Dissonances et discordances mémorielles
Nous nous proposons dans cet essai de soulever quelques problèmes liés à la superposition des niveaux de narration et au statut du locuteur dans une société colonisée en conflit ouvert avec l’occupant. Tenter de décrypter les témoignages des acteurs de la crise des Aurès (1956-1962) mais aussi les écrits des administrateurs, des historiens et autres ethnologues que cette région de l’Est algérien a particulièrement captivés ; croiser les récits inscrits dans l’oralité dominante et les confronter aux rapports officiels et aux études des chercheurs, tel est notre projet. Nous chercherons à déterminer les niveaux de représentation de la territorialité et les modes d’appréhension des individus singuliers ou collectifs dans leur rapport au monde. Une telle entreprise n’est pas simple car les récits globalisants des uns et des autres renvoient, chacun pour ce qui le concerne, à des référents plus ou moins fluctuants, en tous cas hétérogènes. L’univocité et la linéarité des récits individuels et l’impossibilité de les rapporter de manière cohérente à une réalité qui ne cesse d’être contradictoire, sinon conflictuelle, va produire une série de dissonances et de discordances rendant plus difficile la tentative de dégager du sens dans le procès narratif que les uns et les autres construisent pour eux-mêmes et pour la postérité. Interférence des niveaux de lecture politique, sociologique, anthropologique rendent la tâche très ardue.
Pour surmonter les écueils inhérents à la lisibilité des récits, nous nous attacherons à mettre en évidence leurs conditions d’énonciation, leur statut, ainsi que l’itinéraire et les stratégies de leurs auteurs. Nous serons amenés à faire appel aux sciences sociales dans leur ensemble, et tout particulièrement à l’anthropologie, pour faire signifier pleinement ces récits.
On ne peut en effet faire de telles approches sans dévoiler les transformations des structures sociales (individu et communautés), à travers l’identification des registres d’action (petites et grandes républiques, local, national, colonial) et de leurs relations (oscillations entre registres, imbrication des registres). Nous espérons contribuer ainsi à l’explicitation des mécanismes de la fabrique de la mémoire.
Tout d’abord le lieu. Les Aurès : « un pays légendaire » ou un pays de légendes ?
Dans l’imaginaire des Algériens, le massif des Aurès est le pays de toutes les résistances. Depuis la première antiquité, la plupart des conquérants y ont trouvé une si forte résistance qu’ils ont dû renoncer à y apporter leur culture et civilisation. Les Romains ont édifié tout autour du massif des villes-garnisons pour surveiller les limites extrêmes de leur avancée vers les profondeurs de la terre d’Afrique. Les Vandales qui leur ont succédé ont bâti des fortins pour protéger ce qui restait de leurs prédécesseurs. Même les premiers détachements de la conquête musulmane y ont été accrochés et y ont laissé des victimes illustres comme Okba Ibn Nafaa ; et c’est autour de sa tombe et du mausolée qui lui a été consacré que s’est édifiée la petite ville de Sidi Okba. Les Turcs et leurs successeurs français n’ont guère fait mieux.
On peut dire qu’en fait, les vestiges que les conquérants successifs y ont laissés sont tous marqués par leur caractère guerrier. Mais cela ne s’arrête pas aux seuls camps, remparts et autres fortifications ; les âmes des habitants de la région semblent elles aussi avoir transmis, de génération en génération, cet esprit rebelle à toute forme de domination et à tout pouvoir central. La présence tout au long de la première moitié du XXe siècle, d’un nombre relativement important de « bandits d’honneur », cette forme pré-politique de la résistance à l’autorité, pourrait elle aussi le donner à penser.
En nous fiant à de telles narrations et en les prenant au pied de la lettre, si l’on peut dire, nous entrons sans y prendre garde dans un registre qui passe allègrement de la réalité des faits au mythe forgé par la transmission trans-générationnelle.
Quand l’administrateur civil prend la défense de sa circonscription
Si l’on en croit l’administrateur civil Jean Morizot, parler dans les années 1930 d’insécurité ou de menace représentée par les bandits d’honneur relève du caractère tendancieux de ceux à qui incombait la tâche de rapporter les faits aux autorités civiles et militaires. Arrivé dans la région en avril 1939, il s’inscrit en faux contre les rapports des chercheurs (ethnologues ou historiens) « qui puisent sans précaution dans les documents administratifs ». Il dit dans son ouvrage sur l’Aurès (1) qu’à la déclaration de la Seconde guerre mondiale, les Aurésiens risquaient fort de souffrir de l’image que l’on avait d’eux.
