Dans la vulgate de l’histoire du Maghreb médiéval, les Berbères apparaissent comme une composante majeure de cette civilisation sur le plan politique. Il n’en va pas de même de leurs langues. Tacitement, les historiens ont longtemps admis que les langues berbères avaient été confinées par l’arabisation au rôle de dialectes, réservés à l’oralité et dépourvus de prestige, face à un arabe conquérant qui occupait le champ de l’écrit et des fonctions de communication prestigieuses. Les témoignages allant à l’encontre de cette vision étaient traités comme des contre-exemples isolés, voire mythiques, peu à même de la contredire. Le Coran des Barġawāta ou les traces de promotion du berbère sous les Almohades (1147-1269) étaient plus susceptibles, en définitive, de renforcer la vision téléologique d’une arabisation inéluctable, scandée par la conquête, puis par les « invasions » hilaliennes (à partir de la seconde moitié du xie siècle). Les exceptions auraient en quelque sorte confirmé la règle selon laquelle islamisation était synonyme d’arabisation. Cette lecture résiste-t-elle à une analyse rigoureuse des sources, laquelle, en fait, n’a pas été entreprise avant une date récente ?
Les nouvelles études sur le rapport entre l’arabe et le berbère, dans les cultures linguistiques du Maghreb médiéval, n’ambitionnent pas davantage de maintenir une vision traditionnelle « arabocentrée » que d’opérer un renversement radical. Au contraire, le schéma renouvelé d’une dialectique complexe se fait jour, d’où toute téléologie est absente et dans lequel la promotion du berbère comme langue de la prédication va de pair avec une islamisation et une arabisation qui l’ont accompagnée en lui imprimant sa marque. Ce fut notamment le cas sous les Almohades, quand le berbère se para du prestige de la langue de la domination politique, susceptible, par conséquent, d’être écrit. L’étude de cette promotion revêt une importance fondamentale pour mieux comprendre les rapports entre la référence culturelle à l’arabe, la création d’une idéologie linguistique endogène et les mécanismes de légitimation du pouvoir dans le Maghreb du Moyen Âge central. Elle permet, en particulier, de revisiter dans une optique sociolinguistique les rapports entre prédication et communication étatique. Entravée à partir du xive siècle, cette histoire du berbère en tant que langue de prestige a très tôt subi une sorte de damnatio memoriae qui explique en partie la difficulté des historiens modernes à reconstituer ce qu’étaient les cultures linguistiques du Maghreb médiéval, des origines au xiiie siècle. Or c’est précisément la vision imposée par cette inflexion relativement tardive, relayée à l’époque contemporaine pour des raisons idéologiques liées au nationalisme, qu’il s’agit de dépasser. Afin d’analyser la dialectique complexe du berbère et de l’arabe dans le Maghreb médiéval, et d’en saisir les logiques et la portée, il convient de mettre en rapport histoire, anthropologie et linguistique. C’est à ce prix que certaines pesanteurs de l’héritage historiographique sur la place du berbère dans l’histoire culturelle du Maghreb et de la péninsule Ibérique pourront être surmontées, permettant de mieux comprendre les liens entre pratiques langagières, idéologie linguistique et fonctionnement des sociétés islamiques médiévales à travers une approche d’histoire sociolinguistique qui fait dialoguer différentes historiographies et traditions scientifiques.
Héritages historiographiques
Si les Berbères sont souvent mentionnés en tant que peuple ayant joué un rôle déterminant dans l’histoire de l’Occident musulman, force est de constater que l’aspect linguistique n’est que peu, voire pas du tout, pris en considération : un ouvrage entier peut être consacré aux Berbères en al-Andalus sans que cette question soit évoquée [1]. De même, si Pierre Guichard a jadis avancé le thème d’une orientalisation du Levant ibérique comme résultant d’un peuplement « berbère » massif, rien n’est dit sur les idiomes de ces populations. La question se pose de savoir à quoi renvoie, d’un point de vue étymologique, cette onomastique berbère invoquée comme un apport possible pour un nouvel éclairage sur cette histoire. Ainsi, il n’existe pas d’étude exhaustive sur les mots berbères présents dans les sources arabes médiévales. Ils furent pourtant relevés par Reinhart Dozy dès le xixe siècle et traduits dans son dictionnaire. Ils sont également présents dans des ouvrages castillans, tel le De lingua arabica, attribué à Pedro de Alcalá et imprimé en 1506 [2]. Malgré l’abondance de mentions prouvant l’existence de sources écrites berbères au Moyen Âge, mais aussi de phrases et de mots berbères tirés de sources en langue arabe, les études diachroniques relatives à cette question sont quasiment inexistantes. L’attention des chercheurs s’est surtout focalisée sur les aspects historiques, voire sociologiques, de cette présence. Néanmoins, très tôt, des personnalités telles qu’Antonio Tovar Llorente, en Espagne, ou Paulette Galand-Pernet, en France, avaient appelé à prendre en compte le berbère en tant que composante essentielle de l’histoire de l’Occident islamique : en pure perte [3]. Ce désintérêt est d’autant plus dommageable que, comparé au corpus qui permet d’appréhender le berbère antique, soit le libyque, les sources médiévales intégrant du berbère constituent un fonds exploitable beaucoup plus consistant, qui comprend des chroniques [4], des dictionnaires bio-bibliographiques, des corpus hagiographiques, des traités de cuisine et de pharmacologie, des ouvrages de géographie, ainsi qu’un dictionnaire encyclopédique.
En France, qui est de loin le pays où les études berbères sont le plus développées, ce sont les linguistes qui dominent ce champ de la recherche. Du point de vue méthodologique, outre les enquêtes de terrain, ils utilisent principalement le corpus formé au cours de l’époque coloniale. Leur approche de la langue est donc plutôt synchronique. La même tendance s’observe en Espagne, avec une frontière quasiment infranchissable entre « Africanistes » et « Arabisants » [5]. Résultat de cet état de fait, il n’existe que peu de collaborations entre linguistes et historiens. Les études sur la langue s’aventurent rarement au Moyen Âge – à quelques exceptions près, comme celles de Salem Chaker et d’Abdellah Bounfour –, cependant que les historiens n’intègrent guère la variable linguistique berbère dans leur raisonnement, même si une prise de conscience commence à voir le jour, notamment au sein de l’école lyonnaise [6]et à l’université de Cadix [7].
Au Maghreb, les études berbères visent moins à comprendre l’histoire de la langue qu’à la pérenniser, et les institutions créées tentent de mettre au point des normes orthographiques claires afin de permettre son enseignement à l’école primaire, de l’adapter à l’usage de l’informatique ou de participer à la constitution d’une vie culturelle dans cette langue : poésie, création ou traduction de pièces théâtrales. A contrario, les États issus des indépendances n’ont eu de cesse de diffuser une vulgate à travers l’école et les programmes de la télévision nationale visant à renforcer, sur le modèle jacobin, le sentiment d’appartenance à une nation en recourant à une vision univoque et tronquée de l’histoire. Celle-ci répète inlassablement que les Berbères, dès la conquête du viie siècle, étaient une minorité qui s’est quasi instantanément convertie à l’islam sunnite, la langue berbère n’ayant jamais dépassé le stade du vernaculaire. Or les sources arabes médiévales infirment largement cette vision des choses et révèlent que l’histoire du Maghreb, depuis la conquête jusqu’aux empires berbères, s’est déroulée dans un cadre bilingue arabe-berbère, voire, par certains aspects, monolingue berbère. Cette histoire fut le plus souvent soit traduite en arabe, soit rédigée en berbère avec des caractères arabes. Pour toute la période médiévale, il n’existe qu’un seul document attestant de l’utilisation de l’alphabet tifinagh – soit l’abjad ou alphabet consonantique, qui servait à retranscrire les langues berbères durant l’Antiquité –, mais celui-ci ne concerne que la frange méridionale du Sahara [8].
Le berbère vecteur de l’islamisation
Après la conquête initiale, les révoltes berbères d’inspiration kharijite des années 739-740 mettent un terme à la domination arabe sur le Maghreb, à l’exception de l’Ifrīqiya. La diffusion de la nouvelle religion s’opère, à la différence de l’Orient, dans un cadre politique autonome ; ce processus est généralement qualifié d’auto-islamisation [9]. Aussi n’existe-t-il pas, comme en Égypte, en Syrie et en Irak, d’élite aristocratique militaire arabe étrangère au pays, qui, issue des conquêtes, aurait été capable, à l’Ouest et au Centre du Maghreb, d’imposer durablement ses normes à une masse de conquis, y compris sur le plan linguistique, même si des élites identifiées comme « arabes » persistent dans les villes et sont renouvelées par la migration de nouveaux groupes élitaires venus d’Orient. De cette indépendance vis-à-vis du califat abbasside, il résulte que les populations locales se sont démarquées religieusement soit en adoptant un courant spécifique et contestataire de l’islam, le kharijisme, sous ses formes ibadite et soufrite, principalement à l’Est et au Centre du Maghreb, soit en donnant naissance à de nouvelles religions fondées sur un syncrétisme entre l’islam et un substrat autochtone mal connu : Barġawāta dans la plaine atlantique marocaine, la religion de Ḥa-Mīm dans le Nord du Maroc, Suswāla au sud d’Alger.
La fuite de la majorité des Arabes à la suite des révoltes et le fait qu’ils ne constituent plus l’élément dominant de la société ont considérablement freiné l’arabisation des populations berbères, qui ignorent largement l’arabe jusqu’au xiie siècle. En effet, quand une délégation Barġawāta se rend à la cour du calife de Cordoue, l’Omeyyade al-Ḥakam II (r. 961-976), elle a besoin d’un traducteur pour se faire comprendre. Cette précision fait écho à la remarque du géographe al-Idrīsī (m. 1166) qui considère comme exceptionnel le cas des tribus proches de Fès comprenant l’arabe alors que, au même moment, en Orient, le copte et l’araméen ont été définitivement marginalisés [10]. D’après le géographe andalou al-Bakrī (m. 1094), les peuples berbères sont implantés depuis la rive occidentale de la vallée du Nil jusqu’à l’océan Atlantique, îles Canaries comprises, et, au sud, jusqu’à la boucle du Niger. Avant l’arrivée des tribus arabes Banū Hilāl et Banū Sulaym, à partir de la moitié du xie siècle, les populations parlent l’une des différentes variantes du berbère, exception faite des minorités coptes de Libye et de certains habitants des villes d’Ifrīqiya comme Kairouan, qui sont d’ores et déjà arabisés, le latin se maintenant peut-être, de façon résiduelle, dans diverses oasis du Maghreb oriental [11].
La faible diffusion de la langue arabe, tant à l’oral qu’à l’écrit, caractérise donc dans un premier temps long le Maghreb, tout particulièrement le Maghreb occidental, par rapport au reste du monde musulman [12]. Elle se manifeste notamment dans le fait que l’on donnait le surnom de Waggāg à celui qui était capable de lire le Coran et quelques rudiments de sciences religieuses ; sous la forme aggāg, ce terme désigne encore aujourd’hui chez les Touaregs le lettré musulman [13]. La connaissance de l’arabe apportait un prestige certain à qui possédait cette compétence, comme l’atteste Waggāg b. Zallū al-Lamṭī (m. après 1053) dont l’aura s’étendait sur une grande partie du Maġrib al-aqṣā (Maghreb extrême) et au-delà [14]. À la fin du xie siècle, le cas d’un berbère maîtrisant la langue arabe sous sa forme orale et écrite était considéré comme tout à fait exceptionnel, ainsi que le laisse entendre le polygraphe valencien Ibn al-Abbār (m. 1260) dans la notice consacrée à un Berbère originaire du détroit, Abū Marwān Samgūn al-Luwātī :
Il étudia auprès des Égyptiens Ibn Nafīs, Ibn Munir et d’autres. Il assista aux cours du jurisconsulte (faqīh) ‘Abd al-Ḥaqq en Sicile. D’après Abū Muḥammad b. Abī Zayd, il suivit l’enseignement d’Abū ‘Alī, connu sous le nom d’Ibn Midkiyū, le jurisconsulte de Siǧilmāssa. Il eut la charge de guide de la prière, de prédicateur et de mufti à Ceuta. Il se rendit à Tanger, place stratégique des Almoravides, où il exerça les mêmes charges, ainsi que celle de cadi. À ses débuts, il était préposé à faire apprendre les rudiments de la lecture coranique. C’était un récitateur [du Coran], un jurisconsulte et un philologue. Il composait de la poésie, non sans profondeur, ainsi que des sermons dans une langue arabe sûre. Il ne commettait pas de fautes de grammaire dans ses discours. Il mourut à Tanger en 1097-1098 [15].
