Jean-François Garde : « Depuis que j’ai mis le point final à mon livre , mon amitié avec les chaouis n’a cessé de grandir »
Ancien instituteur coopérant au lycée Ben Boulaïd et auteur du livre « À la rencontre de l’Aurès ; 50 ans d’amitiés 1966-2016 » paru aux Editions Chihab , Jean-François Garde était le mois dernier en Algérie pour rencontrer ses lecteurs à Batna , à Biskra et à Alger .
Il revient avec nous dans cet entretien sur les détails de ses émouvantes retrouvailles et l’accueil fait à son ouvrage.
-Vous étiez récemment en Algérie pour présenter votre livre , à Batna , à Biskra et à Alger à l’occasion du SILA . Racontez-nous un peu ses retrouvailles avec vos lecteurs chaouis ?
Lundi 29 octobre 2018 commença pour moi la semaine la plus intense de ma vie avec mon retour en Algérie. Arrivé à Batna en milieu de journée, j’ai été accueilli à l’aéroport par Taha-Hassine Ferhat, président de l’Association des Anciens Elèves du Lycée de Batna et des membres de son bureau et par Kamel Guerfi l’imprimeur du livre.
Je fus très vite plongé dans le grand bain de l’amitié en arrivant au 9ème Forum Culturel Aurassien organisé par l’Association des Amis du Medghassen, au Centre de Recherche de l’Université de Batna.
A peine entré dans la salle d’amphithéâtre, je vis des visages rayonnants s’approcher de moi, des bras se tendre: il y avait des anciens élèves que je n’avais pas encore revus, d’autres que j’avais vu lors de ma précédente venue en 2014, il y avait Saïd Merzouki, le grand frère de Cherif le célèbre peintre de l’Aurès, je ne l’avais pas revu depuis plus de cinquante ans; Saïd est celui qui a écrit la préface de mon livre. Il y avait mon grand ami Farouk Benderradji le chanteur chaabi du groupe Essaada et aussi M. et Mme Pic, restés fidèles à Batna et qui signent « Les deux cèdres de l’Aurès ».
Et puis j’aperçus dans la salle mes nouveaux amis avec qui je partage l’amour de l’Aurès : l’excellent photographe Hocine Ammari, auteur de la photo de couverture du livre, Saida Abouba, la romancière de l’Aurès, Souad Bensalah, l’architecte….
La présentation de mon livre fut suivi par de nombreuses questions et des témoignages. L’après midi se termina par une longue séance de dédicaces qui me permit d’approcher chaque participant et d’échanger très brièvement, ce qui était frustrant, mais était compensé par l’intensité des regards et l’émotion partagée.
Le lendemain, organisée par Ahmed Merrakchi et M° Mokhtar Bensaïd, de l’Association des Anciens Elèves, une nouvelle rencontre eut lieu à Biskra à la Maison des Enseignants à El Alia. Je tenais à revenir voir mes amis de Biskra où je n’étais pas revenu depuis mon voyage de noces de 1970. Merci aux organisateurs d’avoir prévu ce déplacement pour moi. Comme la veille je retrouvais quelques anciens élèves et mon ami Tahar Senoussi qui était encore un gamin quand je l’avais quitté en 1970. Ce fut aussi l’occasion en signant beaucoup de dédicaces, de faire connaissance avec de nombreux amis de Kebach, Tadjmout ou Mziraa. J’eus le plaisir de rencontrer Hamid Senahi un grand connaisseur de l’œuvre de Thérèse Rivière qui me présenta Youcef, le fils du très regretté Laaroussi Tarhaoui, ce fut un très grand moment d’émotion. Et mon amie Khedija avait emmené avec elle de nombreux Kebairi. J’eus aussi la chance de voir Hocine Djouama, musicien, chanteur et écrivain, le « chantre de Biskra ». Puis, nos amis biskris nous régalèrent de la fameuse chakhchoukha biskria !
L’aller-retour Batna-Biskra me permis de retrouver avec une immense joie les vastes paysages aurésiens: Le Pic des Cèdres, la plaine d’Ain Touta, le teniet el Youdi, le djebel Metlili, les gorges d’El Kantara, la dent du mouflon (kef ed darsa Louraiti), el Outaya et la montagne de sel (djebel el Melah), les zibans.
Après ces trois jours aurésiens où je fus constamment accompagné et choyé par mes amis anciens élèves, je partis pour Alger.