« Si tout au long de leur histoire, ils s’étaient comportés en insurgés, si le banditisme était réellement endémique chez eux comme le donnait à penser le rapport du capitaine de gendarmerie Petignot préfacé par le sous-préfet Dou ; si, enfin, la vallée de l’oued Abdi avait été en 1936-1937 le théâtre de troubles extrêmement graves, comme nous l’avaient affirmé certains rapports administratifs, alors assurément, un soulèvement pouvait être redouté […]. Les années qui suivirent montrèrent qu’on s’était inquiété bien à tort : l’Aurès, en effet, connut alors une tranquillité aussi grande pendant toute la guerre que lorsque, quelques années plus tôt, le géologue Robert Laffitte parcourait le massif en tous sens (2). »
Le témoignage de l’auteur de la « Géologie de l’Aurès » semble être formel. Pour lui, la question de la sécurité ne s’est jamais posée et il serait même très enclin à considérer que de telles gens n’existaient pas et que, à cette époque, c’était du folklore. Il n’en avait jamais entendu parler si ce n’est de « l’affaire U Zelmat », vieille alors de quinze ans (3). Cependant, très scrupuleux quant à la détermination de la véracité des faits, l’administrateur Morizot va faire des recherches dans les archives de la Commune mixte de l’Aurès où il découvre un manuscrit rédigé par un des derniers administrateurs adjoints en poste dans cette circonscription. Il tire de l’analyse de ce document qu’avant 1947, rien de notable en dehors du banditisme des années 1917-1921 auquel a mis fin la mort de U Zelmat Messaoud et celle de Boumesrane. Il note juste qu’après 1947, c’est une nouvelle forme de banditisme qui va se manifester. En effet, pour lui, c’est en 1947 que commence à se manifester la dégradation de l’autorité.
« Après quelques 26 années où l’on n’observe pas le moindre trouble sérieux, dans les relations entre les gens de l’Aurès et les instances administratives, voici que de nouveau des hommes qui ont commis un crime ou tout au moins un fait jugé tel par nos lois, refusent de se rendre à la justice et prennent le maquis pour protéger leur famille ou poursuivre une vengeance (4). »
Mais, pour l’administrateur civil de l’Aurès, le 4 avril 1948 est une date capitale dans l’histoire du massif. Cette année-là, Mostefa U Boulaid, représentant le parti indépendantiste MTLD (5), remporte à la surprise générale les élections à l’Assemblée algérienne contre le candidat de l’Administration. En fait, la relation est vite établie dans l’esprit de l’auteur entre l’installation du parti nationaliste dans le massif des Aurès et la résurgence de l’insécurité, mais cette fois sous une nouvelle forme, plus politique disons. En effet, 1947 est l’année où les candidats du MTLD enlèvent la presque totalité des sièges aux élections municipales. C’est aussi la date de la création de l’Organisation spéciale (OS), une aile para-militaire du PPA-MTLD chargée de préparer le passage à la lutte armée. Un rapport de la gendarmerie de Batna en date du 27 juin 1947 signale l’implication de M. U Boulaïd dans l’achat d’armes, mais J. Morizot note qu’il ne s’agit là que de supputations. Des dizaines d’années plus tard, et s’appuyant sur les ouvrages d’Yves Courrière (6) et de Mohammed Harbi (7), il réinscrit l’épisode en question dans la mise en place du dispositif insurrectionnel dans la région.
Ce qui nous semble important à ce moment de l’analyse, c’est le fait que nous nous trouvons face à une première dissonance dans les niveaux de narration entre les rapports des différentes autorités administratives et militaires, entre les historiens et ethnologues parlant de soulèvement dans la région pour les uns, le niant pour les autres. Dissonances aussi dans le témoignage de l’Administrateur civil à la retraite qui, lui, semble ne rien voir de cela jusqu’en 1947. Prenant à témoin non seulement les rapports contradictoires de ses prédécesseurs aux affaires de la commune mixte, mais aussi les déclarations de l’ingénieur en chef des Eaux et Forêts (8), du géologue Robert Laffitte, de l’ethnologue Thérèse Rivière, de la voyageuse Odette Keun, d’un directeur d’école et d’un couple d’instituteurs, il atteste que l’Aurès était une région où les habitants étaient calmes et montraient de bonnes dispositions jusqu’en 1947. Il s’inscrit en faux non seulement contre Fanny Colonna qui cite le journal des Ulémas El Bassaïr,mais aussi contre Charles-Robert Ageron qui déclare dans sa thèse que « l’Aurès est un pays en état d’insurrection endémique » où « des bandes tiennent le maquis »(9).