Le lien théorique qui existe entre le degré de culture religieuse et le degré d’arabisation implique de poser la question des formes spécifiques prises par la diffusion de l’islam dans le Maghreb central et occidental berbérophone du haut Moyen Âge, et de leur relation avec l’arabe et le berbère. Cette question est indissociable de celle des rapports avec le développement de courants non sunnites et de sa liaison avec différentes formes de structuration politique. L’étude du développement du kharijisme au Maghreb central et oriental permet ainsi d’envisager une islamisation lexicale et conceptuelle du berbère dans le sillage de l’arabe, qui permet de dépasser une vision trop simpliste associant arabité pure et islam, d’une part, berbérité pure et résistance à l’islam, d’autre part, pour envisager de manière plus articulée les mécanismes d’une islamisation linguistique du berbère.
Les trois principaux centres de diffusion du kharijisme au ixe siècle sont le Ǧabal Nafūsa dans l’Ouest de la Libye, le Tāhart dans l’Ouest de l’Algérie et le Djérid en Ifrīqiya. C’est dans ces milieux visant la propagation et la consolidation de la foi kharijite en milieu autochtone, le plus souvent sous sa forme ibāḍite, que le berbère est utilisé pour la première fois en tant que vecteur du discours religieux [16]. Le dieu de l’islam y est désigné sous le nom de Yakūš ou Yūš, traduction berbère de l’arabe al-Mu’ṭī (celui qui donne [17]). Cependant, il est impossible de déterminer si cette dénomination constitue une invention propre au milieu kharijite pour acclimater l’islam au Maghreb ou s’il s’agit d’un emprunt au judaïsme ou au christianisme autochtone. Néanmoins, le sens de Yakūš cadre bien avec le mode de fonctionnement des sociétés au Maghreb, où le don jouait un rôle essentiel [18].
L’importance de la prédication en berbère transparaît dans la somme importante des Ṭabaqāt al-mašā’īḫ bi l-maġrib (Dictionnaire des cheikhs du Maghreb) d’ad-Darǧīnī (m. après 1270). Dans la notice consacrée à Mahdī an-Nafūsī, l’un des plus éminents cheikhs ibāḍites du début du ixe siècle, un opus en berbère est mentionné, qui est destiné à éviter les ambiguïtés, sources de déviance, pour répondre à l’un des chefs de file de l’école kharijite opposée à celle des Wahhābites :
Le but était que les Berbères puissent se passer [les instructions] de bouche à oreille, dans la langue qu’ils comprenaient, sans rien y ajouter ni retrancher, ne choisissant que les termes immédiatement intelligibles pour éviter qu’ils soient tenus en suspicion [19].
C’est donc probablement au sein de cette matrice kharijite que les termes religieux arabes sont traduits pour la première fois en berbère, comme le laissent entendre Nico Van den Boogert et Maarten Kossmann [20]. Leurs caractéristiques morphologiques appartiennent à une strate linguistique plus ancienne que la plupart des emprunts arabes ultérieurs et il semble que ces emprunts aient été transposés dans un berbère appartenant à la famille orientale de ces parlers encore pratiqués à Siwa, Ghadamès, Zuwara, etc. Il apparaît donc que l’islamisation s’est imposée d’est en ouest à partir d’une matrice kharijite probablement située en Libye actuelle avant de se diffuser vers l’ouest, les besoins de la prédication ayant amené un groupe de personnes bilingues à traduire, dès cette époque, les termes fondamentaux de l’islam.
Tableau 1 – Les termes religieux en berbère
Termes religieux | En arabe | En berbère |
prier | ṣallā | Zzal |
jeûner | ṣām | Uzum |
mosquée | Masǧid | Tamezguida ou timezguida |
prière du midi | ẓuhr | Tizwamin (les « premières ») |
prière de l’après-midi | ‘aṣr | Takwzin (les « quatrièmes ») |
prière du coucher du soleil | Maġrib | Tinwutši («celle de la nourriture ») |
prière du soir | ‘išā’ | tinyiḍs (« celle du sommeil ») |
Note : Le sens des noms de la prière en berbère ne correspond pas au sens arabe. |
La langue berbère joue également un rôle important dans la diffusion de l’islam en Afrique subsaharienne. En soninké, la langue de l’empire médiéval de Ghana, situé entre la Mauritanie et le Mali, le nom de la prière du midi est sállì-fànà (prière-première), emprunté par le bambara et par beaucoup d’autres langues ouest-africaines ; il s’agit probablement de la traduction littérale de l’appellation berbère Tizwarnin [21]. Cela constituerait une preuve que le berbère sert non seulement de support à l’islamisation des populations du Maghreb mais aussi que, une fois bien enraciné dans cette région, il se répand au sud du Sahara.
Dès cette haute époque, le berbère est couché par écrit, ce qu’atteste la men-tion de plusieurs récits en prose, à vocation religieuse et didactique, et de vers exaltant l’histoire des principales personnalités du mouvement ibāḍite [22]. Au sein de ce milieu culturel dynamique, il existe un engouement pour l’importation des productions culturelles orientales comme le traité de droit (fiqh), intitulé al-Mudawwana, d’Abū Ġānim al-Ḫurāsānī (m. au début du VIIIe siècle), qui fut traduit en berbère dans le Ǧabal Nafūsa à une date indéterminée. Ce manuscrit comprend un glossaire berbéro-arabe qui précède l’œuvre intégrant des phrases berbères et leur équivalent arabe [23]. Comme l’indique Ouahmi Ould-Braham, ce texte recourt à un mélange de plusieurs parlers, ce qui permet d’émettre l’hypothèse de l’existence d’une koinè pan-berbère [24]. De même, une phrase en berbère de l’hagiographe ibadite al-Wisyānī (m. seconde moitié du XIIe siècle) confirme que l’écrit était considéré comme supérieur à l’oral pour éviter de tomber dans l’hétérodoxie : « Les Écritures ne s’effacent pas, comme ne s’effacent pas les étoiles […] ô Aṣīl » (ur tšnt tirā am d ur tšn itran […] ay Ṣīl) [25]. La destruction et le pillage de Tāhart par les Fatimides en 909 et les persécutions dont les Kharijites firent les frais au cours de l’histoire entraînèrent la disparition progressive d’une partie de ce corpus, auquel le projet Maghribadite, dirigé par Cyrille Aillet, est consacré [26].
Le berbère était également la langue du sacré pour les différentes religions procédant de la berbérisation de l’islam, qui ne sont connues que par des sources externes. L’étymologie des Barġawāta, nom du groupe au sein duquel s’est développée la plus célèbre d’entre elles, a été donnée par Ahmed Toufiq : Ilġwātan (ceux qui sont sortis/qui ont dévié), traduction quasi littérale du terme arabe ḫawāriǧ/kharijites [27]. À partir de là, un mouvement concurrent, sans doute sunnite, se servit du berbère pour discréditer la religion des Barġawāta, et il est pratiquement certain qu’eux-mêmes se désignaient différemment. Au sud du territoire qu’ils occupaient, le groupement lignager Ragrāga fut chargé de les contenir et de les combattre. Composé à partir de la racine RG, qui signifie les « Bénis » (Irgurāgan), ce nom leur fut donné pour leur rôle dans la propagation et la confirmation de la foi en milieu maṣmūda [28], et pour la lutte qu’ils menèrent contre « ceux qui ont dévié », les Barġawāta. Nous sommes donc en possession d’un grand nombre de termes qui sont évocateurs pour les contemporains, mais que la méconnaissance actuelle de l’histoire du berbère ne permet pas d’identifier.
Pour désigner Dieu, les Barġawāta utilisaient le même terme que les Kharijites, à savoir Yakūš. Ils adaptèrent en berbère les formules du dogme musulman « Dieu est unique » (yan Yakūš), « Dieu est grand » (muggar Yakūš), « au nom de Dieu » (bi-sm n-Yakūš) et « il n’y a de dieu que Dieu » (ūr-d ām Yakūš) [29]. Il y eut d’autres mouvements de ce type, mais comme les sources textuelles ont été rédigées dans des milieux officiels sunnites de rite malikite, nous n’en avons qu’une connaissance partielle et indirecte.
Ces tentatives de berbérisation de l’islam s’appuyèrent sur des corans en berbère qui ne nous sont pas parvenus. Il est donc impossible de savoir s’il s’agissait de traductions ou, plus assurément, de paraphrases ; en effet, les textes bilingues arabe/berbère témoignent du fait que c’était bien ainsi que l’on traduisait habituellement à l’époque [30]. Au Coran proprement dit, des sourates étaient ajoutées, comme dans le Coran des Barġawāta qui comprenait, entre autres, les sourates du « Coq », de la « Perdrix » ou du « Serpent ». L’apparition de prophètes s’appuyant sur des corans en berbère est un phénomène récurrent au Maghreb jusqu’au xive siècle, époque charnière où l’islam sunnite de rite malikite s’implante solidement [31]. Certes, le modèle est arabe et oriental, mais la démarche s’ancre dans la langue et les réalités locales. Seul le cas d’Ibn Tūmart (m. 1130) diffère : le Grenadin Abū Isḥāq aš-Šāṭibī (xive siècle) précise en effet, dans la liste qu’il dresse des innovations blâmables introduites par Ibn Tūmart, que jamais celui-ci ne composa de coran, comme l’avaient fait, avant et après lui, d’autres Berbères ayant initié des mouvements politiques et religieux [32].
Les Almoravides
Avec le nom d’Ibn Tūmart, on anticipe sur le temps des Almohades tout en entrant de plain-pied dans la scansion chronologique des grands empires berbères. Ce temps de l’histoire du Maghreb permet de poser, dans sa plus grande extension géographique (Maghreb et al-Andalus), la question des relations entre berbère et arabe et construction politique sur un nouveau plan, à la fois pour des raisons historiographiques (les sources se multiplient) et parce que les deux dynasties ont adopté des stratégies différentes d’utilisation du berbère en tant qu’outil de distinction et de communication étatique, en concordance avec leurs spécificités politiques, doctrinales et idéologiques. La succession des deux empires forme donc un observatoire privilégié pour comprendre ce qui se joue dans le Maghreb médiéval à travers la relation dialectique du berbère et de l’arabe, et la résistible ascension du premier au rang de langue de prestige à travers sa littérarisation.
La première des grandes dynasties berbères, les Almoravides, était originaire du Sahara. Si elle procédait d’un milieu méconnaissant l’arabe, peu d’indices subsistent pourtant de l’utilisation du berbère par cette dynastie. Le fondateur du mouvement almoravide, ‘Abd Allāb b. Yāsīn (m. 1059), une fois sorti du désert, procéda à une création urbaine dans le Dar’a, une région située stratégiquement sur les routes menant de l’Afrique subsaharienne au Maghreb, pourvoyeuses d’or et d’esclaves, or c’est bien un nom berbère qu’il donna à cette ville : « nous l’avons dite Ratnana [« ordonnée »] [33]». Cette appellation manifeste la volonté du réformateur de conformer la région nouvellement conquise aux préceptes de l’islam et d’œuvrer dans le sens d’une islamisation en profondeur des sociétés autochtones à partir d’une création ex nihilo purement almoravide, c’est-à-dire musulmane.
La ville de Marrakech constitue le cas le plus clair de l’utilisation par les Almoravides d’un toponyme berbère à des fins idéologiques. Les progrès accomplis par l’historiographie dans la seconde moitié du (xxe siècle mettent en avant le fait que l’étymologie de Marrakech provient de l’agencement de deux noms berbères : amūr, que l’on peut rendre en français par pays ou chemin, et Yakūš [34]. L’auteur d’époque mérinide Ibn ‘Abd al-Ḥalīm précise que amūr signifie « pays » pour désigner le territoire dominé par la confédération des Haskūra (Haut Atlas central), c’est ainsi qu’il évoque le « pays de Ḥurmā » (amūr n’Ḥurmān) [35]. Cela est confirmé par la façon dont Ibn Tūmart désigne la région du Sūs : « les pays des purs/blancs du Sūs » (Awmāwren mellūlnīn ān’Sūs) [36]. On peut donc affirmer que le nom de la capitale almoravide signifie le « pays de Dieu ».
Cet éclairage sur l’étymologie de Marrakech permet de souligner la cohérence du projet politique et religieux almoravide. En effet, le double choix inaugural, du nom et du site, coïncide parfaitement avec l’esprit du mouvement tel qu’il fut lancé par ‘Abd Allāh b. Yāsīn. Les autorités almoravides furent à l’origine de l’entreprise démiurgique qui visait à apporter l’eau depuis la montagne dans cette contrée à l’origine désertique. Ils firent preuve d’une véritable prouesse technologique pour pourvoir à leurs besoins et à ceux d’une population en pleine croissance et réussirent le tour de force de transformer des terres arides, sans doute dévolues aux pâturages, en un opulent terroir agricole [37].
