Le CMA condamne les discriminations anti-Amazighs à l’ONU

Le Comité onusien pour l’élimination du racisme et des discriminations raciales (CERD) a examiné en séance publique, le rapport périodique présenté par l’Etat algérien, les 22 et 23 novembre 2017 au siège du Haut Commissariat aux droits de l’homme à Genève. La délégation algérienne était composée de huit membres et conduite par M. Lazhar Soualem, Directeur des Droits de l’Homme au Ministère des Affaires Etrangères.

En tant qu’ONG de protection et de promotion des droits des Amazighs, le Congrès Mondial Amazigh (CMA), a présenté à cette session du CERD, son rapport alternatif sur « le racisme et les discriminations anti-Amazighs en Algérie ». Avant l’audition de la délégation algérienne par le Comité CERD, les représentants du CMA, Kamira Nait-Sid, Présidente et Mohammed Dabouz, membre, ont dialogué avec les experts du CERD sur les violences, le racisme institutionnel et les discriminations exercés par les autorités algériennes à l’encontre des Amazighs. D’autres ONG ont assisté à ces échanges et ont présenté des rapports alternatifs sur l’Algérie.

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Lors de son allocution introductive, le chef de la délégation algérienne a longuement présenté de manière partiale et largement falsifiée, la situation des droits humains en Algérie. D’après lui, il n’y a pas lieu de parler de violations des droits humains, ni de racisme, ni de discriminations en Algérie mais au contraire, les citoyen-nes de ce pays jouissent de tous leurs droits et libertés, dans un Etat de droit. Alors que l’Etat d’obédience arabo-islamique mène une politique implacable de désamazighisation du pays, M. Lazhar Soualem ose affirmer que «l’Algérie se réapproprie chaque jour sa dimension amazighe ». Cela n’a pas trompé les experts du CERD qui, dans leurs conclusions, n’ont pas manqué de mettre l’accent sur leurs nombreuses inquiétudes avant de présenter à la délégation algérienne leurs exigences pressantes, notamment sur la question amazighe.

