Archéologie&Architecture

Imedghassen, symbole de l’architecture numide

À l’instar de tous les pays d’Afrique du Nord, l’Algérie regorge de sites et de monuments archéologiques remontants aux débuts de la civilisation humaine. Le pays chaoui est quant à lui, particulièrement riche sur le plan historique et archéologique. Il constitue, en effet, le berceau des premières civilisations de l’homme moderne, le capsien, l’aterien l’homme de Batna qui donneront des millénaires plus tard les premières formations administratives et politiques, organisées sous forme de cités et de royaumes maures et numides. Étudiés partiellement pendant l’époque coloniale et post-indépendance, les vestiges archéologiques n’ont pas encore livré tous leurs secrets pour nous permettre de comprendre les différentes facettes de la vie quotidienne de nos aïeux.

Parmi tous les vestiges antiques en Afrique du Nord, Imedghacen se distingue sur bien des plans, son origine, sa forme, ses matériaux de construction, son emplacement… Le plus connu des mausolées royaux en Afrique du Nord, est en même temps, le plus mystérieux. Cet article, a pour vocation, de lever le voile sur certains aspects du fameux mausolée numide.

Imedghassen, vu de l’extérieur

Imedghacen est situé au nord de la Hbathent (Batna) entre les villes de Thit n Tagouth (Ain Yagout) et Thahmamth (El-Madher – anciennement Casae). Il s’élève sur un col surbaissé qui donne accès à une dépression, occupée par le lac dont le nom était « Madghous », aujourd’hui appelé, Sebkhet Djendli (1).

Le mausolée présente un soubassement de forme circulaire surmonté d’un cône à gradins, qui s’achève par une plate-forme dans laquelle était planté un géant arbre selon El Bakri et selon les légendes populaires.

ImedghacenCe dernier rapporte également que Imedghacen était riche en gravures qui ornaient les parois externes de l’édifice. Ces décorations représentaient des humains et des animaux, notamment, des lions, des léopards, des tigres, des guépards, des chevaux, des chiens et des gazelles… Outre, ses représentations décoratives, les murs de l’édifice comportaient également des inscriptions libyques et néo-puniques (Moliner-violle). Aujourd’hui, ces gravures et inscriptions, sont très difficilement apercevables à cause de leur état fortement dégradé.

L’ensemble du cylindre et du cône totalisent une hauteur de 18. 50m. La base cylindrique est de 58.50 m de diamètre, est constitué de blocs, disposés en assises, et liés au moyen de crampons en plomb (une pièce de système est conservée au musée de Timgad). Cette ingénieuse technique de rassemblement des blocs est unique en son genre, elle fut reprise, des siècles plus tard, dans la construction du mausolée maurétanique de Tipaza (2). Ce fait archéologique unique attirera l’attention de El Bakri au cours du XIème siècle qui le rapportera dans son livre Kitāb al-Masālik wa-al-Mamālik (Livre des Routes et des Royaumes).

Reconstitution graphique de la fausse porte de Sud-EstImedghassen est orné, sur son pourtour, de soixante colonnes engagées à chapiteaux doriques, sur lesquelles repose une corniche à gorge égyptienne, celle-ci forme une saillie assez prononcée au-dessus de l’architrave. Ce monument se compose de plusieurs fausses portes, dont il ne subsiste que quelques vestiges, qui étaient aménagées au niveau du soubassement (3).

Le couronnement est revêtu de 23 gradins de 0.58 m de hauteur chacun te s’achève par une plate-forme de 11.40 de diamètre (4).

Un tunnel sous terrain a été découvert récemment du côté sud de l’édifice, après la traversé de la chaussée, il servirait de liaison et de passage secret entre Imedghassen et un autre mausolée ou nécropole -selon S. Gsell-, qui a totalement disparu aujourd’hui.

Par sa forme générale, Imadghassen ne se distingue nullement des Basinas proto-historique (5) seule le parement extérieur architectural trahi partialement et marque la présence d’influence étrangère (6).