Dès l’aéroport je fus pris en charge, un chauffeur m’attendait me prêta un téléphone et m’accompagna à l’hôtel. Mon éditeur Azeddine Guerfi avait bien fait les choses et mon séjour algérois fut parfaitement organisé.
Le premier jour fut consacré à mes amis ! l’après midi du 1er novembre je retrouvais une douzaine de mes anciens élèves chez l’un d’entre eux: ce fut joyeux et émouvant, et me laisse un souvenir indélébile de plaisir. Le soir j’allais dîner chez mon ami Madani Senoussi qui fut pendant plus de quarante ans le fil d’Ariane qui me relia à l’Aurès.
Puis ce fut le SILA ! Le jeudi, j’y étais déjà passé et j’avais été heureux de faire la connaissance de Saida Kernoug qui pendant plus de deux ans avait travaillé sur mon livre. J’avais apprécié son professionnalisme et son ouverture et ce jour-là son dynamisme et son sourire me firent plaisir à voir.
Le vendredi 2 novembre, je restai au SILA de 9h30 à 18h. J’y étais arrivé en compagnie de la grande romancière batnéenne Nassira Belloula qui logeait dans le même hôtel et qui avait le même éditeur pour son dernier roman « Aimer Maria » (sublime ! À lire absolument) .
L’après midi fut rempli de rencontres avec des amis et anciens élèves venus en force, d’accolades, de photos, de dédicaces et de belles émotions.
Le samedi 3, j’eus le temps le matin, avant d’aller prendre l’avion du retour, d’aller sur le plateau de Canal Algérie pour « Bonjour d’Algérie » l’émission en direct présentée par Rabia Mehrez. C’était pour moi une première ! Mais grâce à l’ambiance sympathique crée par l’animateur, tout s’est bien passé.
Avec ces six jours passés en Algérie, ma rencontre avec l’Aurès et les amitiés créées ont continué de grandir ! ».
-Comment a été accueilli le livre d’après les échos que vous avez pu avoir auprès de vos lecteurs lors de ces vente-dédicace et même à travers Facebook ?
Ce livre je l’ai débord écrit pour mes élèves, pour répondre à leur demande et c’est même un élève qui a pris contact avec l’éditeur. Donc au départ j’ai un lectorat, certes réduit, mais conquis d’avance, puisqu’il se retrouve dans ce récit, il retrouve des camarades, des professeurs. Le cercle des lecteurs s’est élargit aux batnéens qui retrouvent des moments et des personnes connues, et à tous les habitants de l’Aurès qui retrouvent les villages, les vallées et les djebels que j’ai parcourus lors de mes randonnées. De plus, les lecteurs nés avant 1960, comme mes élèves, retrouvent beaucoup de leur jeunesse. « Enfin, j’ai rencontré un ouvrage de mon âge ! » m’a écrit un lecteur.
Lors des dédicaces à Batna et Biskra, je n’ai pas eu le temps d’échanger sur le livre car il y avait beaucoup de monde et j’avais besoin de me concentrer pour personnaliser celles-ci. Au SILA, les contacts que j’ai eu montrent que le mot « Aurès » figurant dans le titre de mon livre, déclenchait un intérêt auprès des lecteurs, qu’ils soient jeunes ou plus âgés. Un jeune homme de Tlemcen, lui était intéressé par la période post-indépendance.
D’autre part, j’ai reçu une trentaine de messages de mes lecteurs. Des mots reviennent assez souvent: « amour de l’Aurès », « hospitalité », « enseignement », « jeunesse », « fierté », « espoir », « amitié ».
Voici trois commentaires, l’un fait par une ancienne élève, un second fait par un batnéen et l’autre par un écrivain français :
« Votre récit m’a permis de constater la maturité de notre peuple qui, quatre ans après avoir subi les atrocités d’une guerre, sait recevoir et donner de l’amitié à des français. Ce livre est à mon avis un hymne à l’amitié et à la tolérance. Un hymne dédié à l’école et il illustre très bien le propos de Pestolazzi “l’avenir des nations est dans les écoles du peuple”. Ce sont ces lycéens pauvres, issus de villages et mechtas à moitié détruits par des bombardements qui ont aidé à la naissance de l’Algérie nouvelle. Ce récit plein de sincérité et d’amitié m’a rendu ma fierté d’être algérienne et Aurésienne. »
« Chronique des années héroïques de l’après-indépendance d’un peuple avide de liberté et d’une jeunesse avide de savoir, ouverte à tous les courants humains et prête à tous les sacrifices pour porter très haut l’étendard de l’Algérie et le message de novembre. Ouvrage à lire coûte que coûte pour se ressourcer à cette époque reprendre courage et savoir que notre grand peuple et notre grand et beau pays disposent des ressources pour venir à bout de toutes les vicissitudes de l’histoire ».