  1. Le Comité CERD « regrette l’absence, dans le rapport de l’État partie, de données statistiques et socioéconomiques sur les groupes ethniques existant dans le pays » et par conséquent il réitère sa recommandation faite à l’Etat partie dans ses précédentes observations finales (CERD/C/DZA/CO/15-19, para. 10) de lui communiquer toutes données pertinentes sur la situation économique et culturelle et les conditions de vie relatives à la population du pays.
  1. Le Comité se dit « préoccupé par les informations faisant état de discours de haine raciale par des personnes publiques, notamment, à l’égard de certaines populations amazighes ainsi qu’à l’égard des migrants ». Il recommande donc vivement à l’Etat algérien de condamner et de se distancier de tout discours ou propos de haine prononcé par une personne publique, ainsi qu’à l’égard de certaines populations amazighes et de tout groupe ou toute personne vulnérable. En outre, le Comité recommande à l’Etat partie de prendre des mesures efficaces afin que tout propos ou tout acte de violence à caractère raciste ou la provocation à de tels actes, dirigés contre toute race ou tout groupe de personnes d’une autre couleur ou d’une autre origine ethnique, fassent l’objet d’enquêtes, de poursuites et de sanctions.
  1. Le Comité est préoccupé par le fait que Tamazight n’est pas encore utilisée dans toutes les administrations, les tribunaux, les services sociaux et autres services de l’Etat et que la loi organique prévue à l’article 4 de la Constitution n’ait pas encore été adoptée. Tout en prenant en considération l’engagement pris par l’Etat partie d’entreprendre les efforts nécessaires pour l’harmonisation du Tamazight, le Comité note que cette langue officielle est enseignée à partir de la 4e année de l’école primaire, est une langue optionnelle d’enseignement et que l’Académie algérienne de la langue tamazight n’est pas encore mise en place. Le Comité reste également préoccupé par le refus encore opposé à certaines familles d’enregistrer leurs enfants à l’état civil avec des prénoms amazighs. Le Comité est également préoccupé par certains rapports selon lesquels certains sites historiques ayant une valeur culturelle pour les Amazighs n’aient pas été préservés (art. 5). En conséquence de quoi, le Comité CERD exige de l’Etat algérien :
  2. a) D’adopter, au plus vite, la loi organique prévue à l’article 4 de la Constitution;
  3. b) D’accélérer l’introduction et l’utilisation effectives du Tamazigh comme langue officielle dans les administrations, les tribunaux, les services sociaux et autres services de l’Etat;
  4. c) D’établir l’académie de la langue amazighe et de la doter de ressources nécessaires à son fonctionnement;
  5. d) De s’assurer que tous les officiers d’état civil enregistrent les prénoms amazighs sans discrimination ; et
  6. e) De prendre les mesures nécessaires afin de protéger tout le patrimoine culturel de l’Etat partie y compris les sites historiques et archéologiques ayant une valeur culturelle pour les Amazighs.
  1. Au chapitre de la marginalisation socioéconomique des Amazighs, le Comité regrette que le gouvernement algérien ne lui ait pas fourni des informations sur les mesures prises pour réduire les disparités régionales qui continuent d’affecter les régions habitées par les Amazighs, ainsi que le Comité l’avait demandé dans ses précédentes observations finales (CERD/C/DZA/CO/15-19, para.15). Il reste préoccupé par la marginalisation continue dont sont victimes ces régions et les informations relatives aux obstacles administratifs à l’investissement privé dans ces régions (art. 5). Le Comité réitère donc sa recommandation (CERD/C/DZA/CO/15-19, para. 16) faite à l’Etat partie dans ses précédentes observations finales, d’accroître ses efforts d’investissement dans les régions les plus marginalisées, en particulier celles où vivent les populations amazighes. A la lumière de sa recommandation générale No. 32 (2009) sur la signification et la portée des mesures spéciales, le Comité recommande au gouvernement algérien d’envisager d’adopter des mesures spéciales visant à amener les populations vivant dans ces régions au même niveau de vie que le reste de la population.
  1. Concernant le Mzab, le Comité s’est dit préoccupé par les violences répétitives entre les Mozabites ibadites et Chambas arabophones sunnites qui ont eu lieu notamment entre 2013 et 2015 et qui ont engendré des décès et la destruction de biens, en particulier de la communauté mozabite. Le Comité est également préoccupé par les informations faisant état de l’implication des forces de sécurité dans ces violences et de l’impunité dont auraient bénéficié certains groupes suite à ces incidents. Tout en notant les informations reçues à l’issue du dialogue avec la délégation de l’Etat partie, le Comité regrette néanmoins le caractère incomplet de ces informations s’agissant notamment des mesures prises pour enquêter sur ces évènements, sanctionner les personnes responsables de ces actes ainsi que les mesures prises pour prévenir leur répétition (art. 2, 5). Le Comité recommande à l’Etat algérien de l’informer sur les causes profondes des violences dans la région du Mzab afin de prendre les mesures nécessaires pour prévenir leur résurgence. Il recommande aussi à l’Etat de l’informer sur les enquêtes menées suite à ces violences, sur les poursuites engagées et les sanctions prononcées contre les responsables et d’éviter ainsi tout ressentiment d’impunité de la part de certains groupes. Il recommande, en outre, à l’Etat partie de demander à ses forces de sécurité d’assurer leur mission de protection dans de tels affrontements afin d’éviter d’attiser les tensions et la haine entre ces groupes.
  1. En matière de racisme et de discriminations institutionnelles, le Comité constate avec regret que l’État partie ne lui ait fourni que très peu de données détaillées sur les plaintes, les poursuites, les sanctions et les réparations relatives aux cas de discrimination raciale depuis 2014 (art. 2, 4, 6). Le Comité rappelle au gouvernement algérien que, selon sa recommandation générale no 31 (2005) relative à la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale, l’absence de plaintes et d’actions en justice engagées par les victimes de discrimination raciale peut révéler, entre autres, une mauvaise connaissance des recours juridiques existants, une volonté insuffisante de la part des autorités de poursuivre les auteurs de tels actes, une absence de confiance dans le système pénal ou la peur de représailles pour les victimes. Le Comité demande à l’État partie de :
  2. a) Faciliter le dépôt de plaintes dans un cadre sécurisé propre à prévenir les représailles et fournir dans son prochain rapport, des statistiques sur les plaintes reçues, les poursuites engagées, les sanctions contre les auteurs de ces infractions de discrimination raciale ainsi que les réparations accordées aux victimes ;
  3. b) Poursuivre la formation des magistrats, des juges et procureurs, et des policiers sur la législation nationale relative à la discrimination raciale ;
  4. c) De faire une large diffusion de cette législation auprès du public, notamment les migrants, les réfugiés, les populations des zones reculées afin qu’ils connaissent leurs droits, y compris tous les recours juridiques en matière de discrimination raciale.
  1. Concernant les obstacles à la liberté d’association, le Comité s’est dit préoccupé par des informations faisant état d’obstacles administratifs à l’enregistrement et à l’accréditation des organisations non gouvernementales et associations, notamment celles qui défendent les droits de populations amazighes (art. 5). Le Comité recommande au gouvernement algérien de s’assurer de l’application effective de sa législation et de veiller à ce que des obstacles administratifs n’empêchent pas la constitution et l’enregistrement des organisations non gouvernementales et des associations, y compris celles défendant les droits de populations amazighes.
  1. Le Comité a également exprimé ses inquiétudes concernant les défenseurs des droits humains soumis à l’intimidation, l’arrestation, la détention ainsi que la confiscation de passeports de certains défenseurs des droits de l’homme (art. 5). Le Comité demande au gouvernement algérien de veiller à ce que les défenseurs des droits de l’homme ne soient pas victimes de mesures discriminatoires notamment l’intimidation, l’arrestation, la détention ou la confiscation de passeports.
  1. Enfin, conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article 65 de son Règlement intérieur, le Comité demande à l’État algérien de fournir, dans un délai d’un an, des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour donner suite aux recommandations du Comité CERD.
  1. 10. Le Comité recommande également au gouvernement algérien de mettre ses rapports à la disposition du public dès leur soumission et de diffuser également les observations finales du Comité qui s’y rapportent dans les langues officielles et les autres langues couramment utilisées dans le pays.

Le Congrès Mondial Amazigh (CMA) se félicite des observations finales du Comité CERD ainsi que ses recommandations exigeantes vis-à-vis du gouvernement algérien. Le CMA observera de près les mesures que prendront les autorités algériennes en vue de soumettre l’Etat à ses obligations internationales. Le CMA évaluera dans une année, le niveau de concrétisation des recommandations du Comité par le gouvernement algérien et ne manquera pas d’en informer l’opinion publique ainsi que toutes les parties concernées.

Le CMA demande à ses membres et à toutes les organisations de la société civile amazighe d’Algérie, ainsi que les organisations de défense des droits humains, d’assurer une large diffusion des recommandations du CERD et de revendiquer leur application par les autorités algériennes, à tous les niveaux.

Genève, 1/12/2967 – 12/12/2017

P/la délégation du CMA à Genève

Le secrétariat du CMA.