La rencontre d’un « irrégulier » avec un « pays légendaire »
La question ici n’est pas de faire la part de ce qui est tenu pour vrai par les uns ou faux par les autres, mais juste de relever les dissonances dans les dires de ceux-là mêmes qui partagent le primat de la raison et de la logique cartésienne, de ceux qui prennent l’écrit comme source quasi unique du savoir savant. Ce qui me semble cependant intéressant à souligner, c’est le décalage entre la description d’un pays supposé en état d’insurrection permanente et les témoignages de ceux, parmi les Français, qui y ont vécu plus ou moins longtemps et qui le considéraient comme un pays plutôt calme.
Parle-t-on du même pays ? Ou alors de certaines vallées ou versants du massif et pas d’autres ? Mais cela n’est pas plausible.
Le témoignage de Slimane Lakhdar Ben Tobbal, un militant de l’Organisation spéciale que la direction du parti MTLD a affecté en 1950-1952 dans les Aurès pour le mettre à l’abri des poursuites des services de sécurité français, va corroborer en partie les dires de Jean Morizot quant aux « bandits d’honneur ». Il va également nous permettre de lever le voile sur une des questions posées par le récit de l’Administrateur civil qui fait dater de 1947 le retournement de la situation sécuritaire, sans toutefois en expliquer les raisons profondes.
Selon les dires de celui qui allait devenir un des plus importants chefs de l’ALN du Nord Constantinois, la base du PPA dans les Aurès est essentiellement rurale. À Arris, petite localité du massif montagneux, les autorités coloniales avaient assigné à résidence un militant nationaliste originaire d’Annaba (Bône). Leur idée était que, déporté dans cette région qu’ils considéraient comme quasi primitive et impénétrable, où personne n’entendait jamais parler de politique ou d’indépendance, Mahieddine Bekkouche allait se décourager et renoncer à la cause nationale. C’est pourtant lui qui va créer en 1943 les premières cellules du PPA dans les Aurès, c’est-à-dire bien avant Mostefa U Boulaïd auquel J. Morizot attribue le basculement des Aurès dans la dissidence politique.
Avec le massif du Djurdjura, les Aurès avaient cette particularité d’offrir une situation concrète où les militants de l’OS pouvaient à loisir mettre à l’épreuve leurs théories ainsi que leurs propres convictions. Dès leur arrivée dans ce « pays légendaire », les rescapés de l’OS du Constantinois sont dispersés dans les différents douars de la région par Hadj Lakehal et Abdelhamid Boudiaf (10). Bitat est placé dans le territoire des Ah i-Daoued (tribu de Mostefa U Boulaïd) ; Si El Mekki Tlilani au douar Yabous près de Khenchela ; Habbachi dans une fraction des Ah Bou Slimane à Aïn Aouassem ; Bendjeddou au djebel Chelia et Ben Tobbal dans une autre fraction des Ah Bou Slimane comprenant les douars de Srahna et Kimel.
Dès les premiers jours de leur installation dans ces zones montagneuses, ces « irréguliers » (11) découvrent des phénomènes auxquels leurs livrets de formation politique et militaire ne les avaient pas préparés. Ils allaient y rencontrer le problème des bandits d’honneur qui « infestaient la région », mais aussi les conflits tribaux.
« Comme par hasard (se plaint Ben Tobbal) c’est dans la région où j’étais installé comme contrôleur qu’ils sévissaient le plus. Il y avait là Hocine Beraïdi, qui avait pris le maquis en 1941 […]. Il y avait aussi El Mekki Bendjarallah, de son vrai nom El Aissi, également en fuite. Messaoud U Zelmat et Sadek ‘‘Gouzir’’ (Chebchoub de son vrai nom). Il y avait enfin Belgacem Grine qui était une vraie terreur (12). »
Ces hommes, eux-mêmes recherchés par les autorités coloniales, avaient une certaine influence sur la région. Ils y exerçaient leur autorité et leur présence datant d’époques très reculées (avant même la venue des Français) en faisait tout à la fois des personnages de légende et des éléments de la vie communautaire chaouïe et de son imaginaire collectif. Est-ce une soudaine ré-apparition du phénomène après une longue accalmie, comme le laisse à penser le témoignage de l’Administrateur civil, ou est-ce une donnée si profondément inscrite dans les mœurs et les traditions locales qu’elle a finie par devenir légendaire ? Sommes-nous là à un niveau de langage non perceptible par les rapports des autorités locales qui eux finissent, avec le temps, par devenir des archives écrites attestant à elles seules de la véracité des faits.