« C’est le portrait de l’Algérie jeune et enthousiaste juste après la Libération, la fièvre artistique, l’énergie que déployaient les jeunes femmes pour pouvoir étudier, les randonnées, les rencontres avec les Chaouis et leur hospitalité, tout cela est très vivant et touchant. »
-Quelle est la suite de votre « amitié Auressienne » ? Allez-vous revenir prochainement à l’occasion des rencontres des anciens élèves du lycée B.B ?
J’ai mis le point final à mon livre fin 2016 et depuis évidemment l’amitié a continué de grandir . J’ai continué de revoir des anciens élèves et des amis à Marseille, à Paris ou Montpellier. Et puis ce dernier retour en Algérie m’a permis de revoir encore mes anciens élèves et amis, mais aussi de rencontrer des nouveaux amis parfois plus jeunes qui ont un grand amour de l’Aurès et que nous aimons partager notamment dans le groupe « l’écho des Aurès ».
Ce groupe a été créé en juillet 2014 par « Auressa Athyehmed » (que j’ai eu le plaisir de revoir rapidement lors de mon passage à Alger) et voici comment elle le définit: ‘‘Ce groupe est ouvert à tous ceux qui sont natifs des Aurès, ou qui ont un lien, un souvenir de cette région, tout le monde est invité à parler, à raconter nos Aurès, à partager son histoire, son présent ! Un plaisir de partage vous est offert à travers cette page ! ’’.
Et en effet son but est atteint, car le groupe est très enrichissant pour tous les participants dans un esprit d’ouverture et de respect mutuel.
Quant à revenir à Batna, à l’occasion d’une rencontre-retrouvailles avec mes anciens élèves du lycée Ben Boulaïd, ce serait pour moi une très grande joie, comme ce fut le cas en 2014 lors de mon premier retour après quarante-cinq ans qui me permis d’en revoir une vingtaine ! Et à nouveau cette année pour la sortie du livre ! Est-ce que cela pourra se concrétiser, je l’ignore, cela dépend surtout de l’état de santé de mon épouse.
– Un dernier mot pour vos lecteurs Chaouis
Ce livre est un hommage à tous les chaouis et, sous la forme d’un récit-témoignage, c’est une petite pierre que j’ai apportée à l’histoire et la géographie de cette magnifique région.
Comme je l’ai dit lors de la présentation du livre à Batna et à Biskra, mon plus grand souhait est que chacun, dans la mesure de ce qu’il peut, apporte aussi sa contribution personnelle, grâce à la connaissance intime, que je n’ai pas et que les chaoui(e)s ont.
Je rêve de « un enfant d’Amentane » écrit par mon ami Said Merzouki, de « les habitants de l’Ahmar Khaddou et Thérèse Rivière » par Hamid Senahi et ses amis ! Je rêve que chacun écrive sous la forme qu’il lui convient, quelques pages sur son village ! Votre famille, votre enfance, des souvenirs, des anecdotes, des personnages marquants ! Écrire sur Batna, sur Arris, sur T’Kout, sur El Madher, sur Merouana, sur Barika, sur N’Gaous, sur Menaa, sur Khenchela, sur Kais, sur Taberdga, sur Khanga-Sidi-Nadji, sur Felmache, sur M’Chouneche, sur Baniane, sur Ghoufi, sur Beni Souik, sur Ourhanime, sur Beni Frah, sur El Kantara, sur Ichmoul, sur Bouhamama. Sur Chir, sur Teniet-el-Abed…..
Saida Abouba, Zine Bakhouche et Sadok Senoussi ont montré le chemin ! En solitaire ou en groupes, à vos plumes mes ami(e)s chaoui(e)s [1] !
Propos recueillis par : Jugurtha Hanachi
[1] “Saida Babouba (M’Chouneche) “Betta le combat d’une aurésienne 2015”
Zine Bakhouche (Babar) “L’enfant des Aurès 2014”
Kamel Chibani (Batna) “Si Batna m’était contée 2015”
Sadok Senoussi (Liana) “Du Sahara au coeur de la physique en France itinéraire d’un travailleur immigré 2016” .