Au-delà d’une réponse au besoin vital en eau, cette propension à créer de toutes pièces des jardins très grands se rattache au projet politique et religieux d’arracher les hommes à leur vie de péchés en sauvant leurs âmes. Le jardin, dans le contexte de l’architecture palatiale, doit être rapproché du paradis dans son acception coranique et représente l’incarnation d’une utopie terrestre [38]. Il est le résultat de l’action des Almoravides pour donner une forme matérialisée, durable et concrète, à leur projet initial. La création de ces jardins constituait un élément remarquable qui attira l’attention des différents géographes qui s’en firent l’écho, comme Ibn Sa’īd al-Maġribī (m. 1274) qui renchérit sur ce thème en signalant que, avant les travaux almoravides, les oiseaux mouraient de soif en survolant les terres de la future Marrakech [39]. Or c’est le berbère qui servit de support à cette action visant à édifier les masses en prouvant l’aptitude almoravide à créer de toutes pièces un « pays de Dieu » sur terre. Plus tard, les Almohades ne remirent pas en cause cette appellation conforme à leurs ambitions. Bien au contraire, quand le troisième des califes almohades, Abū Yūsuf Ya’qūb al-Manṣūr (r. 1184-1199), fit édifier une ville-palatiale contiguë à l’ancien noyau de la capitale almoravide, il reprit l’appellation de Marrakech en lui donnant le nom de Tāmurākušt ; le t final et initial traduisant en berbère l’idée d’embellissement [40]. Si les Almoravides avaient souhaité créer un « pays de Dieu », al-Manṣūr et ses successeurs souhaitèrent aller au-delà en édifiant un palais digne de leurs ambitions, important pour la première fois au Maghreb un modèle de cité palatiale jouxtant la capitale populeuse, comme le fut par exemple Madīnat Zahrā’ par rapport à Cordoue. Le berbère servait ainsi de support à une propagande visant à justifier une domination par l’adoption d’un modèle arabe exogène.
Au moins deux sources d’époque almoravide prouvent l’usage en al-Andalus de termes spécifiquement berbères par les souverains d’origine saharienne. Dans son traité de botanique, Abū l-Ḫayr al-Išbīlī indique que les Almoravides appellent adiqal le melon d’eau et va jusqu’à préciser que le qāf se prononce entre le qāf et le kāf [41]. Dans ses maqāmāt, Ibn Aštarkunī as-Saraqustī (m. 1143), originaire, comme son nom l’indique, des environs de Saragosse, met en scène un personnage oriental, le candide aṣ-Ṣā’ib b. Tammām qui se rend à Algésiras, pressé de rencontrer un peuple aux mœurs civiles, les Andalous. En lieu et place il découvre, à sa grande surprise, des agapes d’hommes voilés mangeant un plat ressemblant à des pâtes de fourmis ; il s’agit là d’une allusion aux pâtes berbères et sans doute, plus précisément, au couscous. De plus ces hommes s’enivrent avec du anẓīr [42], une boisson alcoolisée dont les Maṣmūda faisaient, d’après al-Idrīsī, grand usage [43]. Composé à partir de la racine NẒR, ce terme renvoie à l’idée d’asperger et a donné en tašelḥit actuel anẓar (pluie). Dans cette maqāma, le narrateur est confronté à des hommes étranges qui baragouinent un langage absolument incompréhensible. L’auteur fait ainsi référence aux Almoravides et il est probable que si le terme berbère nous est donné, c’est pour mettre l’accent sur leur étrangeté et sur leur langage, assimilé à un galimatias informe. La consonance même du mot, du point de vue adopté par l’auteur, c’est-à-dire celui d’une oreille orientale, avec la présence de la consonne alvéolaire sonore et emphatique ẓ, propre au berbère, vient souligner leur statut de non-arabes. Ce qui rend plus ridicule encore la prétention, avancée par l’un de ces étranges interlocuteurs et rendue compréhensible pour les besoins de la cause, de descendre de Ḥimyar, un des peuples yéménites invoqués dans les filiations arabes classiques.
Néanmoins, l’utilisation d’une langue distincte de l’arabe, de même que la consommation d’une boisson attachée aux Berbères, l’anẓīr, participent d’une économie du pouvoir spécifique, comme l’indique le Grenadin Lisān ad-Dīn Ibn al-Ḫaṭīb (m. 1374) à propos de la proximité entretenue entre le gouverneur almoravide de Saragosse, Ibn Tifliwit (m. 1118), et le philosophe Ibn Bāǧa, l’Avempace des Latins (m. 1138) :
Quand Ibn Tifliwit fut gouverneur de Saragosse [en 1110], il s’attacha les services du vizir et médecin Abū Bakr b. aṣ-Ṣā’iġ [Ibn Bāǧa]. Il le trouva aimable. On raconte qu’il s’absenta un jour et n’assista pas au conseil à Saragosse. Le lendemain, il vint tôt le matin. Quand il fit son apparition, le gouverneur lui demanda : « Pourquoi t’es-tu absenté ô médecin ? » Il répondit : « J’ai été affligé par une humeur noire et l’objet d’un grand chagrin. » Il donna ses ordres en berbère au page qui se tenait à ses côtés. Celui-ci lui présenta un plat rempli de pièces d’or [44].
Le port du liṯām, habit caractéristique, s’inscrit dans une démarche similaire [45]. En effet, les conquêtes amenèrent les Almoravides à se distinguer des populations dominées. Ils évitaient de se fondre dans la masse des conquis, sous peine de se mélanger avec leurs sujets et ainsi perdre leur force et leur cohésion. Cette préoccupation intervenait dans un cadre où le pouvoir almoravide risquait de devoir faire face à une rébellion au caractère xénophobe, les Almoravides étant perçus en al-Andalus comme des étrangers, donc illégitimes à régner. Ce sentiment latent de rejet les incita à faire corps en se différenciant de leurs sujets par une langue, un habit et des usages propres.
À l’instar d’autres pouvoirs similaires en Islam, tels que les Seldjoukides en Irak ou les Mamelouks en Égypte et en Syrie, les dynasties almoravide et almohade constituent une minorité en al-Andalus. Ils sont tout au plus quelques dizaines de milliers d’hommes, qui monopolisent les fonctions guerrières et assurent le commandement de la masse des sujets. Le facteur linguistique vient souligner que ces hommes de guerre gouvernent une population largement démilitarisée. En effet, le berbère constitue la langue de l’armée jusque dans sa dimension technique, incluant un vocabulaire spécifique. Cela transparaît dans un certain nombre de termes du castillan médiéval empruntés au berbère, par exemple « le camp du calife » (alfareque [46]) du berbère afrāg, ou encore « la lance ou javeline » (azagayas [47]) du berbère agzal, de même que le mot « cavalier » (jinete [48]) fait référence aux tribus zénètes originaires du Maghreb central. C’est également en berbère que l’on haranguait les troupes lorsque la situation se détériorait ; par exemple en 1172, quand le siège de la place forte de Huete est sur le point de tourner à la catastrophe en raison de la résistance opiniâtre et inattendue de la garnison castillane, le prédicateur le plus prestigieux des Almohades, ‘Abd al-Wāḥid b. ‘Umar, prend la parole pour resserrer les rangs et rappeler aux membres du corps expéditionnaire leurs engagements :
Puis le vendredi du vingt-septième jour du mois de d̠ū l-qa’da, les gens s’assemblèrent en nombre, en fonction de leur tribu. Le pieux cheikh ‘Abd al-Wāḥid b. ‘Umar prit place et commença à prêcher d’abord en arabe et ensuite en langue occidentale, les exhortant à combattre les chrétiens (yuḥarriḍuhum ‘alā qitāl an-naṣāra) et en leur rappelant leurs devoirs envers Dieu qui leur imposait de faire la guerre légale (ǧihād). Alors il leur dit, en s’adressant à eux en berbère : « Quand vous étiez à Marrakech vous disiez : si nous montions une expédition contre les chrétiens, nous ferions la guerre pour Dieu et nous serions persévérants. Mais quand vous avez été en leur présence, vous vous êtes dérobés, vous avez trahi Dieu et vous n’avez pas été sincères. Vous n’avez été ni croyants, ni Almohades quand vous entendiez les cloches sonner et que vous voyiez l’incroyance sans agir. Le Prince des croyants, fils du Prince des croyants, ne peut vous voir, en raison de votre négligence dans la cause de Dieu Très-Haut et dans la guerre, ceci malgré votre grand nombre. » Alors il les incita à se repentir et ils lui dirent : « nous nous repentons » [49].
Cette volonté de distinction pouvait susciter un sentiment de rejet, ainsi que l’attestent les révoltes anti-almoravide et anti-almohade qui se soldèrent par le massacre des « étrangers » berbères par les Andalous, comme à Cordoue en 1126 ou en 1225 et la fin de l’emprise almohade sur al-Andalus. Dans ce contexte, la langue pouvait servir à attaquer l’élite militaire majoritairement berbère sur ce qui justifiait sa présence au nord du détroit de Gibraltar, à savoir la défense de l’islam en al-Andalus. Ibn ‘Amīra al-Maḫzūmī (m. 1259), dans la chronique qu’il consacre à la conquête de Majorque de 1229 par les Aragonais, affirme que, au cœur de la bataille, le gouverneur almohade de la ville criait en berbère à ses contribules de se réfugier sur un tertre, abandonnant aux lances chrétiennes leurs frères d’armes andalous qui ne pouvaient pas comprendre [50].
Au Maghreb, afin de discréditer les Almoravides et de leur ravir le pouvoir, Ibn Tūmart utilise le berbère pour les invectiver tout en soulignant le caractère illégitime de leur gouvernement. Ainsi peut-on lire dans l’une des phrases que lui prête son compagnon Abū Bakr aṣ-Ṣanhāǧī, dit al-Bayd̠aq :
La justice a fui l’injustice et elle est venue chercher refuge contre elle dans cette grotte ; l’iniquité est triomphante, mais si le bon droit vient à émerger, il frappera à son tour jusqu’à ce qu’il ait englouti ce ventre dévorant qui le précédait dans ce bas-monde [51].
À travers la métaphore du « ventre dévorant » (yaššīġ ! ādān-as), Ibn Tūmart met en avant, avec habileté, le fait que les Almoravides sont principalement intéressés par le prélèvement des ressources (marchandises, populations, argent, etc.), employant toute une panoplie de moyens illégaux tels que les taxes extra-coraniques (maġārim, mukūs, qabālāt, etc.), l’extorsion ou la spoliation, et, comble de l’iniquité, par le biais de leur milice chrétienne. Du point de vue des gouvernés, les souverains sahariens pouvaient mener grand train et « s’engraisser » sur le dos de leurs sujets. Dans le cadre d’une société encore largement non étatisée, peu habituée à s’acquitter de l’impôt, ces pratiques étaient inacceptables et les arguments avancés par Ibn Tūmart connurent un réel succès.
Toujours dans la même logique, Ibn Tūmart a recours, pour caractériser les Almoravides, à un qualificatif en berbère retranscrit dans les sources sous une forme arabisée, Zarāǧina. Il s’agit de l’arabisation du mot berbère désignant les pies (izargān), soit des oiseaux à la fois noirs et blancs dont le cœur est réputé noir ; le « fonctionnaire » de la dynastie almohade Ibn al-Qaṭṭān étant le seul à donner ces précisions [52]. Il faut probablement entendre par cette métaphore que si les Almoravides, en apparence, peuvent être identifiés au blanc et in extenso à la pureté, couleur que leur confère leur rôle dans la défense d’al-Andalus, leur véritable nature est le noir, qui renvoie sans aucun doute, selon les Almohades, au côté illégitime et inique de ce pouvoir. Il convient d’établir un parallèle avec la façon de procéder d’un grand nombre de saints qui, eux aussi, utilisent des récits mettant en scène des animaux (lions, oiseaux, ânes, etc.) afin d’édifier leur auditoire. Encore aujourd’hui, la porte méridionale de Taroudant est désignée par Bāb Izargān, car elle ouvre sur la région d’origine des Almoravides, soit le Sahara, le travail de propagande almohade fut suffisamment efficient pour s’imposer et perdurer dans une ville aussi stratégique que la capitale du Sūs.
Afin de gagner les cœurs et les esprits, les Almohades se servirent du berbère pour calomnier les Almoravides en les faisant apparaître comme de mauvais musulmans. Les Almoravides sollicitèrent l’investiture du lointain calife abbasside ; tout comme en al-Andalus, ils cherchèrent à gagner le concours des docteurs de la loi (fuqahā’) en se présentant comme les garants de la doctrine dominante dans la péninsule Ibérique musulmane : la jurisprudence malikite. Ce choix tranche avec celui des Almohades qui s’appuient sur le berbère pour se démarquer radicalement de leurs administrés et les forcer à abonder dans leur sens en les obligeant à reconnaître Ibn Tūmart en tant que mahdī. C’est alors que l’emploi du berbère assume véritablement une dimension idéologique qui le place au cœur de la mécanique du pouvoir charismatique fondé sur une nouvelle orthodoxie au sein du dispositif de l’État almohade.
