Le mythe d’origine orientale des berbères à travers l’histoire
Certains nord-africains demeurent jusqu’à aujourd’hui attachés au mythe de l’ascendance arabe et croient dur comme fer qu’ils sont originaires de la péninsule arabique. Pourtant, la science et notamment la génétique a tranché la question : l’apport génétique des arabes en Afrique du Nord est insignifiant.
Un mythe qui a traversé les siècles
Le fait que les berbères se soient toujours réclamés d’une origine arabe est admis par la majorité des historiens. Que ce soit pour légitimer l’usurpation d’un pouvoir, de rehausser leur prestige, ou tout simplement pour échapper aux impôts, les tribus berbères ont toujours affirmé leur rattachement à la nation arabe à travers des ancêtres légendaires.
Ibn Khaldun lui-même accepte l’authenticité de cette filiation pour certains, les tribus Koutama et Sanhadja, mais reproche aux Zenata d’avoir de fausses prétentions à une origine arabe, prétentions motivées , d’après lui , par le mépris qu’ils éprouvent envers leur propre race berbère, qu’ils considèrent comme servile et dédaignée .
Henri BASSET explique ce mythe d’origine en ces termes : « C’est surtout du côté des Arabes que les tribus rougissant d’être berbères cherchèrent une origine plus relevée. Les Arabes réunissaient ce double prestige d’être les derniers conquérants, les vainqueurs des chrétiens, et le peuple d’où était sorti le Prophète de l’Islam, le peuple glorieux par excellence. A découvrir cette origine, le commun fut aussi ardent que les savants. Ceux-ci travaillaient laborieusement : dans la longue suite des ancêtres berbères, ils cherchaient à introduire un homme qui, venu d’Orient en un temps très lointain, et marié à une fille du pays, aurait laissé une postérité nombreuse : la tribu qu’il s’agissait d’anoblir. De cet ordre était la tradition qui expliquait l’origine du grand groupe zenatien : groupe berbère, pourtant, s’il en fut. Ou bien, on supposait une émigration en masse de tribus du sud de l’Arabie. Zenata, Senhadja, Ketama, tous les grands groupements avaient leurs généalogistes, dont l’un des principaux soucis, […] était justement de prouver l’origine arabe de la tribu. » (1)
La querelle des généalogistes berbères et arabes en Andalousie
C’est dans l’Espagne musulmane que le mythe d’origine orientale des berbères va prendre tout son essor. Les circonstances qui ont présidé à son apparition sont la constitution de royaumes berbères indépendants, l’éclatement de manifestations de berbérophobie et la crise du califat de Cordoue. (2)
La présence accrue des berbères en Espagne va bouleverser l’équilibre de l’Andalousie et susciter la montée d’un sentiment anti-berbère qui va dégénéré en «… des batailles sanglantes entre Arabes et Berbères d’Andalousie au Xle siècle, épisode connu sous le nom al-fitna al-barbariya » d’après Ibn Khaldoun .
Ces évènements vont favoriser l’apparition de deux groupes opposés de généalogistes : berbères et arabes. Et curieusement, se sont les généalogistes berbères qui vont s’employer à prouver l’ascendance himyarique (yéménite) de leur race. Ainsi, comme le dit Henri Basset, ces généalogistes ne se sont consacrés à l’étude de leurs ancêtres berbères que pour mieux les renier.
Les généalogistes arabes, vont , quant à eux dénier cette appartenance orientale aux Berbères , comme l’explique leur chef de file Ibn Hazm : « Quelques peuplades berbères veulent faire accroire qu’elles viennent du Yémen et qu’elles descendent de Himyar ; d’autres se disent des descendants de Berr,fils de Cais ; mais la fausseté de ces prétentions est hors de doute : le fait que Cais ait eu un fils nommé Berr est absolument inconnu à tous les généalogistes ; et les Himyarites n’eurent jamais d’autre voie pour se rendre au Maghreb que les récits mensongers des historiens yéménites ».
L’exemple de la tribu Zenata
L’activité politique se trouve jumelée, écrit Maya Shatzmiller , avec l’apparition des récits généalogiques que les groupes en question trouvent nécessaires à l’anoblissement de leurs origines et à la légitimation de leur avènement . L’exemple de la tribu Zenata illustre bien cette réalité historique.
La révolte de «l’homme à l’âne», et l’installation des Zirides à Grenade, des Aftasides à Badajoz, des familles zenatiennes des Birzalides à Carmona, Benni Demmer à Moron, Banu Corra à Ronda fit naître des traditions généalogiques et contribua au développement de cette littérature(3).
A partir du moment où les Zenata accèdent au pouvoir, leur appartenance arabe est aussi établie que celle des Sanhadja ; al-Idrisi (né 493/1100) leur attribue ce que Ibn Khaldoun leur a dénié : «Voici la généalogie des Zanata : Djana, le père de tous les Zanata, était le fils de Dharis, ou Djalout, qui fut tué par David. Dharis était fils de Luwa… fils de Berr fils de Cais fils d’Elyan fils de Modhar. Par conséquent, les Zanata étaient originairement des Arabes de race pure, mais par suite des alliances qu’ils ont contractées avec les Masmouda leurs voisins, ils sont devenus eux-mêmes Berbères».
