre atteint quatre centimètres et la hauteur cinq centimètres. Cette bague servait probablement d’arme défensive.

Présentation : Bassem ABDI

Référence :
Farida BENOUNICHE : Bijoux et parures d’Algérie – Collection “Art et Culture”