La langue occidentale: la nouvelle langue sacrée
Bien qu’il ait lui-même voyagé en Orient et acquis une solide formation classique, Ibn Tūmart, Berbère originaire du Sud du Maġrib al-aqṣā, initie une politique de rupture religieuse et politique avec tous les autres pouvoirs du monde musulman. Il apparaît donc comme un réformateur radical, figure emblématique de ce que Maribel Fierro a appelé « la Révolution almohade [53] ». Ayant pris bonne note de l’échec des Almoravides à obtenir l’appui des élites intellectuelles d’al-Andalus, les Almohades cherchent non pas à s’aligner sur l’idéologie dominante du malikisme, mais à créer leur propre voie. À cette fin, Ibn Tūmart fait une lecture spécifique de deux hadiths (« dits prophétiques ») : « L’islam a débuté comme un étranger et il redeviendra étranger, tel qu’il a débuté ; bienheureux soient les étrangers ! » et « Les habitants de l’Occident seront toujours du côté de la vérité jusqu’à ce qu’advienne l’Heure » [54]. Il identifie ainsi les « étrangers » (ġarīb, ġurabā’) dans ces traditions prophétiques aux habitants de l’Occident (Ġarb), en jouant sur le fait que ces termes étaient formés sur la même racine Ġ-R-B.
Cette lecture particulière réduit le sens ésotérique, ouvert à de nombreuses interprétations, à un sens explicite et concret, et fut largement utilisée par les Almohades. Les Berbères, et plus particulièrement les Maṣmūda, auraient donc été explicitement désignés par le Prophète de l’islam comme détenteurs de la Vérité. Premiers et derniers en tant qu’avant-garde, ils étaient destinés à éclairer et à sauver le reste de la communauté musulmane le jour du jugement dernier. Après les Almohades, cette lecture s’imposa dans tous les dictionnaires hagiographiques vantant les vertus des saints du Maghreb ou les mérites des Berbères. En référence à ces hadiths et à leur interprétation par Ibn Tūmart, la langue utilisée par les Almohades fut appelée al-lisān al-ġarbī (la langue occidentale). Les Almohades firent le choix de ne pas désigner comme « berbère » l’idiome dont ils firent usage car cette appellation trop péjorativement connotée se rattachait aux hérésies longtemps prégnantes au sein de ce peuple.
C’est dans cette langue occidentale qu’Ibn Tūmart composa trois ouvrages inti-tulés l’Unicité divine (at-Tawḥīd), l’Imāma (al-Imāma) et les Règles (al-Qawā’id) [55]. À ce titre, la langue occidentale bénéficiait d’une égalité de statut avec l’arabe en jouissant d’un support écrit en tant que langue d’expression du sacré. Cette promotion du berbère permettait aux Almohades de se différencier radicalement de leurs prédécesseurs almoravides et des fuqahā’ andalous, mais aussi des pouvoirs orientaux.
Le nouveau pouvoir almohade créa son propre pèlerinage dans le Haut Atlas occidental, à Tinmel, où était inhumé Ibn Tūmart puis, plus tard, les trois premiers califes qui lui succédèrent. Les Andalous et les lettrés au service de la dynastie étaient obligés d’y accompagner le calife afin de rendre hommage au fondateur du mouvement almohade. Par ce dispositif, le califat berbère ambitionnait de s’auto-référencer sans avoir à reconnaître de prééminence à aucun autre pouvoir et surtout pas aux différentes dynasties orientales qui dominaient les lieux saints de l’islam, ce qui permettait à ces Berbères d’origine de prétendre au califat. Symptomatique à cet égard, en 1161, alors que les Almohades étaient sur le point d’unifier le Maghreb en achevant la conquête de l’Ifrīqiya, le premier calife de la dynastie, ‘Abd al-Mu’min (r. 1130-1163), fit adresser aux populations de l’empire, depuis Bougie, une lettre insistant sur le rôle imparti à la langue occidentale et sur l’obligation pour tous ses habitants de l’apprendre.
Et je commence par les principes de l’Islam. Il faut apprendre aux gens la science [la connaissance] de l’unicité divine (tawḥīd) […] qui est l’affirmation de l’Un et la négation de tout ce qui est en dehors de Lui. Nous ordonnons à ceux qui comprennent la langue occidentale (al-lisān al-ġarbī) et qui la parlent de lire le tawḥīd dans cette langue, du début jusqu’à la fin, à propos des miracles et de l’apprendre par cœur […] Nous commandons aux Ṭalaba de la « présence » (Ṭalabat al-ḥaḍar) et consorts [56]. de lire les professions de foi et de les apprendre par cœur. Le commun [57] pour obligation, sur son lieu de résidence, de lire « la profession de foi » et celle qui commence par : « Sache que nous et toi sommes guidés par Dieu », qu’il l’apprenne par cœur et qu’il s’efforce de la comprendre. J’inclus dans cette obligation les hommes et les femmes, les hommes de condition libre et servile ainsi que tous ceux qui espèrent briguer une charge [58].
De pair avec cette injonction, ‘Abd al-Mu’min exigea que tous les imams et prédicateurs de l’empire soient en mesure de retenir par cœur le « credo almohade » (tawḥīd) en berbère [59]. C’est en vertu de ce statut que les discours énoncés en langue occidentale avaient préséance sur ceux qui l’étaient en arabe, y compris au palais almohade de Séville, au cours des réceptions officielles comme celle du 7 avril 1173, telle qu’elle est décrite par Ibn Ṣāḥib aṣ-Ṣalāt :
Le pieux cheikh Abū Muḥammad ‘Abd al-Wāḥid b. ‘Umar prêcha premièrement en berbère (bi-l-lisān al-ġarbī) aux Almohades. Ce qu’il fit pour eux avec une grande clarté pour que tous comprennent. Par la suite, il traduisit en langue arabe afin de rendre le sermon intelligible [sous-entendu pour les Andalous] [60].
Ce statut se manifestait également dans le fait que l’enseignement dispensé à la famille du calife, les Mu’minides, mais aussi aux cheikhs almohades et aux fonctionnaires de l’empire était donné en berbère et en arabe dans l’École du palais de Marrakech. Dans cette première langue, on enseignait uniquement les préceptes d’Ibn Tūmart, soit le saint des saints de l’almohadisme, le tawḥīd, qui devait être appris par cœur, ce dont témoigne Ibn al-Qaṭṭān : « le credo était appris par cœur en arabe et en langue occidentale » (wa ḥafiẓa at-tawḥīd al-‘arabī wa-l-ġarbī) [61]. Cette précision, si elle n’établit pas avec certitude que le tawḥīd en berbère était enseigné et inculqué à partir d’un support écrit, le laisse cependant supposer, ne serait-ce que pour qu’il n’y ait pas de versions déviantes pouvant conduire les apprenants, et ensuite les ṭalaba censés être les garants de l’orthodoxie almohade, sur le chemin de l’erreur et de l’égarement (ḍalāl) [62]. À partir de ce modèle de l’École de Marrakech, il semble que la langue occidentale devint une véritable langue d’enseignement et de diffusion non seulement du credo almohade mais également des bases de la foi musulmane, y compris dans sa dimension juridique, dans des régions éloignées du territoire où l’on parlait l’idiome des Maṣmūda. Ainsi le célèbre polygraphe valencien Ibn al-Abbār note-t-il à propos d’un enseignant, Sālim b. Salāma as-Sūsī (m. 1190), qui exerçait dans la cité caravanière de Siǧilmāsa : « Il était versé dans la jurisprudence et capable de la rendre en langue berbère [63]. »
De même, sur ordre des autorités almohades, l’appel à la prière se fit en ber-bère à partir d’un précepte attribué à Ibn Tūmart [64]. Pour Ibn ‘Id̠ārī (m. après 1312), elle était appelée tāzalit al-islām, soit la berbérisation du mot arabe « prière » (ṣallā) ; elle débutait par une phrase en berbère qui demeure inexpliquée (sūdūd wa nārdī), suivie d’une expression en arabe : « le jour est advenu par la grâce de Dieu » (ṣbaḥa wa li-llāh al-ḥamd [65]). Ibn al-Ḫaṭīb présente une version légèrement diffé-rente en avançant à propos du calife almohade Abū l-‘Ulā Idrīs al-Ma’mūn (r. 1229-1232) qui fit supprimer la doctrine créée par Ibn Tūmart : « Il fit abroger l’appel à la prière en berbère Tāṣalīt al-islām ainsi que mansūb du seigneur et bādrā [66]. » Enfin, du point de vue idéologique, Abū Isḥāq aš- Šāṭibī, par réaction à la place accordée au berbère par les Almohades, insiste sur le fait que le Coran ne peut être enseigné et compris qu’à partir d’un support arabe.
Cette promotion du berbère entraîna l’usage durable d’un certain nombre de termes dans le cadre officiel, y compris après la disparition de l’empire. Du fait de cette institutionnalisation, le sens initial des mots fut altéré. Ainsi, le terme mizwar – du berbère amezwaru (le premier) – désignait, dans le cadre de la société segmentaire, le chef d’une tribu. Sous les Almohades, c’est un cheikh [67], le chef du corps des hauts fonctionnaires (Ṭalaba), le premier des médecins du calife, la personne nommée par l’État pour surveiller les chefs de tribu ; sous les Hafsides et les Mérinides, il prend le sens général de « préposé à » ou de « chef » et de « chef des chérifs ». De même, imi n’tigwmmi, de « seuil de la maison » en vint à désigner la limite entre l’espace dévolu au souverain et à sa famille (femmes, enfants en bas âge et esclaves) et le reste du palais qui servait à faire fonctionner la machine étatique. S’inspirant de ce modèle almohade, les Zayyanides à Tlemcen et les Hafsides à Tunis structurèrent leurs palais autour de ce imi n’tigwmmi. C’est aussi le cas de l’Afrāg, la haie d’aubépines protégeant les troupeaux ou les jardins potagers, qui prend le sens de camp califal à l’époque almohade et qui est repris au Maroc jusqu’au début du xxe siècle [68].
Clef de voûte de l’édifice almohade, cette sacralisation de la langue berbère doit s’entendre à plusieurs niveaux. Elle résulte de la volonté d’imposer et de pérenniser un État dans des contrées où prédominait un modèle de société relativement acéphale et où l’immense majorité de la population ne pratiquait qu’une des langues berbères. En outre, le système reposait sur une cohabitation, plus ou moins bien jugulée, entre ‘Abd al-Mu’min et ses descendants, d’une part, et les cheikhs almohades, d’autre part, qui constituent un groupe de dirigeants représentant une classe bien distincte du reste de la population par la naissance, la formation, le statut et l’organisation. Avec les Mu’minides, les cheikhs almohades monopolisaient les postes de commandement à travers tout l’empire. Or ils tiraient leur légitimité, leur pouvoir et leur prestige du fait qu’ils étaient rattachés à la geste d’Ibn Tūmart et assimilés aux débuts héroïsés du mouvement almohade. La majeure partie de la genèse du mouvement s’était déroulée dans un cadre berbère avec des protagonistes s’exprimant dans cette langue, parfois de façon exclusive. De surcroît, Ibn Tūmart était réputé pour avoir excellé dans les deux registres, l’arabe et le berbère, et donc, à ce titre, il put toucher le plus grand nombre. Enfin, la langue occidentale permettait de se démarquer radicalement des différents pouvoirs orientaux, à commencer par le califat abbasside, en participant à l’élaboration d’un nouveau califat maghrébin entièrement auto-référencé.
