In memoriam P. Morizot
Avec le décès de Pierre Morizot dans sa 97ème année nous perdons un grand savant, un passionné de l’Aurès antique auquel il a consacré près de 70 ans d’une vie toute au service de la France, que ce soit au sein des Forces françaises libres pendant la 2ème guerre mondiale, puis comme administrateur dans le service du contrôle civil du Maroc jusqu’en 1956 et enfin dans une longue carrière diplomatique, de l’Iran au Canada où il fut consul, de la Norvège au Sénégal où il fut conseiller, à l’Administration centrale du Quai d’Orsay dans les directions « Afrique-Levant » puis « Europe », au service des pactes et désarmement, détaché auprès du Ministère de la Défense, carrière qui s’est achevée par des postes d’ambassadeur au Sultanat d’Oman puis au Sri Lanka.
Pierre Morizot a découvert l’Aurès à 19 ans, instituteur vacataire à Arris. Tout de suite, cette région aux paysages grandioses, âpres et colorées, qu’il parcourut alors à pied et à mulet, son peuple, sa culture, ses mœurs lui sont devenu proches. A sa surprise, il découvrit l’empreinte de Rome au cœur même du massif par l’inscription de Masties « Imperator et dux Romanorum et Maurorum », témoignage éloquent d’un chef berbère de l’Aurès du 6ème siècle de la rémanence d’un empire romain d’occident qui n’existait déjà plus.
Tout au long de sa carrière professionnelle, Pierre Morizot n’a jamais cessé ses recherches, se rendant quand cela lui était possible en Algérie, cultivant une sincère amitié désintéressée avec une population qu’il avait appris à connaître de longue date, participant à de nombreux colloques et publiant plus de 70 communications scientifiques.
Pierre Morizot a fondé en 2002 la Société Aouras d’études et de recherches sur l’Aurès antique pour promouvoir la connaissance et la protection du patrimoine antique de cette région. Elle regroupe les chercheurs français, algériens et étrangers dans cette quête incessante.
Il nous laisse deux livres fondamentaux. D’abord une Archéologie aérienne de l’Aurès (1998), fruit de dix ans de travail pendant la décennie 1990 pendant laquelle il lui était impossible de se rendre sur place. A partir des archives photographiques de l’Armée de l’Air de 1950 à 1960, c’est-à-dire quand la prospection spatiale n’existait pas et avant l’urbanisation généralisée, il a méticuleusement recensé les images de tous les vestiges antiques déjà connus et en a découvert quantité d’autres. Le pendant de ce travail documentaire, c’est la publication en 2015 de «Romains et Berbères, face à face » qui fait la synthèse de 70 ans de recherche et de passion.
Il a quelques années un ami algérien lui faisait remarquer :
« Vous avez des racines algériennes ! » Souriant, il rétorqua : « Ah, je ne le savais pas ! » « Mais si, souvenez vous, l’arbre que vous avez planté à l’université de Tébessa a grandi »
Quel arbre ? Un olivier bien sûr, un arbre millénaire, symbole de la richesse antique de l’Aurès et symbole universel de la Paix, le plus beau témoignage possible à la mémoire de Pierre Morizot.
Jean-Pierre Faure