La légende de la grotte de Sebaâ R’goud
Les berbères, à travers toutes l’Afrique du nord, vouent un culte particulier aux grottes. Ils pensent que ces cavernes, comme les tombeaux des saints et des marabouts, sont fréquentés par les génies.
« H’khalweth n Sebaa R’goud »(1) est l’une de ces grottes qui font l’objet de vénération par les chaouis de la région d’imi n Tob ( Foum Toub) . On les voient encore aujourd’hui venir visiter la grotte pour y former et accomplir des vœux en laissant quantité de bougies, de henné, et d’encens.
Se trouvant près de l’ancienne ville numide d’Ichouqan, elle est située au flanc du défilé qui porte le même nom : Akhanneq n Sebaa r’goud (le ravin des sept dormants).
D’après Stephane Gsell, dans son Atlas géographique, le roi numide Iabdas , alors en guerre contre les vandales , aurait vécu quelque temps retranché à l’intérieur de cette caverne .
Emile Masqueray identifie quant à lui Ichouqan au Mons Aspidis (mont du Bouclier) signalé par Procope dans la guerre des Vandales. Salomon, le chef vandale avec son armée, aurait resté trois jours dans cet endroit avant d’être contraint de se retirer sous les assauts des numides.
En 1879, lors de l’insurrection de Bouhqanoucht contre la présence française, les insurgés d’Aïth Daoudh s’y retranchèrent pendant des mois. Lorsque l’insurrection fut enfin matée, les habitants de la région, en punition de l’appui qu’ils ont prêté à l’insurrection, ont vu placer sous séquestre une partie des terres de leur fertile vallée, où s’élèvera dans quelques années un village de colonisation : imi n Tob ( Foum Toub) .
Emile Masqueray qui a visité la grotte en 1876 , la décrit dans l’une de ces notes : « J’ai pénétré jusqu’au fond de la caverne des Sebaâ R’goud en rampant sur le ventre et en m’éclairant de mon mieux avec une bougie, malgré les instances des Châwi qui craignent d’y rencontrer des djinn, des ogres ou des panthères. Je n’y ai rien-vu d’intéressant. Quant au nom de Sebaâ R’goud, une légende veut que les Sept Dormants, que l’on retrouve un peu partout en Algérie, sommeillent au fond de cette caverne pratiquée par les eaux dans la muraille qui surplombe la rive gauche de l’oued. Les indigènes viennent former et accomplir des vœux à l’entrée de cette caverne, et ils y ont laissé une quantité considérable de vieux plats » (2)
Pas loin de cet endroit, il y a une autre grotte pas moins célèbre : la grotte préhistorique du Akhanneq n Si Mohand Ou Tahar, découverte par Baptiste Gapeletti, colon d’origine italienne.
La légende des sept dormants
Le colonel Delartigue rapporte dans sa monographie de l’Aurès la légende telle qu’il l’a entendu de la bouche d’un vieux d’Ichamoul : « Autrefois sept jeunes gens suivis d’une chienne venant de l’occident se mirent en route pour aller vers l’orient accomplir le pèlerinage de la Mecque. Arrivés à la grotte de Foum Toub ils s’y introduisirent pour se reposer et s’endormirent d’un sommeil si profond qu’ils dorment encore aujourd’hui. De ce fait ils sont devenus saints. Cette grotte était longue et s’avançait profondément sous la montagne ; dès l’entrée des sept jeunes gens elle s’est brusquement refermée et n’est pas ouverte pour d’autres depuis cette époque. Les habitants déclarent qu’ils entendent même maintenant la chienne qui les surveille aboyant lorsqu’on séjourne trop longtemps devant l’emplacement où était l’orifice de la caverne ».
Manifestement, les détails de la légende sont puisés dans le Coran. L’histoire des gens de la grotte Ahl Al kahf est relatée dans la sourate d’Al kahf (La grotte) , le récit coranique suggère qu’ils sont trois, cinq ou sept .
Par ailleurs, la légende des sept dormants est connue également chez les chrétiens. Elle remonte à l’aventure fabuleuse des sept martyrs d’Ephèse, qui, martyrisés par l’empereur Décius (249-251) s’endormirent dans une caverne où on les avait enfermés et ne s’éveillèrent qu’au bout de 155 ans sous le règne de Théodose le jeune.
La mosquée de Sebaâ R’goud de N’gaous
A N’gaous une légende similaire concerne une mosquée où est enterrée la mère du dernier des beys de Constantine. Cette mosquée sert de tombeau à Si Kacem saint vénéré mort en 1033 de l’Hégire (vers 1623) .
D’après Delartigue , si Kacem « était un homme pieux et savant ne s’occupant jamais des choses de ce mode. Il s’en allait de tente en tente, de gourbi en gourbi stimulant le zèle des musulmans pour les œuvres pieuses. Quelques années avant la visite de ce saint homme sept jeunes gens de la ville de N’Gaous jouissant d’une réputation parfaite disparurent tout à coup sans qu’on en eut depuis la moindre nouvelle. Un jour Sidi Kacem arriva et après s’être promené dans la localité il alla chez un des notables et s’engagea à le suivre. Après avoir marché quelques instants il lui montra un petit monticule formé par les décombres et lui dit : « Comment souffrez-vous que l’on jette des immondices en cet endroit. Fouillez et vous verrez ce que cette terre recouvre ». Aussitôt on se mit à déblayer le terrain et l’on y trouva les 07 jeunes gens dont la disparition avait causé tant d’étonnement, étendus la face au soleil et paraissant dormir d’un profond sommeil. Le miracle fit comme on le pense très grand bruit et de ce jour Sidi Kacem fut considéré comme un saint et vénéré comme tel »(3).
Jugurtha Hanachi
Note :
(1) Les chaouis appellent une grotte sacrée « Khalweth », alors qu’ils désignent les cavernes Troglodytes qu’ils ont jadis habitées sous le vocable de Afri ou Ifri .
(2) MASQUERAY E., Voyage dans l’Aourès, Bull, de la Soc. de Géographie de Paris, 1874
(3) Le colonel Delartigue , Monographie de l’Aurès .