En comparaison, les Mérinides et les Zayyanides, successeurs des Almohades, ne cherchèrent pas à s’appuyer sur une idéologie spécifique les différenciant du reste du monde musulman et ne mirent pas en avant un nouvel idiome sacré. Ils se contentèrent de justifier leur pouvoir, tout comme leurs contemporains les Mamelouks, en utilisant la langue en tant que marqueur d’une caste ; ce qui leur permettait, le cas échéant, de rappeler à leurs sujets que leur pouvoir découlait de la maîtrise de la force et de la violence. C’est ainsi que le fondateur de la dynastie Zayyanide de Tlemcen, Yaġmurāsan b. Zayyān (r. 1235-1284), apparaît, dans les différentes chroniques, comme l’archétype de ce nouvel État de fait en se situant largement en deçà des ambitions almohades. Il conserva son nom berbère et ne prit pas de surnom honorifique arabe (laqab), même si la signification de son nom, « il a eu le dessus sur eux », était en adéquation avec la nature de son pouvoir foncièrement guerrier et militaire. Aux poètes de cour qui souhaitaient lui octroyer un lignage noble en le faisant descendre du Prophète de l’islam, il répondait en berbère : « Nous avons obtenu les biens de ce monde et le pouvoir par nos sabres et non par cette ascendance (chérifienne). Quant à son utilité dans l’autre monde, elle dépend de Dieu seul [69]. »
Tout comme il rétorquait en berbère « Dieu seul sait » (issent rabbī) à ceux qui voulaient mettre son nom sur le nouveau minaret de la mosquée de Tlemcen. La réponse affirmait, aux yeux de tous, la modestie du nouveau souverain par rapport à ses prédécesseurs les califes almohades. De plus, il utilisait la terminologie arabe pour désigner Dieu (rabbī), faisant l’impasse sur l’ancienne appellation berbère de Yakūš, sans doute trop rattachée aux « hétérodoxes » kharijites. Cette économie de pouvoir, en ne mettant pas à l’honneur un idiome sacré propre aux Maghrébins, laissait la place aux mélanges entre l’arabe et le berbère, comme le faisait le poète de cour al-Malzūzī, fait impensable sous les Almohades :
Il était très familier des princes ; il fut au service des souverains de la descendance de ‘Abd al-Ḥaqq [les Mérinides]. Il leur consacra sa poésie, pour la majeure partie composée pour faire part de leurs grands faits d’armes, s’adressant à eux aussi bien en arabe qu’en langue zénète. Il parvint ainsi à devenir célèbre et proche (des souverains) obtenant honneurs et faveurs [70].
La montée en puissance du bilinguisme
À la charnière des xiie–xiiie siècles, pour la première fois un auteur arabe, Ibn ‘Abd al-Malik al-Marrākušī (m. après 1224), accorda à des personnes s’exprimant en berbère la qualité de faṣīh(éloquent) [71] De même, un poète syrien, qui avait servi un temps le sayyid almohade Abū ar-Rabī’, précise que son maître était faṣīh aussi bien en arabe qu’en berbère [72]. Cette situation constitue une nouveauté qui révèle, indubitablement, que l’accession de l’empire almohade au rang de grande puissance avait facilité la promotion du berbère [73].
Il semble que la connaissance du berbère touche, aux xiie–xiiie siècles, des hommes lettrés arabes qui cherchent à servir les Almohades. C’est ainsi que, bien qu’originaire de Tortosa, Abū l-Ḥasan b. ‘Aṭiyya fut nommé prédicateur dans l’une des plus prestigieuses mosquées du Maghreb, al-Qarawiyyīn de Fès, en raison de sa connaissance du berbère ; il en fut de même tout au long du gouvernement almohade de la ville, comme le signale al-Ǧaznā’ī au milieu du xive siècle [74]. Aussi les fonctionnaires jugeaient-ils l’apprentissage du berbère nécessaire au bon déroulement de leur carrière. Cet attrait nouveau est attesté par le médecin natif de Séville, Abū Marwān Ibn Zuhr (m. 1162), l’Avenzoar des Latins, qui demanda au calife ‘Abd al-Mu’min : « Ô Seigneur, Prince des croyants, j’envie mes frères [les autres Andalous au service des Almohades] qui comprennent cette langue, pourriez-vous autoriser ce dévot, votre serviteur, à l’apprendre [75] ? » Or Ibn Zuhr avait longtemps servi les Almoravides sans jamais avoir éprouvé le besoin d’apprendre le berbère. En fin de compte, Ibn Marzūq (m. 1379), qui rapporte la scène, moque la démarche du médecin qui ne put apprendre, au bout d’une longue période, que deux mots : « donne ! » (‘awiš) et « donne-moi plus ! » (‘arnū). Signe, pour le panégyriste du souverain mérinide Abū l-Ḥasan (r. 1330-1348), que les Andalous s’intéressaient principalement aux prébendes accordées par les Almohades. Il s’agit là d’une des rares anecdotes d’époque almohade rapportée par ce chroniqueur ; en effet, l’institutionnalisation de la langue berbère était perçue à l’époque mérinide comme l’une des caractéristiques de l’époque almohade.
L’unification politique et territoriale de l’Occident musulman médiéval, sous les deux dynasties berbères, almoravide et almohade, entraîna d’importants mouvements de populations entre les différentes provinces de l’empire. Des troupes berbères, parfois accompagnées de leurs familles et de Maghrébins en quête de savoir, franchirent massivement le détroit de Gibraltar, cependant que les souverains berbères employèrent un grand nombre de fonctionnaires ou d’artisans. L’essor des échanges se manifesta sur le plan linguistique par la diffusion de l’arabe en milieu berbère et, inversement, par une curiosité accrue pour le berbère en milieu andalou.
Des centaines de termes berbères apparaissent ainsi dans les traités de pharmacologie d’Abū l-Ḫayr al-Išbīlī (m. après 1120) et du Malagueño Ibn al-Bayṭār (m. 1248), ou dans les principaux traités de cuisine rédigés par des Andalous, que ce soient des noms de recette (bzīn, tutlīn, etc. [76]) ou des produits utilisés, donnés sous une forme bilingue : « les escargots » (aġlāl/al-qawqan), « les cardons » (ifezan/al-ḫaršuf) [77]. À l’inverse, des recettes d’origines arabe et orientale sont importées au Maghreb où les populations « berbérisent » les dénominations arabes en y ajoutant un t initial et final ; c’est notamment le cas de la panade (rafīsa) appelée à Fès tarfīst, d’après l’auteur anonyme du livre de recettes Kitāb aṭ-Ṭabīḫ (début du xiiie siècle) [78].
Plus étonnant encore, al-Bayd̠aq désigne Reverter Guislaber de la Guardia (m. 1145), le chef catalan de la milice chrétienne au service des Almoravides, par une appellation mi-berbère mi-castillane, « le seigneur des garçons » (señor ifurḫān) [79], terme qui fait référence aux statuts d’infériorité juridique des chrétiens par rapport aux musulmans en terre d’islam. Il s’agit probablement d’un équivalent de l’arabe fityān « esclaves », « garçons ».
En lien avec cette accession au statut de langue de référence, on trouve trace du berbère dans les ouvrages orientaux les plus importants, par exemple dans la plus prestigieuse bio-bibliographie de la période médiévale Wafayāt al-a’yān wa-anbā’ abnā’ az-zamān (Nécrologie des personnes éminentes et information sur les contemporains) d’Ibn Ḫallikān (m. 1282) qui rapporte à propos de l’un des introducteurs de la doctrine malikite en al-Andalus, originaire de la région de Tanger, Yaḥyà b. Yaḥyà b. Wislāssan Manġayā al-Maṣmūdī al-Layṯī (m. 848) : « Wislās ou Wislāssan est un mot berbère qui signifie ‘il les a entendus’. Manġayā signifie ‘le tueur’ en berbère. Nous avons précédemment évoqué les Berbères et les Maṣmūda [80]. »
C’est dans ce contexte qu’il faut situer l’ouvrage d’Ibn Tūnart (m. 1172) ; son dictionnaire, qui comprend 2 500 entrées arabes avec leur traduction en berbère, atteste la volonté de mettre le berbère au même niveau que l’arabe, en participant à l’élaboration d’une langue écrite [81]. Il recourt essentiellement à la langue des Maṣmūda, utilisée par les Almohades, alors même qu’il était originaire de la Qal’at Banī Ḥammād dans l’Est de l’Algérie et qu’il s’installa finalement à Fès pour y exercer la fonction de cadi. À la demande du gouverneur almohade de Ceuta, un notable de cette cité, lui-même d’origine arabe, Abū l-‘Abbās Aḥmad al-‘Azafī (m. 1236), consacra un ouvrage à Abū Ya’zā (m. 1176), un saint berbère monolingue. Le texte contient seize phrases en berbère, aisément compréhensibles pour un locuteur actuel du tašelḥit. Si bon nombre d’entre elles ont un lexique et une syntaxe berbères, d’autres en revanche présentent un étonnant mélange. Dans certaines, la syntaxe est berbère, mais le lexique entièrement arabe, à l’exception de la préposition s « à l’aide de » : « je me repens avec l’aide du seigneur des mondes » (tūb-aġ s-rabb al-‘allāmīn). Dans d’autres, cela peut aussi être l’inverse avec une syntaxe arabe et un lexique berbère : « Dites au lion noir » (Qūlū l-izam saggān) [82]. Ce mélange constitue peut-être un bon indice de l’interpénétration entre les deux langues à l’œuvre dans les classes dirigeantes.
Ces emplois bilingues apparaissent si évidents pour les contemporains que des auteurs de l’époque n’éprouvaient pas systématiquement le besoin de les traduire. Par exemple : « Nous fûmes surpris par une pluie de huit jours, si bien que nos bêtes faillirent périr, enlisées dans la boue ; aussi le Prince des croyants [‘Abd al-Mu’min, r. 1132-1161] appela-t-il cet endroit Tāġzūt n-walūḍ [83]. » Cette phrase demeure incompréhensible pour qui ne sait pas ce que Tāġzūt n-walūḍ signifie en berbère, soit le fond de la vallée de la boue. En nommant un lieu, le premier calife almohade prouve ses capacités à dominer le cours des événements et à survivre à une épreuve « imposée par Dieu ». On identifie également cette propension dans ce moment extraordinaire qui précède la première tentative de prise de Marrakech en 1128. Quand le second d’Ibn Tūmart, al-Bašīr, procède au tamyīz, soit à une purge visant à se débarrasser des éléments almohades les moins fiables, il le fait dans un lieu qui est par la suite connu sous le nom de yger n-wusan-nān. Le sens de ce toponyme peut être interprété comme « le champ de ces jours-là », ou, plus exactement, comme « le champ où se produisit cet événement extraordinaire (la purge) ». L’usage du démonstratif berbère ān se retrouve d’ailleurs dans des phrases attribuées à Ibn Tūmart, par exemple : « Faites passer ce šayḫ » (azzayd amġār-anna) [84], toujours en usage aujourd’hui en tašelḥit.
La progression de l’écrit et de la connaissance de l’arabe au Maghreb, sous les empires berbères, se traduit par l’émergence, dans les sources, de renseignements relatifs à la façon dont les autochtones scandaient le temps. Ibn ‘Id̠ārī précise que, après deux années de sécheresse, 1218 et 1219, les tribus Maṣmūda nommèrent la seconde par une appellation mi-berbère mi-arabe, composée de l’arabe sana (an-née) et du berbère agalīl (pauvre), soit « l’année du pauvre » (sanat wagalīl). Ibn Abī Zar’ (m. vers 1320) indique que le calife almohade al-Manṣūr (r. 1184-1199) fut obligé de garder le lit à Tlemcen pendant des mois, alors qu’il se rendait en Ifrīqiya pour endiguer la progression des Banū Ġāniya. L’incapacité du souverain fut vécue comme une catastrophe car elle fragilisait le système, l’édifice almohade reposant sur le charisme et le volontarisme politique du prince. C’est pour cela que cette an-née fut appelée ‘ām agrūwā [85], qui est une forme arabisée d’agrāw, par ailleurs bien attestée chez al-Bayd̠aq [86], et qui a pour acception « conseil ». En ce temps excep-tionnel de vacance du pouvoir, un aréopage de dignitaires almohades expédiait les affaires courantes, et, vraisemblablement, cette appellation mi-arabe mi-berbère y faisait référence. On trouve chez Ibn Tūnart la trace d’un calendrier berbère qui n’est ni le calendrier lunaire musulman ni le calendrier solaire julien [87]. De façon sympto-matique, celui-ci, qui fut cadi pour le compte des Almohades, donne des indications sur la méthode à suivre pour faire correspondre ces trois calendriers.
Il faut remarquer que, dans leur majorité, les sources en berbère relatives à la période médiévale sont liées au tašelḥit et donc à la langue des Maṣmūda tant du point de vue du lexique que de la morphologie [88]. En effet, les géographes al-Idrīsī et az-Zuhrī ou les botanistes précités rapportent un grand nombre de termes techniques en berbère, en spécifiant bien que ces noms proviennent de la langue des Maṣmūda (wa huwa ism bi-luġat al-Maṣāmida) ; c’est notamment ce que fait al-Idrīsī :
Les gens de Siǧilmāsa mangent du chien et du gros lézard dit ḥirdawn qu’ils appellent, en berbère, aqzīm. […] Le froment qui pousse sans semence dégénère au point de prendre un aspect intermédiaire entre celui du froment et celui de l’orge. Il porte alors le nom de yardan tazwāw [89][89]Al-Idrīsī, Nuzhat al-muštāq, op. cit., p. 71..
