Hommage à Djemaâ Djoghlal, disparue lundi
Arrivée enfant à Besançon au début des années 1950, elle était notamment à l’origine de la création du CISIA, le comité international de soutien aux intellectuels algériens pendant les années 1990, et de l’association A la Rencontre de Germaine Tillion (elles sont toutes les deux sur cette photo prise à saint-Mandé).
Djemaâ Djoghlal nous a quittés au matin du 14 novembre 2016…
L’association « A la rencontre de Germaine Tillion » s’associe à la douleur de sa famille et présente ses condoléances les plus sincères à ses filles et leurs proches.
C’est en Franche-Comté que Djemaâ Djobhlal, cousine du chahid Abbas Laghrour, martyr de la guerre d’indépendance algérienne, a rejoint son père, militant actif au sein du FLN, à l’âge de 5 ans. Jeune adolescente au sortir de la guerre d’Algérie, elle participa avec enthousiasme aux campagnes de reboisement menées par le gouvernement en Algérie et tout particulièrement dans les Aurès.
Passionnée par l’histoire et la sociologie, elle a franchi toutes les étapes de la formation continue pour obtenir un master de sociologie tout en travaillant. Sociologue de formation et féministe convaincue, elle écrivait régulièrement dans la presse algérienne pour défendre la culture chaouia ou pour apporter sa contribution à l’histoire de la guerre d’indépendance algérienne dans sa région d’origine : les Aurès.
Aurésienne de cœur, elle entrepris un énorme travail de collecte d’archives sur l’histoire et la culture du peuple chaoui, fonds qu’elle ajouta aux documents qu’ Ammar Negadi, promoteur de la culture Chaouia, lui légat à sa mort. A été ainsi constitué un fonds de plus de 5000 titres qu’elle a finalement réussi à faire parvenir à l’université de Batna et de Khenchela non sans peine, en s’armant de patience et en utilisant sa force de persuasion et de conviction envers une administration très tatillonne. Elle disait avoir choisi Batna à cause de sa centralité géographique et pour aider les étudiants démunis à trouver près de chez eux des sources pour travailler.
Mais, à Besançon, nous la connaissons pour avoir participer à la création du théâtre universitaire aux côtés de Lucile Garbagnati, créé une antenne du Comité de Soutien aux Intellectuels Algériens en 1993 pour « apporter notre soutien multiforme aux Algériens persécutés, toute catégorie sociale confondue » et, plus près de nous, suscité l’intérêt de nombreux Franc-Comtois pour son amie Germaine Tillion. Djemaâ est en effet à l’origine de l’association « A la rencontre de Germaine Tillion » dont la réunion de constitution eut lieu quelques jours après le décès de Germaine. Djemaâ rejoignait souvent Germaine dans sa maison de Saint-Mandé pour évoquer ce pays berbère où l’une, Germaine, a travaillé en tant qu’ethnographe dans les années 30 et dont l’autre, Djemaâ, était originaire, comme bien d’autres Franc-Comtois.
Mais ce n’est pas à Besançon qu’elles se rencontrèrent pour la première fois, puisque Germaine Tillion n’y est jamais venue (même si l’intégralité de ses archives en rapport avec son action à Ravensbrück est conservée au Musée de la résistance et de la déportation à la Citadelle de Besançon), mais à Paris, où Djemaâ a travaillé au ministère de la santé puis pris sa retraite en 2011.
Elle y fit de nombreuses rencontres qui n’étaient pas sans rapport avec « son » Algérie, une Algérie démocratique, égalitaire, laïque… Elle aimait faire partager ses rencontres sans exclusive, dans l’amitié la plus sincère. Elle était comme ces berbères dont Germaine Tillion disait qu’ils « étaient des gens formidables, très amicaux, très protecteurs ». Djemaâ ne ménageait pas son temps pour aider les plus jeunes à acquérir la connaissance qui les rendra libres de leur choix. Combien de jeunes doctorants sont allés travailler dans « sa » bibliothèque dont les livres tapissaient tous les murs de son petit appartement parisien…
Elle sera inhumée chez elle à Khenchela, samedi 19 novembre, auprès de son fils mort en 2003 à l’âge de 23 ans. Elle ne s’en était jamais remise…
Jean-Jacques Boy