Imedghacen, vu de l’intérieur

A la hauteur du troisième gradin, s’ouvre l’entrée qui donne accès aux structures internes du mausolée haute de 1.70m et large de 0.90m, elle était protégée par une dalle coulissante. Après avoir franchi cette porte, on pénètre dans un petit vestibule de 1.20 m de longueur et 0.60 de largeur qui débouche sur un escalier de 11 marches, larges de 1.20m. Ces degrés étaient revêtus d’un enduit teinté en rouge.

plan de Imedghacen

Au bas de l’escalier, prend naissance une galerie de 17m de longueur, qui par une pente douce mais non continue, conduit jusqu’au caveau central. Des poutres de cèdres (Idhgel) avec des transversales de genévrier de Phénicie (Zimba) et du genévrier thurifère (Aywel) recouvraient ce couloir. Il en subsiste aujourd’hui 17 alors qu’on peut estimer à environs 45 le nombre de poutres qui entraient à l’origine dans la composition de la couverture (7) ou le toit sur lequel repose un millier de tonne de calcaire façonné.

L’entrée du caveau est actuellement fortement dégradée, mais grâce aux indices archéologiques qui ont pu être recueillis, il a été possible d’en reconstituer l’aspect originel : cette ouverture possédait, une hauteur de 1.70m et une largeur de 0.90m et été fermée à l’aide d’une porte vraisemblablement en cèdre, des fragments de cette porte, encore enduit de rouge, ont été en effet retrouvés dans la galerie.

La chambre funéraire est exiguë, elle mesure 3.30m de longueur, alors que sa largeur ne peut dépasser guère 1.59 m. Le long des grands côtés du caveau, sont aménagés deux étroites banquettes de 0.20m de largeur et de 0.30m de hauteur ; celles-ci devraient servir de support à un plancher en bois.

Reconstitution de la porte du caveauAucun vestige de sépulture ne subsiste à l’intérieur du caveau, qui fut sans doute volé depuis longtemps. L’exigüité de la chambre funéraire a laissé supposer que le rite funéraire en usage à Imedghssen fût l’incinération. Certes cette pratique, peu répondue à l’origine chez les berbères, fût par la suite adoptée -quoique dans une faible mesure- sous l’influence punique, par les numides de l’Est. Le rite utilisé à Imedghessen, a probablement était l’incinération, toutefois, cette hypothèse ne peut être formellement prouvée puisque aucune trace de reste humain n’a été retrouvée.

À l’extérieur du monument funéraire, une plate-forme dallée, orientée à l’est, adhérait au soubassement par un de ses côtés.

La datation au carbone 14 (14C) de prélèvements effectués sur les poutres de cèdre révèle que le mausolée royal fût édifié dans la deuxième moitié du IVème av. J.-C. Imedghassen fut bâti en hommage au Roi Gaïa père du Roi Mas-nsen (Massinissa) ou du prédécesseur du Roi Gaïa (8).

L’étymologie d’Imedghassen

Avant de d’exposer les différentes hypothèses relatives à l’étymologie du nom de Imedghassen, il est nécessaire d’expliquer comment Ibn Khaldoun distinguait les berbères en 3 groupes (9) :

  1. Les Branis: (fils de branis, fils de ber, fils de mazigh) sédentaires des montagnes. La grande majorité vit dans les montagnes de l’atlas marocain (Masmouda), ils sont également présents dans les montagnes du Rif (Ghemara), en Kabylie (Igawawen – Zouawas) ou encore dans les Aurès (Aouraba).
  1. Les boutres : (fils de Madghis El-Abtar , fils de ber , fils de mazigh) essentiellement des tribu qui vivent en transhumance. Parmi eux, la grande tribu de Iznatiyen (Zénètes) répondu sur une grande partie de l’Algérie (de même pour le pays chaoui), du Maroc, de la Tunisie et de la Lybie. Des Boutres, descendent également, les tribus de Neffoussa, Nefzaoua, Houara, Louata, Lemaya de Djerba ou en encore Meknassa, et Warfjouma.
  1. Les masqués : Ce sont les peuples du grand Sahara, ils vivent au sud et ils portent un masque bleu sur leur visage. Parmi eux les Touareg et les tribus de Lemta , Lemtouna , Messoufa , les Touats et les masqués de Sanhaja au Sahara du Maroc.