Henri Basset cite d’autres exemple « Quant aux généalogies particulières que possèdent certaines familles, nombreuses sont celles qui appartiennent aussi à la catégorie des légendes historiques ; surtout quand il s’agit de chérifs. Il arriva bien souvent, lorsqu’une famille berbère s’empara du pouvoir, qu’elle chercha, soit pour justifier son usurpation, soit simplement pour rehausser son origine, à se rattacher au Prophète. Ainsi firent par exemple les Beni Zeiyan qui régnèrent à Tlemcen, à l’époque où les Beni Alerin, d’autres Zenata encore, s’étaient emparés de Fès. Et pourtant le fondateur de cette dynastie, Yaghmorasen, portait un nom bien berbère et ne savait guère que cette langue. »
Avant eux, Ibn Toumert, issu d’une tribu du Sous, celle des Hergha, appartenant au groupe montagnard des Maçmouda , s’est proclamé « Mahdi », se prétendait par là même petit-fils du Prophète. Ses disciples ont alors manipulé sans vergogne sa généalogie pour le rattacher à la descendance du Prophète et en faire, donc, un chérif.
Plus tard les Almohades attribuèrent une ascendance ‘Alide à la famille régnante, le culte d’Idris se propage au Maroc à partir du XVIe siècle, et c’est à partir de ce moment que le mot « Chérif » ( charif, ou sharif .ect) surgit sur les épitaphes funéraire des dynasties du Maroc .
Mythe d’origine et maraboutisme
Le mythe d’appartenance est, comme on l’a vu, intimement lié à des enjeux de pouvoir. Ainsi les tribus berbères (surtout les arabisées) , ont-elle crées et entretenues une ascendance arabe chérifienne qui leur confère une auréole maraboutique et leur assure respect et considération parmi les tribus environnantes. C’est dans ce contexte, on comprend pourquoi les turcs, les français par la ensuite avaient pris grand soin de ménager la classe de ces chérifs en l’exonérant d’impôts et en les comblant des avantages sociaux pour se les rallier. (4)
Le mythe d’origine ne touchait pas seulement des tribus, bientôt des familles eurent leur titre de noblesse par le truchement de généalogies fantaisistes établies par de cupides apocryphes.
Les historiens et berbérisant occidentaux, ne furent pas dupes de cette supercherie. Henri Basset remarque qu’on s’ingéniait systématiquement à trouver cette origine illustre «à bien des marabouts berbères sitôt qu’ils devinrent célèbres. Ainsi Moulay ‘Abd es-Selam ben Mechich, le grand saint des Jbala ; le nom de son père, qui signifie le chat, en berbère, la présence dans la liste généalogique de nombreux ascendants dont le nom n’a rien d’arabe, ne rebutèrent pas les généalogistes zélés. Au reste, la tâche était facile ; en ces matières, il suffit généralement d’affirmer pour être cru sur parole. La même foi robuste règne encore aujourd’hui, et aussi la même tendance à se rattacher au fondateur de l’Islam. »
Mais ces prétentions ne sont point l’apanage des seules grandes familles ; « innombrables sont les chérifs misérables qui errent dans tout le Maroc, ne rougissant pas, malgré la haute origine qu’ils s’attribuent, de se livrer aux plus infimes métiers ; mais tenant essentiellement au titre de Moulay, que leurs coreligionnaires ne leur refusent d’ailleurs pas. Beaucoup de ces chérifs ne savent pas un mot d’arabe : ils ont eu le temps de l’oublier depuis tant de générations ! » Note-il.
Conclusion
L’histoire de la conquête posait un problème de conscience et d’identité historique pour les Berbères, car leur résistance pouvait être interprétée comme un refus de l’Islam (5). Dihya , Aksel , ne sont-ils pas considérés aujourd’hui encore comme kouffar (infidèles) par certains intellectuelles qui s’opposent à leur réhabilitation ?
Le mythe de l’origine arabe des berbères a joué un rôle d’accélérateurs dans le processus de l’arabisation de l’Afrique du nord. Entretenu encore aujourd’hui par une élite fortement acculturée, déterminée à « répudier toute liaison avec leur souche berbère », comme les Zenatas du Xe siècle. Ce mythe est l’expression de la haine de soi, la soumission et l’infériorité admise, par ces élites envers les arabes, qui représentent, à leurs yeux, le seul modèle à imiter.
Jugurtha Hanachi
(1) Henri BASSET .Essai sur la littérature des berbères, 1920.
(2) Maya Shatzmiller .Le mythe d’origine berbère (aspects historiques et sociaux) In: Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, N°35, 1983.
(3) ibid
(4) Abdelhamid ZOUZOU : «L’Aurès au temps de la France coloniale. Evolution politique, économique et sociale (1837-1939)». Alger, Ed. Houma, 2001.
(5) Maya Shatzmiller .Le mythe d’origine berbère ….