Jean-François Garde raconte ses amitiés aurésiennes
C’est l’histoire d’une amitié qui ne s’est pas démentie tout au long d’un demi-siècle. Tout a commencé au mois de septembre 1966, lorsque Jean-François Garde, jeune diplômé français débarque à Batna pour devenir instituteur de mathématique aux lycée Mustapha Ben Boulaïd .
À peine a-t-il terminé les préparatifs de son installation dans la ville, que le grand jour de la première leçon arriva. Notre apprenti instituteur, qui n’avait aucune expérience dans l’enseignement, a eu l’imprudence de choisir un sujet ardu pour son « baptême du feu ». Il fut tellement perturbé qu’à la fin du cours un élève vint lui dire « m’sieur, c’est la première fois que vous enseignez ? », sa réponse affirmative entraina une débandade au sein des élèves qui demandèrent de changer de classe.
Mais s’il manquait d’expérience, notre jeune instituteur ne manquait certainement pas d’abnégation et d’acharnement dans le travail. Quelques mois lui suffirent pour devenir l’un des meilleurs instituteurs du lycée, sa gentillesse et son naturel achevèrent de conquérir tous les élèves même les plus récalcitrants.
Il participera à former une génération de cadre dont la jeune nation algérienne avait tant besoin. Et malgré qu’il ait quitté l’Algérie en 1969, il gardera le contact avec ses anciens élèves et les reverra un demi-siècle après en 2016. C’est cette belle histoire d’amitié qu’il nous livre dans le présent ouvrage « À la rencontre de l’Aurès ; 50 ans d’amitiés 1966-2016 » paru récemment aux édition Chihab .
Les randonnées aurésiennes
« Batna , la ville m’a accueilli , écrit Jean François Garde , elle m’a présenté ses enfants et m’a aussi étalé la beauté de ses sites et l’éventail de paysage des Aurès dont la magnificence se révélait à moi au cours de toutes mes randonnées pédestres dans ces montagnes rebelles ». Ces randonnées pédestres sont le grand intérêt de ce livre tant elles sont riches de renseignement sur la société chaouie au sortir de la guerre d’indépendance avant que les villages se vident de leur habitants.
D’avril 1967 jusqu’à mars 1969, Jean-François Garde a effectué six randonnées pédestres à travers l’Aurès accompagné d’amis chaouis et européens.
La première en avril 1967 de Ghouffi à Inourer ( Nouader) par Tighanimin
La deuxième en juin 1967 dans les Némemcha
La troisième en novembre 1967 de Thimsounin ( M’chounèche) à Baniane ( une traversé mouvementée d’Ighzar Amellal à pied et à la nage )
La quatrième en février 1968 de Tkout à Sidi Masmoudi ( Felmèche) par la forêt de Mazbel et Tajmint (djemina) .
La cinquième en novembre 1968 de Menâa à Amentane
Et une sixième en février 1969 d’Aith Ferah (Ain Zaâtout ) à Thimsounin
Au cours de ces promenades , Jean François et ses amis n’ont pas toujours suivis les parcoures balisés .Ils s’écartaient plutôt des grande routes et prenaient des chemins de traverse , des « sentier de chèvres » , pour découvrir une nature rebelle et des gens authentiques et généreux .
Tout au long du livre, l’auteur partage avec nous ses sensations de voyage et des moments d’extase. De la région d’El Kantara par exemple , il écrit « Le paysage ne cessait de changer , car il jouait de toute la palette des couleurs : des rouges incandescents de certains ravins , aux ocres profonds des reliefs , jusqu’aux blancs rosés de la plaine , avec parfois le vert émeraude d’une touffe d’herbe , le vert sombre d’un palmier isolé , les taches noires et blanches d’un troupeau de chèvres , les gris beige d’une kachabia d’homme , le blanc lumineux de son chèche , le brun chaud d’une robes de femme , soutaché de liserés jaune et mauve » .
Dans la région d’Amentane , située dans la vallée d’Aïth Abdhi , il est sur les traces de Chérif Merzouki , le célèbre peintre chaoui « le terrain , écrit-il , était plat et reposant et l’eau était abondante, parfois s’étalant en grandes flaques, ou courant en filets limpides sur les galets , ou se faisant piéger par de petites seguias , et se répandant doucement dans la terre brunes des jardins et aux pieds d’immenses palmiers , dont la tête ronde se balançait au milieu de petits nuages blancs. Les frissons musicaux des couleurs, comme dans un tableau de Chérif Merzouki natif de ces lieux. La végétation luxuriante donnait une impression paradisiaque, alors que tout autour des montagnes arides hérissant leurs cônes rocheux se superposaient en un escalier gigantesque à l’assaut des nues ».
Entretenir la flamme de l’amitié
Le 4 juillet 1969 au terme de ses trois ans de coopération, Jean François Garde quitte Batna. Il revient l’année prochaine en voyage de noce avec sa femme pour lui faire découvrir cette région à qui il était très attaché.
Après ce dernier séjour en 1970, Jean François Garde entre comme ingénieur aux Hôpitaux public de Marseille . Il n’aura pas l’occasion de revenir dans les Aurès mais reste cependant en contact avec plusieurs amis chaouis et des anciens coopérants français.
En 2012, il découvre le site des anciens élèves du lycée Ben Boulaïd et s’y inscrit. C’est à partir de ce moment qu’il commence à retrouver ses anciens et anciennes élèves. Peu de temps après, il fut invité à l’une de leur rencontre périodique qu’ils organisaient à Batna. Mais la maladie de sa femme l’obligea à décliner l’invitation.
C’est finalement au mois de mars 2014 qu’il a pu enfin honore l’invitation. Les retrouvailles furent, comme on le peut l’imaginer, très émouvantes : « À peine avais-je pénétré dans le hall d’entrée du lycée, écrit-il, que ce fut une bousculade de rencontre et d’émotions, en découvrant des visages perdus de vue depuis plus de quarante ans » .
Il découvre non sans fierté, une génération de cadres qu’il a participé à former : des médecins, des scientifiques, des artistes, des hommes d’affaires, et des professeurs.
Il se fera d’autres amis sur Facebook et notamment sur le groupe « Les échos de l’Aurès » dans lequel il va publier les photographies qu’il avait prises dans l’Aurès lors de ses randonnées accompagnée de textes. Ces publications auront beaucoup de succès et ils seront abondamment commentés, partagés, enrichis .C’est à partir de là que les amis aurésiens de Jean François Garde le convainquirent de sortir le présent livre.
Ce livre est donc un ouvrage « collectif » comme l’auteur le précise dans le dernier chapitre « seul, précise-t-il , je n’aurais jamais pu écrire ce récit et ce livre n’aurait jamais été publié . Il est vraiment une œuvre collective grâce à la participation active d’un grand nombre (plus de soixante) d’anciens élèves, d’amis algériens, d’amis coopérants, de membres de ma famille, et amis facebook » .
Ce livre est donc une œuvre collective, comme l’est cette belle l’histoire d’amitiés qu’il raconte : celle d’un jeune instituteur avec une région et ses habitants.
Jugurtha Hanachi