Le géographe au service de Roger II de Sicile ne prend pas toujours la peine de tra-duire ces emprunts au berbère, il ne spécifie pas, par exemple, que yardan tazwāw signifie littéralement « le blé du vent ». Les termes berbères cités par les géographes arabes ont pour but de décrire un pays avec une production caractéristique. C’est ainsi qu’al-Idrīsī ou encore l’Andalou az-Zuhrī (m. 1161) insistent sur l’argān [90], arbre endogène au sud du Maghreb extrême. En outre, il est fait mention dans leurs ou-vrages d’animaux qui rentrent dans une composition littéraire, celle des marabilia ou ‘aǧā’ib, comme le « porc-épic » (yārwī [91]) ou encore « l’antilope » (lamṭ [92]). Leur nom berbère vient souligner le caractère merveilleux de ces créatures. Même l’Épître d’al-Šaqundī, qui vise à mettre en relief la supériorité d’al-Andalus sur le Maghreb, intègre du berbère, par exemple « le petit tambourin » (agwal [93]) ou « la petite flûte » (yaruya [94]). Le lexique arabe de Pedro de Alcalá confirme que certains termes utilisés quotidiennement par la population de Grenade au XVe siècle provenaient du berbère et, plus précisément, du parler des Maṣmūda, comme le verbe « regarder » (zrī) ou le terme « pauvre » (mazlut [95]). En définitive, on peut identifier dans le dictionnaire d’arabe d’al-Andalus de Fernando Corriente une cinquantaine de termes berbères [96].
Inversement, on assiste à une pénétration de l’arabe au Maghreb. Tout d’abord, il semble que, contrairement aux premiers siècles d’islamisation, les termes arabes relatifs au vocabulaire religieux soient importés directement sans être traduits ni subir de déformations majeures. C’est ainsi que l’on retrouve des termes arabes comme « justice » (ḥaqq), « injustice » (baṭal) et « bas-monde » (dunya) chez Ibn Tūmart dans des discours prononcés en berbère [97].
On constate ensuite l’introduction, dans les langues berbères de l’Ouest du Maghreb, de phonèmes spécifiques à l’arabe. Ainsi, alors que Zammūr, l’ambassadeur des Barġawāta auprès du calife omeyyade al-Ḥakam II (r. 961-976), n’employait pas la lettre arabe ḥā’, et appelait le prophète de l’islam Māmat, et non Muḥammad, on voit apparaître au xie siècle des toponymes tels que Tabaḥrit, berbérisation du mot arabe baḥr (mer) ou Tiḥāmmāmin (les hammams), ou encore, vers 1130, le nom Ida w-Maḥmūd, pour une tribu du Haut Atlas occidental. La lettre ‘ayn (‘) fait, elle aussi, son apparition en berbère, et on la trouve dans des toponymes comme Tā’gīzt dans le Sūs.
Le système onomastique témoigne également de la pénétration de l’arabe au Maghreb, qui se manifeste dans l’anthroponymie d’abord par la diffusion de noms construits avec un élément arabe intégré dans une construction du type Ylā Ugwma, signifiant « il a un frère » en berbère. Par exemple avec nūr(« lumière » en arabe), cela donne Ylā Nūr (« qui possède la lumière ») ou Ylā l-Baḫt (« qui a de la chance ») –, ou encore avec la construction wīn (« de » en berbère), Wīn Yufān « le riche en berbère » (litt. « celui des meilleurs ») et Wīn l-Ḫayr « le bon en arabe » (litt. « celui du bien »). Ensuite, on voit se développer une double onomastique, l’une berbère, l’autre arabe, comme chez certains dignitaires almoravides, tel Yaḥyá Angwmar, dont le nom est formé de Yaḥyá (« Jean le Baptiste » en arabe) et Angwmar (« le chasseur » en berbère), ou encore chez des santons tel que le saint patron de Safi, Abū Muḥammad Ṣāliḥ Inzrān, avec le nom arabe Abū Muḥammad Ṣāliḥ et le nom berbère Inzrān (les pluies [98]), sans qu’il existe nécessairement un lien sémantique entre les différentes parties du nom. Parfois, toute la séquence onomastique est redoublée ; ainsi un notable de la tribu des Wāwazgīt, dans le Sud du Maghreb extrême, se faisait-il appeler Yaslatan b. Ylā Zġīġ en berbère et Abū Ṣāliḥ b. Abī ‘Abd Salām en arabe. Afin de mieux cadrer avec la cause justificative et militante, il arrivait qu’Ibn Tūmart renomme une personne. Par exemple, l’ancêtre éponyme de la dynastie hafside portait initialement le nom de Faska « la Fête du sacrifice » et devint Abū Ḥafṣ ‘Umar, car sa geste rappelait celle du deuxième des califes orthodoxes Abū Ḥafṣ ‘Umar b. al-Ḫaṭṭāb (r. 634-644) ; ceci dans un contexte plus global, où les fondateurs de mouvements politico-religieux au Maghreb cherchaient à imiter la genèse de l’islam et donc à arabiser une donne berbère.
Certains noms importants de l’histoire de l’islam sont « berbérisés » : Māmat ou Ḥammū pour Muḥammad, Tā’yašt pour ‘Ā’īša, dernière femme du Prophète. De même, la racine trilitère arabe [ḪLF] est intégrée dans l’onomastique berbère ; de fait, on identifie de nombreux personnages prénommés Yḫlaf, « celui qui naît après la mort de son frère aîné ». Preuve de l’existence d’une dynamique d’acculturation réciproque entre Arabes et Berbères, on trouve également des cheikhs arabes hilaliens qui portent des noms berbères, ainsi au Maghreb extrême, le cheikh de la tribu des Sufyān ‘Alī b. Izimar (« le bélier »).
Enfin, il est clair que, au moins depuis le xiie siècle, les différents auteurs qui écrivirent des noms ou des phrases entières en berbère, à commencer par les personnes gravitant à un titre ou à un autre dans les arcanes du pouvoir almohade, adoptèrent des mesures visant à résoudre le problème de transcription en caractères arabes de mots ou de phrases berbères. La difficulté la plus importante à résoudre était celle des voyelles. La solution adoptée fut de noter la voyelle /a/ par l’aleph, le /u/ par le wāw et le /i/ par le yā qui marquent les voyelles longues en arabe classique [99]. Ces notations de voyelles longues sont des artefacts de la notation arabe et non des données pertinentes ; il n’existe pas de durée vocalique distinctive en berbère, à la différence de l’arabe.
À ce titre, les phrases d’al-Bayd̠aq intégrées à l’unicum de l’Escurial sont entièrement vocalisées quand le reste du manuscrit ne l’est pas, et ce, afin d’éviter toute erreur, ces phrases étant rattachées aux saints personnages du début du mouvement (Ibn Tūmart, Abū Ḥafṣ ‘Umar et ‘Abd al-Mu’min). Il en va de même pour le manuscrit Kitāb al-asmā’ d’Ibn Tūnart mais aussi pour les nombreux noms berbères du corpus hagiographique at-Tašawwuf d’at-Tādilī achevé en 1220, ainsi que pour les phrases en berbère prêtées à Abū Ya’zā par al-‘Azafī. Cette orthographe fit autorité non seulement pendant toute la période almohade mais également sous les dynasties qui lui succédèrent, les principaux auteurs d’époque mérinide continuant à utiliser ces normes, à commencer par Ibn Ḫaldūn. Les auteurs des époques almohade et mérinide, en appliquant cette norme, cherchèrent à rendre les noms berbères de telle façon que l’on puisse les prononcer et les traduire ; le but poursuivi étant de donner plus d’informations sur les sociétés autochtones. C’est notamment le cas du biographe al-Marrākušī (m. 1284) qui précise, à propos du grammairien émérite et premier prédicateur de la mosquée du complexe palatial almohade de la Qaṣ>ba, Abū Mūsā ‘Īsā b. ‘Abd al-‘Azīz Ilā l-Baḫt (m. 1208) :
Son village (mawdi’) dans le pays de Guzūla s’appelle Ida-w-Ġarda ; [il s’écrit] avec hamza, alif et un yā’ portant kasra (masfūl), un dāl sans point (ġufl) et un alif (ā long). Il signifie « famille » (ahl) ou « communauté » (ṭā’ifa). [Vient ensuite] un ġayn avec un point dessus (mu’ǧam) et un a bref, un rā’ quiescent (sākin), un dāl sans point (ġufl) et un alif ; il signifie la « souris ». À l’origine de ce mot, on a un alif précédé d’une hamza, mais on les supprime [lorsqu’il est attaché à un autre mot]. Il semble que le sens de ce terme soit : « ceux du fils de la souris » [100].
Le cas échéant, les auteurs pouvaient innover comme Ibn Ḫaldūn qui, pour restituer le z emphatique berbère, décida d’utiliser la lettre arabe ṣād (ص) en y rajoutant au milieu un zay (ز), le but étant de rendre ce phonème propre au berbère. Le polygraphe tunisois se montre sensible aux spécificités de la langue berbère en remarquant par exemple : « Au Maghreb, l’enceinte se dit en berbère, la langue du pays, afrâg, avec un k prononcé entre les sons k et G [101]. »
Les Mérinides voulurent se démarquer de leurs prédécesseurs almohades notamment en imposant l’islam de rite malikite. Fer de lance de cette politique, les lettrés au service de la nouvelle dynastie turent à dessein le statut de langue sacrée conférée au berbère au cours de la période précédente. Néanmoins, les populations rurales au Maghreb extrême restèrent attachées à l’almohadisme, à la figure sacralisée d’Ibn Tūmart, au pèlerinage de Tinmel et donc, in extenso, au berbère en tant que support de cette idéologie. Et c’est un fait que la plupart des écrits en berbère relatifs à cette époque nous ont été transmis dans des manuscrits compilés sous les Mérinides; ce qui est, entre autres, le cas du principal d’entre eux qui date de 1312, publié dans les Documents inédits d’époque almohade. En effet, les lettrés du Sud du Maghreb extrême cherchèrent à perpétuer la tradition almohade en continuant non seulement à écrire dans cette langue mais, qui plus est, en se fondant sur des normes orthographiques rigoureuses.
Autre élément de rupture par rapport à la tradition, les Mérinides, ne s’appuyant pas à l’instar de leurs devanciers sur une idéologie justificative et militante, mirent à l’honneur les descendants du Prophète de l’islam, les chérifs vivant au Maghreb extrême, dont la liste fut établie et qui reçurent des prébendes de l’État. Par la suite, la chérifisation prit la forme d’une réaction aux avancées européennes (prise de pratiquement tous les ports entre 1415 et 1512); elle prit racine dans l’idée que l’islam était en danger. Les Maghrébins adoptèrent alors une idéologie de combat, « le chérifisme », incarné en la personne du saint Muḥammad b. Sulaymān al-Ǧazūlī (m. 1465). Il amena une nouvelle forme de religiosité transcendant les divisions tribales et resserrant les rangs autour d’une dynastie, celle des Saadiens, qui se présentèrent comme les descendants du Prophète de l’islam et, de ce fait, exogènes à la société segmentaire du Maghreb. Cette idéologie fit reculer définitivement l’almohadisme resté dominant dans les campagnes pendant toute la période mérinide ou presque.
C’est au cours de cette même période des xve–xvie siècles que s’effondre la culture lettrée et que recule l’écrit en général, la norme orthographique mise en place à l’époque almohade disparaissant tout comme l’habitude d’écrire en berbère. Cela résulte de deux phénomènes concomitants, la quasi-disparition de l’État centralisé sous les Wattāsides et la chérifisation de la société au Maghreb. De fait, il existe un hiatus entre la seconde moitié du xive siècle, quand disparaissent les sources arabes médiévales évoquant la présence du berbère ou citant des phrases en cette langue [102], et le moment où ces écrits réapparaissent, dans la seconde moitié du xvie siècle, période où émerge la dynastie saadienne.
Cependant, l’ampleur de cette «déberbérisation» est à nuancer dans la mesure où, comme l’a démontré N. Van den Boogert, les normes orthographiques mises en place sous les Almohades sont encore bien présentes dans l’ouvrage d’al-Hilālī (m. après 1665). Le legs almohade perdura également dans le Sud du Maghreb extrême où se maintint une tradition bien établie dans laquelle l’exégèse et tout ce qui a trait aux sciences religieuses utilisaient le berbère; le tašalḥit restant, de tous les idiomes berbères, celui qui dispose du patrimoine écrit le plus fourni mais aussi le plus éclectique, du recueil de poésie au traité de géomancie, du commentaire de traditions prophétiques au droit coutumier. De même, tašalḥit, «nationalisme» et islam traditionnel, voire conservatisme, entretiennent un lien indissociable. C’est là peut-être un des derniers avatars d’une histoire au long cours qui vit les Maghrébins se démarquer de l’Orient par la «berbérisation» d’un islam qu’ils s’étaient approprié en l’adaptant à leur réalité, comme le remarqua l’anthropologue Edvard Westermarck.
