Le signe Yaz
Un arbre de vie, digne symbole culturel.
On sait que l’arbre, miroir végétal du monde humain, devient souvent une allégorie culturelle caractérisant, selon la latitude et le climat, l’essence même d’un groupe ethnique. Il y a le baobab africain et même australien, mais aussi le séquoïa de la côte pacifique américaine, le cèdre libanais, l’érable canadien, le cerisier japonais, le saule pleureur chinois, le chêne druidique, le ficus du sous-continent indien…
Ce jour de Nouvel An amazigh semble être une occasion propice pour une réflexion sur un signe identitaire berbère devenu un symbole d’appartenance culturelle.
Le drapeau berbère (amazigh).
Sociologiquement parlant, l’Afrique du Nord, dans son étendue géographique continentale, de l’Égypte occidentale aux îles Canaries, est la terre berbère d’un peuple qui se dénomme lui-même les Imazighen [ⵉⵎⴰⵣⵉⵖⵏ]. En langue Tamazight, cela se traduit par “les hommes libres”. Le singulier du mot est Amazigh [ⴰⵎⴰⵣⵉⵖ]. Il est important de s’arrêter sur l’écriture Tifinagh pour comprendre ce qui suit. Le Tifinagh est un système alphabétique aussi ancien que le phénicien.
Le signe Yaz [ⵣ] – correspondant au /z/ – se situe au cœur de la racine du mot. Si l’on observe les éléments du drapeau amazigh, on remarque que le [ⵣ] relie les trois environnements géographiques du monde amazigh. Les deux demi-sphères du cercle originel pointent l’une vers le nord (la Méditerranée), l’autre en direction du sud (le Sahara). Symboliquement parlant, ces deux ensembles sont liés par un axe vertical. Cet axis lundi est un trait humanitaire universel. On le retrouve par exemple dans le symbolisme de l’obélisque égyptien ou le totem amérindien.
Bien évidemment, l’arbre appartient à la symbolique axiale. C’est pour cela qu’il est devenu un moyen d’identification culturelle. Ainsi, dans les sociétés africaines au sud du Sahara, “l’arbre à palabres” (un baobab) s’élève toujours au centre du village. Les Celtes s’identifiaient au chêne, tandis que les Samis, venus des steppes d’Asie centrale, ont adopté le bouleau.
Dans le monde berbère [Tamazgha, ⵜⴰⵎⴰⵣⵖⴰ] l’arbre de référence est l’olivier. Le mot “olivier” en Tamazight s’écrirait ainsi: [Tazemourt, ⵜⴰⵣⴰⵎⵓⵔⵜ]. Or, le mot “homme” donnerait: [ⴰⵔⴳⴰⵣ]. Chaque fois, le Yaz [ⵣ] s’inscrit dans l’orthographe de ces mots, comme s’il s’agissait d’une racine phonétique bien ancrée dans la langue.
Le signe Yaz [ⵣ]
Le Yaz est devenu le signe de ralliement culturel de tous les Berbères. Il apparaît au centre du drapeau amazigh (voir l’image). L’interprétation identitaire paraît intéressante sur plusieurs plans. Hormis, la connexion linguistique qui vient d’être faite, si l’on considère l’image colportée par [ⵣ], on peut y voir un signe symbolique possédant quatre interprétations juxtaposées.
1-Tout d’abord il se compose lui-même de trois éléments: un trait vertical reliant deux demi-sphères opposées. Sur un plan spirituel, la demi-sphère inférieure est tournée ver le bas, la Terre; celle de la partie supérieure est orientée vers le haut, le Ciel ou le Cosmos.
2-Le signe Yaz correspond à l’image simplifiée d’un arbre. C’est donc le signe d’un arbre de vie amazigh.
3-Or, on a vu que l’image de l’arbre se substitue souvent à celle de l’Homme. D’ailleurs, les familiers des danses berbères savent justement que l’on danse les bras levés en équerres, exactement de la même manière.
4-Par ailleurs, le Yaz arbore une couleur rouge sang. C’est une manière supplémentaire d’afficher une consanguinité ancestrale.
Il n’est donc pas étonnant que ce signe soit devenu un symbole berbère généralisé, dépassant les frontières géographiques traditionnelles de l’Afrique du Nord.
Le symbolisme de l’olivier chez les Berbères.
Un échange épistolaire sur ce sujet avec Bassem Abdi permet d’aller plus loin sur la question des racines culturelles. Voici ce que Bassem écrit:
l’olivier est hautement symbolique dans la culture et les croyances berbères. Jusque dans les années 90, on lui vouait un culte lié à la divinité Anzar, en y faisant des offrandes, des prières et des incantations suivies de repas collectifs aux abords de ces oliviers millénaires. L’olivier était aussi lié au culte des génies très répandu chez les Berbères, au même titre que les rivières/sources d’eau ou encore les grottes. Ces croyances, biens que de moins en moins pratiquées, restent ancrées dans les esprits”.
Cette remarque permet donc d’y ajouter une connexion historique avec la civilisation grecque, liée d’une certaine manière aux mythes de l’Afrique du Nord.
En effet, on sait que l’olivier était l’arbre d’Athéna [Ἀθηνᾶ]. Déesse aux multiples talents, dont celui de la sagesse, Athéna est le fruit des amours de Zeus et de Métis [Μῆτις, en grec veut dire la ruse]. Née, après quelques avatars olympiens, elle surgit tout en armes du crâne de son père. Afin d’échapper à la jalousie d’Héra, elle passera sa jeunesse sur les bords du lac Triton, dans le sud tunisien, avant de devenir la protectrice d’Athènes. Un concours l’opposa à Poséïdon [Ποσειδῶν]. Elle remporta la victoire en plantant un olivier sur l’Acropole d’Athènes. Cet arbre méditerranéen est un symbole d’immortalité, de force et d’abondance. C’est aussi un symbole de victoire. À Olympie, on offrait une couronne d’olivier aux vainqueurs. C’est aussi un symbole de fidélité: le lit d’Ulysse et de Pénélope était en bois d’olivier. Dans la Bible, Dieu utilise un rameau d’olivier pour signifier à Noé la réconciliation à la fin du Déluge. De fil en aiguille l’emblème de la paix est une colombe portant une branche d’olivier dans son bec.
S’il est un arbre qui s’identifie à une terre nourricière, c’est bien l’olivier, présent partout en Tunisie. En d’autres termes, cet olivier est un autre trait d’union méditerranéen.
Toute identification symbolique se fait à travers un inconscient collectif. Cela révèle ensuite la volonté d’une véritable appartenance culturelle. Après la période post-colonialiste, le peuple amazigh s’est mis en quête de rechercher sa véritable identité. Le panarabisme post-colonial a été rejeté, puisqu’il ne répondait plus aux questions identitaires ancrées dans la langue et les traditions vernaculaires. L’histoire et la science ont peu à peu révélées les racines originelles d’un peuple à la recherche de sa propre identité. Alors, comme c’est souvent le cas, cette quête se cristallise sur un signe de ralliement symbolique.
C’est ainsi qu’il faut voir l’effigie du Z berbère: une sorte d’Arbre de Vie identitaire.
Christian Sorand
Albufeira, janvier 2021