– Hypothèse 1 : Par le résumé précédant concernant la classification des berbères, nous arrivons à la première hypothèse. Le lecteur aura fait le lien entre le nom du mausolée et Madghis, l’ancêtre des Boutres. Donc, Imedghacen serait le Pl. du mot Madghis, ancêtres des Numides/Zénètes, le mausolée serait dédiée à l’ancêtre des Boutres.

Hypothèse 2 : Imedghassen ou encore Madracen -quoique le premier mot l’emporte dans le parler chaoui actuel- Yimed-Gherssen ce qui signifierait “s’élève chez eux” ou  “leur possession”.

Hypothèse 3 : Le mot Imedghassen pourrait correspondre au mot chaoui Thamedhroust  qui veut dire “escalier” pour décrire la forme du mausolée, vu de profil. Ce mot au féminin singulier (Thamedhroust) a une variante au masculin singulier Amedhrous, ce qui  Imedhras ou Imedhrassen pour le pluriel.

Hypothèse 4 : le mot Madracen pourrait donner en étymologie le mot composé Mader-sen qui signifie en berbère «alliance vitale des deux», Alliance entre deux grande confédérations? Alliance entre les montagnes et les plaines? entre deux frères ennemis, Sifax et Massinissa par exemple?

Choix du site

La situation géographique de Imedghassen, élevé en pleine compagne, n’a pas manqué de susciter des questions. : pourquoi cet édifice funéraire n’est-t-il point, à l’instar des autres mausolées numides, à proximité des villes principales du royaume numide? Une explication a été récemment avancée.

La construction de Imadghassen date du IVème av. J.-C. C’est l’époque où se dessina l’esquisse du futur royaume numide, durant laquelle, la dynastie massyle qui donnera les futurs rois de Numidie, est encore proche de ses terres d’origine. Aussi, fait-elle élever son mausolée dans la région méridionale du pays chaoui, près des montagnes des Aurès d’où semble bien provenir son pouvoir et ses forces vives qui amèneront cette dynastie sur le trône de Cirta.  Ce fait est confirmé par S. Gsell qui avançait l’hypothèse que les Aurès serait le berceau de la dynastie des rois numides (10).

Saci Abdi  | Chercheur en histoire et culture berbère.

Références : 
(1) Rapport archéologique sur les mausolées en Algérie – Ministère de la culture et de l’information  p 9-11
(2) Abou Obeid El-Bakri ; L’Afrique septentrionale, traduit par Mac Guckin  de Slane , librairie d’Amérique et d’orient . Paris 1965 ; P.50, arabe texte d’origine, même livre en français.
(3) idem (5)
(4) Gabriel Camps, Imadghassen – p.10
(5) Rapports archéologique sur les mausolées de Algérie  ministère de la culture et de l’information p-9 .
(6) idem (8) et même page
(7) Gabriel Camps, Imadghassen , p.9-10-11 et rapport archéologique p.9,10,11 idem (1)
(8) Rapport archéologique, ministère de la culture et de l’information p.9 ,10 , 11 .idem
(9) Ahmed Sfar , la civilisation du Maghreb dans l’Histoire , de la préhistoire à la fin des byzantins , édition Bouslama Tunis , p.34-35 et 36 en arabe .
(10) ماسنسن، من استعادة حقّه في العرش الماسيلي إلى بناء الوحدة النوميدية – العربي عڨون

Bassem ABDI

Passionné d'histoire, j'ai lancé en 2013 Asadlis Amazigh, une bibliothèque numérique dédiée à l'histoire et à la culture amazighe ( www.asadlis-amazigh.com). En 2015, j'ai co-fondé le portail culturel Chaoui, Inumiden.

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