En définitive, depuis les temps de la conquête, les Maghrébins hésitent entre une expérience référencée culturellement et idéologiquement à l’Orient, avec son corollaire linguistique, la suprématie sans partage de l’arabe comme dans le cas des Aghlabides et des Fatimides, et une expérience autonomiste auto-référencée, comme chez les Barġawāta ou les Almohades, que caractérise la promotion du berbère au rang de langue du sacré. Au xvie siècle, la question est réglée car, dorénavant, les Maghrébins se construisent dans le mépris de leur langue maternelle, arabe dialectal ou berbère, toute reconnaissance sociale passant par un éloignement avec les idiomes usuels. Tout comme les usages et langues autochtones font l’objet, au mieux, du dédain des lettrés soucieux de faire cadrer leur praxis avec celle des grands centres de diffusion de la culture arabo musulmane. Nul autre mieux que Jacques Berque n’a expliqué ce phénomène qui diffère fortement du temps des empires berbères :
Aux normes orientales, soutenues par une foi puissante, et à la tradition d’école, qui relie Fès à Cordoue, rien d’autre ne semble aux penseurs locaux digne d’être ajouté, qui ne procède du milieu local. Tout au plus font-ils jouer, pour expliquer ce qui est à leurs yeux déviation et dérogation, une «politique civile», dont ils cherchent ailleurs les cautions orthodoxes [103]
Ce processus se situe à l’exact opposé de celui constaté en Europe, qui connaît alors un véritable essor des langues vernaculaires. À la suite de l’expérience coloniale, c’est d’Europe que s’impose, au Maghreb, l’idée d’utiliser le passé afin de forger un collectif homogène. Pour ce faire, il était nécessaire de formuler une histoire multiséculaire cohérente destinée à inculquer à tous les membres des jeunes nations postcoloniales la conscience d’une continuité temporelle et spatiale entre les ancêtres et les pères des ancêtres. Parce qu’un tel sentiment, censé battre au cœur de la nation, n’existe naturellement dans aucune société, les agents de la mémoire ont dû s’employer durement à l’inventer. Le passé subit alors une vaste opération de chirurgie esthétique: les événements peu glorieux sont passés sous silence ainsi que certaines options retenues qui sont jugées non conformes aux besoins du présent. Au contraire, les grands moments de l’histoire des jeunes nations, Maroc, Algérie et Tunisie, sont célébrés, des invasions arabo-musulmanes jusqu’à la décolonisation. En dépit d’une indépendance récente, les États maghrébins se doivent, dans le cadre de cette histoire revisitée, de soutenir la comparaison avec l’Europe et tout particulièrement avec l’ancienne puissance coloniale française, ce qui suppose de se référer à une histoire aussi longue et aussi glorieuse. Là où la France fait débuter son histoire à Clovis, Charlemagne ou Hugues Capet, les Marocains mettent en avant l’exceptionnelle longévité et la continuité de leur État qui remonterait aux Idrissides, tout comme ils peuvent se prévaloir d’être les continuateurs de la seule dynastie ayant jamais unifié sous leur califat l’ensemble de l’Occident musulman, les Almohades. De façon plus problématique encore, les Maghrébins doivent également donner le change aux Orientaux. En effet, l’islam provient d’Orient et c’est là que s’est structuré l’arabe qui y a gagné ses lettres de noblesse et est devenu langue de référence en sortant de son bédouinisme originel.
Les habitants du Maghreb, majoritairement berbères, ne semblent pas avoir été partie prenante de ce processus, à la différence des populations de Syrie et de Mésopotamie. Ce fut une source de tension dès le xiie siècle, lorsque les Maghrébins commencèrent à écrire leur histoire. Ils eurent alors le plus grand à mal à se situer par rapport aux autres peuples du Dār al-Islām et à sortir de l’image dépréciative qui était la leur. Loin de souligner les divergences, le roman national au Maghreb ambitionne de faire converger son histoire avec celle du Mashreq, en avançant que la langue arabe y a bénéficié très tôt, à l’instar de l’Orient, d’une large diffusion, tant sur le plan de l’écrit que de l’oral. Dans ce cadre lié à la diffusion de l’idéologie nationaliste, il reste malaisé d’avancer que le berbère bénéficia avec les Barġawāṭa ou les Almohades, et dans une moindre mesure avec les Kharijites, du statut de langue sacrée attachée à la diffusion de la dernière des religions révélées et fut à ce titre considéré comme digne d’être diffusé par écrit. L’impasse qui est faite sur cette caractéristique du Maghreb empêche de comprendre pourquoi l’arabisation y reste inaccomplie, à la différence de l’Orient. Si l’on ne prend pas en compte cette spécificité liée au maintien d’un substrat berbère extrêmement prégnant, on risque de ne pas appréhender correctement les caractéristiques syntaxiques et phonétiques du maghrébin par rapport aux autres langues arabes (égyptien, syro-libanais, irakien, etc.).
Pour y voir plus clair, il conviendrait de mettre en avant tout ce que le passé du Maghreb comporte de spécificité et d’originalité autant vis-à-vis de l’Orient que d’al-Andalus. À cette fin, il est nécessaire de multiplier les études visant à la reconstitution du tissu linguistique et culturel de l’Occident musulman, qui feraient, entre autres, la part belle à l’interaction entre le berbère et l’arabe, si fondamentale et pourtant si négligée. Ce n’est qu’en entreprenant cette tâche au long cours que l’on arrivera à mieux appréhender la question linguistique au Maghreb; il faudrait pour cela revenir sans arrière-pensées idéologiques sur les racines médiévales de son passé en mobilisant histoire, codicologie, linguistique et anthropologie.
Mehdi Ghouirgate
Université de Bordeaux
Source : Carin.info
Notes
[*]Cette étude s’insère dans le cadre du projet Igamwi (« Imperial Government and Authority in Medieval Western Islam ») financé par le septième programme-cadre de recherche et développement de l’European Research Council : FP7-ERC-StG-2010-263361. Participent à ce projet, dirigé par Pascal Buresi, Hicham el Aallaoui, Hassan Chahdi, Travis Bruce et moi-même.[1]Helena de Felipe, Identidad y onomástica de los Beréberes de al-Andalus, Madrid, Consejo superior de investigaciones científicas, 1997.
[2]Pedro de Alcalá, El léxico árabe andalusí según P. de Alcalá. Ordenado por raíces, corregido, anotado y fonémicamente interpretado, éd. par F. Corriente, Madrid, Universidad complutense de Madrid, 1988.
[3]Antonio Tovar Llorente, « Los estudios bereberes en relación con España », Cuadernos de estudios africanos, 1, 1946, p. 113-121 ; Paulette Galand-Pernet, « Documents littéraires maghrébins en berbère et expansion de l’Islam », inM. Galley (dir.), Actes du deuxième congrès international d’études des cultures de la Méditerranée occidentale, Alger, Société nationale d’édition et de diffusion, 1978, vol. 1, p. 376-384.
[4]Documents inédits d’histoire almohade. Fragments manuscrits du Legajo 1919 du fonds arabe de l’Escurial, éd. et trad. par É. Lévi-Provençal, Paris, P. Geuthner, 1928 ; Ibn ‘IḎārī al-Marrākušī, al-Bayān al-muġrib fī aḫbār al-Andalus wa-ăl-Maġrib. Qism al-muwaḥḥidīn, éd. par M. al-Kattāni et al., Casablanca/Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī/Dār aṯ-Ṯaqāfa, 1985.
[5]Helena de Felipe, « Los estudios sobre bereberes en la historiografía espagnol. Arabismo y africanismo », inM. Marín (dir.), Al-Andalus/España. Historigrafías en constate, siglos xvii–xxi, Madrid, Casa de Velázquez, 2009, p. 105-117.
[6]Dominique Valérian (dir.), Islamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval, viie–xiie siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011.
[7]Mohamed Meouak, « Langue arabe et langue berbère dans le Maghreb médiéval. Notes de philologie et d’histoire », Al-Andalus-Magreb, 13, 2006, p. 329-335 ; Mohand Tilmatine, « Du Berbère à l’Amazighe : de l’objet au sujet historique », Al-Andalus-Magreb, 14, 2007, p. 225-247.
[8]Paulo Fernando de Moraes Farias, Arabic Medieval Inscriptions from the Republic of Mali: Epigraphy, Chronicles, and Songhay-Tuāreg History, Oxford, Oxford University Press, 2003.
[9]Mohamed Kably, Variations islamistes et identité du Maroc médiéval, Paris, Maisonneuve et Larose, 1989, p. 14.
[10]Gabriel Martinez-Gros, Brève histoire des empires, comment ils surgissent, comment ils s’effondrent, Paris, Éd. du Seuil, 2014, p. 76.
[11]Serge Lancel, « La fin et la survie de la latinité en Afrique du Nord. État des questions », Revue des études latines, 59, 1981, p. 269-297.
[12]Mehdi Ghouirgate, « Plurilinguisme à l’époque médiévale », Encyclopédie berbère, vol. 38, à paraître.
[13]Charles de Foucauld, Dictionnaire touareg-français. Dialecte de l’Ahaggar, Paris, Imprimerie nationale de France, [1920] 1951, t. 1, p. 408.
[14]At-Tādilī, at-Tašawwuf ilā riğāl at-taṣawwuf, éd. par A. Toufiq, Rabat, Publications de la faculté des lettres de Rabat, Université Mohammed V, 1997, p. 89-92.
[15]Ibnal-Abbār, at-Takmila li-Kitāb aṣ-ṣila, éd. par B. ‘Uwwād Ma’rūf, Tunis, Dār al-ġarb al-islāmī, t. 2, s. d., p. 421.
[16]Yassir Benhima, « Quelques remarques sur les conditions de l’islamisation du Maġrib al-Aqṣâ : aspects religieux et linguistiques », in D. Valérian (dir.), Islamisation et arabisation de l’Occident musulman médiéval…, op. cit., p. 327.
[17]Gabriel Camps (dir.), « Akuš (Yakuš/Yuš) », Encyclopédie berbère, Aix-en-Provence, Edisud, 1986, vol. 3, p. 431-432.
[18]Cyrille Aillet, « A Breviary of Faith and a Sectarian Memorial: A New Reading of Ibn Sallāms Kitāb (3rd/9th Century) », in E. Francesca (dir.), Ibadi Theology: Rereading Sources and Scholarly Works, Hildesheim, Georg Olms Verlag, 2015, p. 67-82.
[19]Ad-Darǧīnī, Ṭabaqāt al-mašāīḫ bā l-Maġrib, éd. par I. Ṭallāy, Blida, Maktabat Ṭarīq al-‘ilm, 1974, t. 2, p. 314.
[20]Nico Vanden Boogert et Maarten Kossmann, « Les premiers emprunts arabes en berbère », Arabica, 44-2, 1997, p. 317-322.
[21]Lameen Souag, « Archaic and Innovative Islamic Prayer Names Around the Sahara », Bulletin of Soas, à paraître. Je tiens à remercier l’auteur qui a accepté de me faire parvenir son article inédit.
[22]Tadeusz Lewicki, « Mélanges berbères-ibāḍites », Revue des études islamiques, 10, 1936, p. 267-286, ici p. 275.
[23]Ouahmi Ould-Braham, « Sur un nouveau manuscrit ibāḍite-berbère. La Mudawwana d’Abū Ġānim al-Ḫurāsānī traduite en berbère au Moyen Âge », Études et documents berbères, 27, 2008, p. 47-71, ici p. 47.
[24]Ibid., p. 68.
[25]André Basset, « Notes additionnelles », Revue des études islamiques, 3, 1934, p. 297-305, ici p. 300.
[26]Cyrille Aillet (dir.), no spécial « L’ibadisme, une minorité au cœur de l’islam », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 132, 2012.
[27]At-Tādilī, at-Tašawwuf…, op. cit., p. 143.
[28]Ibid., p. 128, 178, 198 et 200. Les Maṣmūda étaient la composante berbère majoritaire du Maghreb extrême.
[29]Al-Bakrī, Kitāb al-Masālik wa l-mamālik, éd. par A. Van Leewen et A. Ferré, Tunis, Dār al-arabiyya li-l-kitāb, 1992, t. 2, p. 820-826. Voir Salem Chaker, « Données sur la langue berbère à travers les textes anciens : la Description de l’Afrique septentrionale d’Abou Obeïd el-Bekri », Revue des mondes musulmans et de la Mediterranée, 31, 1981, p. 31-46, ici p. 35-36.
[30]A. Basset, « Notes additionnelles », art. cit., p. 301.
[31]Mercedes García-Arenal, Messianism and Puritanical Reform: Mahdīs of the Muslim West, Leyde, Brill, 2006.
[32]Aš-Šāṭibī, Kitāb al-i’tiṣām, éd. par M. R. Riḍā, Le Caire, Muṣṭafā Muḥammad, 1878, t. 2, p. 79.
[33]Salem Chaker, Manuel de linguistique berbère, vol. II, Syntaxe et diachronie, Alger, Enag, 1996, p. 139.
[34]Ahmed Toufiq, « Ḥawla ma’nā ism Marrākush », in Marrākush, mina at-ta’sis ilā ākhir al-‘aṣr al-muwaḥḥidī, Casablanca, s. e., 1988, p. 15-19.
[35]Ibn ‘Abdal-Ḥalīm, Kitāb al-ansāb. Tres textos árabes sobre beréberes en el Occidente islámico, éd. par. M. Ǧa’lā, Madrid, Consejo superior de investigaciones científicas, 1996, p. 91, du nom du chef berbère qui conclut un pacte avec le général arabe ‘Uqba b. Nāfi’, considéré comme étant à l’origine de l’islamisation du Maghreb extrême.
[36]Documents inédits d’histoire almohade…, op. cit., p. 107. Georges Marcy, « Les phrases berbères des Documents inédits d’histoire almohade », Hespéris, 14, 1932, p. 61-77, ici p. 72, pensait qu’il fallait rendre awmāwren par « les chemins ».
[37]Al-Idrīsī, Nuzhat al-muštāq, éd. et trad. par M. Hadj Sadok, Paris, Publisud, 1983, p. 84 ; Ibn Sa’īdal-Magribī, Kitāb al-ǧaġrāfiya, éd. par I. al-Arabī, Beyrouth, Maktabat at-tiǧāra, 1970, p. 125.
[38]Sheila Blair et Jonathan Bloom (dir.), Images of Paradise in Islamic Art, Hanover, Hood Museum of Art, Dartmouth College, 1991.
[39]Ibn Sa’īd al-Magribī, Kitāb al-ǧaġrāfiya, op. cit., p. 125.
[40]Ibn ‘Abd al-Malik, Ad̠-Ḏayl wa-t-takmila, éd. par M. Benchérifa, Rabat, Académie royale marocaine, 1984, p. 221 ; Al-‘Umarī, Masālik al-abṣār fī mamālik al-amṣār, éd. et trad. par M. Gaudefroy-Demombynes, Paris, Paul Geuthner, 1927, p. 131.
[41]Mohand Tilmatine, « La langue berbère en al-Andalus. Présence et marginalisation à travers l’exemple d’un traité de botanique arabe du xiie siècle », in J. Dakhlia (dir.), Trames de langues. Usages et métissages linguistiques dans l’histoire du Maghreb, Paris, Maisonneuve et Larose, 2004, p. 151-168, ici p. 154-155.
[42]Ibn Aštarkunī, Maqāmāt al-Luzūmiyyat, éd. par H. Warāglī, Aman, ‘Allam l-kutub al-ḥadiṯ, 2006, p. 385.
[43]Al-Idrīsī, Nuzhat al-muštāq, op. cit., p. 90.
[44]Ibnal-Ḫaṭīb, al-Iḥāṭa fī aḫbār Ġarnāṭa, éd. par Y. ‘Alī Tawīl, Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī, 2003, t. 1, p. 220.
[45]Mehdi Ghouirgate, L’ordre almohade, 1120-1269. Une nouvelle lecture anthropologique, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2014, p. 47-53.
[46]Crónica de D. Alfonso el onceno de este nombre de los reyes que reynaron en Castilla y en León, éd. par F. Cerdá y Rico, Madrid, Don Antonio de Sancha, 1787, vol. 33, p. 67.
[47]Diccionario de la lengua española, Madrid, Real Academia española, 2006, p. 143.
[48]Ibid., p. 789.
[49]Ibn Ṣāḥibaṣ-Ṣalāt, Tarīḫ al-mann bi-l-imāma, op. cit., p. 411.
[50]Al-MaḪzūmī, Tarīḫ mayurqa, crónica arabe de la conquista de Mallorca, éd. et trad. par N. Roser Nebot, Palma de Majorque, Universitat de les Illes Balears, 2009, p. 69.
[51]Documents inédits d’histoire almohade…, op. cit., p. 61 : « yarwal l-ḥaqq ay l-bāṭal ard as-ykšam ifri, āyā (i)ġnā n l-bāṭal mak fall-ās yaffaġ l-ḥaqq yawat ārad ākku yaššīġ ādān-nas ītzawrīn nā-dunnīt ».
[52]Ibnal-Qaṭṭān, Naẓm al-ǧumān, éd. par M. A. Makkī, Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī, 1990, p. 132.
[53]Maribel Fierro, The Almohad Revolution: Politics and Religion in the Islamic West during the Twelfth-Thirteenth Centuries, Farnham, Ashgate, 2012.
[54]Muslim, Ṣaḥīḥ, Beyrouth, Dār al-kutub al-‘ilmiyat, 1985, vol. 1, p. 234 : « bada’a al-islām ġaribān wa-sa-yaūdu ġaribān kamā badaa, fa-ṭūbā li-l-ġurabā » ; vol. 2, p. 675 : « lā yazāl Ahl al-ġarb ẓāhirīn ‘alā al-ḥaqq ḥattā taqum as-sā’a ».
[55]Ibn Simāk, al-Ḥulal al-mawšiyya, éd. par S. Zakkār et A. Zmāma, Casablanca, Dār ar-Rašād al-ḥadīt̠a, 1978, p. 109-110.
[56]C’est-à-dire les autres Almohades de condition.
[57]On ne sait pas s’il s’agit des non-Almohades de condition ou, plus probablement, des Almohades de rang inférieur.
[58]Ahmed Azzaoui, Qaḍāyā tārīḫiyya ḫilāl al-‘aṣryn al-muwaḥḥidī wa-l-marīnī, Rabat, Rabbāniyyāt diyār l-ǧāmi’, 2010, p. 10.
[59]Ibn Abī Zar‘, Rawḍ al-qirṭās, éd. par ‘A. Ibn Manṣūr, Rabat, Imprimerie royale, 1999, p. 261.
[60]Ibn Ṣāḥib aṣ-Ṣalāt, Tarīḫ al-mann bi-l-imāma, éd. par A. at-Tāzī, Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī, 1987, p. 434.
[61]Ibn al-Qaṭṭān, Naẓm al-ǧumān, op. cit., p. 173.
[62]Ibid.
[63]Ibn Al-Abbār, at-Takmila li-Kitāb ṣila, op. cit., t. 4, p. 92.
[64]Aš-Ṣatibī, Kitāb al-i’tiṣām, op. cit., p. 60 et 78-79.
[65]Ibn ‘Id̠ārī, al-Bayān al-muġrib fī aḫbār mulūk al-Andalus wa-l-Maġrib, op. cit., p. 286.
[66]Ibn al-Ḫaṭīb, al-Iḥāṭa fī aḫbār Ġarnāṭa, op. cit., t. 1, p. 224.
[67]Dans un contexte almohade, ce terme revêt l’acception spécifique de compagnon ou de descendant des compagnons d’Ibn Tūmart.
[68]Mehdi Ghouirgate, « Un palais en marche : le camp califal almohade », in P. Cressier et V. SalvatierraCuenca(dir.), Las Navas de Tolosa, 1212-2012. Miradas cruzadas, Jaén, Universidad de Jaén, 2014.
[69]Ibn Ḫaldūn, Le livre des exemples, éd. et trad. par ‘A. Cheddadi, Paris, Gallimard, 2002, p. 387.
[70]Ibn al-ḪaṭĪb, al-Iḥāṭa fī aḫbār Ġarnāṭa, op. cit., t. 3, p. 234.
[71]Al-MarrĀkušī, al-Mu’ǧib fī talḫīṣ aḫbār al-Maġrib, éd. par ‘A. Ibn Manṣūr, Beyrouth, Dar al-kutub al-‘ilmiyya, 1998, p. 243.
[72]Al-Maqqarī, Nafḥ aṭ-Ṭīb, éd. par I. ‘Abbās, Beyrouth, Dār Ṣādir, 1988, t. 3, p. 158.
[73]Bernard Lewis, Charles Pellat et Joseph Schacht (dir.), Encyclopédie de l’Islam, Leyde/Paris, Brill/Maisonneuve et Larose, 1977, vol. 2, p. 843-846.
[74]Al-Ǧaznā’Ī, Zahrat al-Ās, éd. par ‘A. Ibn Manṣūr, Rabat, Imprimerie royale, 1991, p. 42-43.
[75]Ibn MarzŪq, al-Musnad aṣ-ṣaḥīḥ, éd. et trad. par M. J. Viguera, Alger, SNED, 1981, p. 344.
[76]Ibn RazĪn At-TuǧĪbĪ, Faḍālat al-ḫiwān fī ṭayyibāt aṭ- ṭaām wa l-alwān, éd. par M. Benchekroun, Beyrouth, Dār al-ġarb al-islāmī, 1984, p. 60 et 93.
[77]Ibid., p. 275 et 93.
[78]Kitāb aṭ-Tabīḫ., éd. par A. Huici-Miranda, Madrid, Publications des études islamiques, 1962, p. 207.
[79]Documents inédits d’histoire almohade…, op. cit., p. 65.
[80]Ibn ḪAllikĀn, Wafayāt al-a’yān wa-anbā’ abnā’ az-zamān, éd. par I. Abbās, Beyrouth, Dār ṣādir, 1972, t. 6, p. 144.
[81]Mehdi Ghouirgate, « Notice du Kitāb al-Asmā, ms. 23 333, conservé à Leiden », in Y. Lintz, C. Déléry et B. Tuil–Leonetti (dir.), Le Maroc médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne, Paris, Hazan/Musée du Louvre éditions, 2014, p. 406.
[82]Al-‘AzafĪ, Da’āmat al-yaqīn fī za’āmat al-muttaqīn, éd. par A. Toufiq, Casablanca, Maktabat ḫidmat al-kitāb, 1995, p. 46.
[83]Documents inédits d’histoire almohade…, op. cit., p. 151.
[84]Ibid., p. 45. Ibn Tūmart s’adresse à l’assemblée des Almohades pour qu’on laisse passer son père.
[85]Ibn Abī Zar‘, Rawḍ al-qirṭās, op. cit., p. 288.
[86]Documents inédits d’histoire almohade…, op. cit., p. 95. Dans le texte il est l’équivalent de l’arabe maǧlis.
[87]Nico Van Den Boogert, « The Names of the Months in Medieval Berber », in K. Naït-Zerrad (dir.), Articles de linguistique berbère. Mémorial Werner Vycichl, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 137-152.
[88]Id., « Medieval Berber Orthography », in S. Chaker (dir.), Études berbères et chamito-sémitiques. Mélanges offerts à Karl-G. Prasse, Louvain, Peeters, 2000, p. 357-378, ici p. 370-371.
[89]Al-Idrīsī, Nuzhat al-muštāq, op. cit., p. 71.
[90]Ibid., p. 74 ; Az-Zuhrī, « Kitāb al-Ǧarāfiya. Mappemonde du calife al-Mamūn reproduite par al-Fazārī (iiie–ixesiècle), rééditée et commentée par Zuhrī (vie–xiie siècle) », éd. par M. Hadj-Sadok, Bulletin d’études orientales, 21, 1968, p. 7-312, ici p. 189.
[91]Ibid., p. 191.
[92]Al-IdrĪsĪ, Nuzhat al-muštāq, op. cit., p. 75 ; Az-ZuhrĪ, Kitāb al-Ǧarāfiya…, op. cit., p. 190.
[93]Al-MaqqarĪ, Nafḥ aṭ-Ṭīb, op. cit., t. 3, p. 146.
[94]Ibid.
[95]Pedro de AlcalÁ, El léxico árabe andalusí…, op. cit., p. 86.
[96]Federico Corriente, A Dictionnary of Andalusi Arabic, Leyde, Brill, 1997.
[97]Documents inédits d’histoire almohade…, op. cit., p. 61.
[98]On donnait généralement ce nom à un enfant né après une période de sécheresse.
[99]N. Van den Boogert, « Medieval Berber Orthography », art. cit. ; Abdellah BOUNFOUR, « Notes sur l’histoire du berbère (Tachelhit). Essai de bilan et perspectives », in J. Dakhlia (dir.), Trames de langues…, op. cit., p. 169-181, ici p. 173.
[100]Al-MarrĀkuŠĪ, al-Mu’ǧib fī talḫīṣ aḫbār al-Maġrib, op. cit., p. 246.
[101]Ibn ḪaldŪn, Le livre des exemples, op. cit., p. 585.
[102]Exception faite de la monographie, datant du début du xve siècle, consacrée à la dynastie maraboutique de Ṭīṭ par Ibn al-Aḍīm az-Zammūrī. Elle reste à ce jour inédite et comprend nombre d’indications intéressantes sur la langue berbère.
[103]Jacques Berque, « La littérature marocaine et l’Orient au xviie siècle », Arabica, 2-3, 1955, vol. 2, p. 295-312, ici p. 298-299.