Nous pouvons noter au passage que l’un des « bandits d’honneur » cité par Ben Tobbal n’est pas seulement un homonyme mais un descendant du fameux U Zelmat qui avait défrayé la chronique des Aurès en 1917-1921. Voilà ce qu’en dit notre témoin :
« Parmi les plus renommés il y avait Messaoud U Zelmat qui avait refusé la conscription en 1914-1918 et s’était mis à faire sa propre loi. Les Français finirent par le prendre avec les siens et ils les brûlèrent vifs au Sahara. Mais d’autres bandits d’honneur étaient venus prendre la relève (13). »
Nous ne développerons pas ici la dimension politique du problème où des militants d’une organisation clandestine, porteurs d’armes, rencontrent des « hors-la-loi », eux aussi porteurs d’armes. La question mérite cependant d’être évoquée car certains de ces « bandits d’honneur » vont rejoindre les groupes qui déclencheront l’insurrection de novembre 1954. D’autres « bandits d’honneur » continueront à contester l’autorité des nouveaux venus, fussent-ils des munadilin ou des mujahidin (militants ou maquisards) luttant contre la France. Nous nous apercevrons qu’à partir de la venue des « irréguliers » du PPA-MTLD, en 1950-1952, le narratif légendaire de ces nouveaux « hors-la-loi » va interférer avec celui des anciens.
Interférence, discordance ou superposition des mémoires ? Nous ne nous risquerons pas plus loin, n’ayant pas fait d’étude systématique du corpus des chants, contes et légendes de la région durant cette période cruciale de son histoire.
Contentons-nous d’observer que nous changeons d’époque au sortir de la Seconde guerre mondiale. Jusque-là, la Commune mixte de l’Aurès est un pays proto-historique (au sens où l’histoire commence avec l’omniprésence de l’État (14) où l’Administration de la France coloniale ne brille pas par la densité de ses établissements et de ses effectifs. Voilà ce qu’en dit Germaine Tillon :
« En 1934, l’Aurès, immense massif montagneux sans route comptait, nous l’avons vu, 57 623 natifs, lesquels considéraient unanimement que la qualification virile commençait avec la possession d’une arme à feu. On comprendra, en lisant la suite de cette étude, que cette exigence n’était aucunement platonique. Pour assurer l’ordre dans la région en question, l’État français disposait d’une brigade de gendarmerie, autrement dit de six gendarmes (15). »
Six gendarmes pour tenir le massif des Aurès ! Contrairement aux provinces d’Oran et d’Alger, la population coloniale proprement dite n’est pas statistiquement significative, et l’observatrice avisée qu’est l’ethnologue Tillon a vite fait d’en faire le tour en citant nommément les personnages, localité par localité. Elle y met même une touche pittoresque d’exotisme orientaliste. Ces personnages-là sont eux-mêmes devenus des figures de légende dans le narratif communautaire chaoui. En un sens, ils appartiennent aussi à l’histoire mémorielle de la région. Les ruines de leurs moulins ou des premiers engins mécaniques sont comme les vestiges des Romains et des Vandales, objet de curiosité touristique ou même de pèlerinage.
Ce qui nous semble important à noter à ce niveau de l’analyse, c’est que le texte oral comme le texte écrit nous renvoient à l’image d’une région où on a tôt fait de sortir des limites de la civilisation (c’est-à-dire des zones contrôlées par l’Administration coloniale). On est vite hors la loi, de la France s’entend. On peut même évoluer dans des terres où les populations n’ont jamais rencontré de Roumi (16).
Parlant de la forêt de Kimel, Ben Tobbal, qui s’y était replié en 1950, nous dit :
« Kimel était un océan de pins qui faisait 80 km de long sur 40 km de large. L’administration française n’y avait jamais pénétré et même les caïds ne s’y hasardaient pas. Les gardes forestiers n’en connaissaient que la périphérie. C’était en quelque sorte une forêt vierge de présence française. Un vieil homme qui disait avoir 136 ans nous racontait la période de l’occupation française. À l’âge de 7 ou 8 ans, il avait quitté Batna avec son père, quand les Français avaient occupé Constantine. C’était l’époque où les Algériens défaits s’étaient repliés dans les montagnes. Depuis, il n’avait plus jamais revu la ville et n’avait jamais connu de Français. Il lui est arrivé une seule fois de voir deux gardes forestiers de loin, il les appelait les ‘‘kouffars’’» (17).
Là, nous nous trouvons en pleine concordance des narrations entre l’insurgé installé par son parti dans la région et l’ethnologue qui consacre tout un paragraphe aux « qouffar » (18).
Dans les Aurès donc, entre 1947 et 1954, de nouveaux personnages surgissent dans les terres des proscrits. Ils surgissent aussi dans leur langue et leur registre narratif. Ils surgissent enfin dans les procès-verbaux d’audition des services de police.
L’audition d’un témoin par les services de police judiciaire
Le 2 mars 1953, devant l’Administrateur civil de l’Aurès, Cazebonne remplissant les fonctions d’officier de police judiciaire, auxiliaire du Procureur de la République de Batna, le commissaire de police Cruz, l’inspecteur Marchand de la police judiciaire, le gendarme Molina de la brigade d’Arris, le caïd Djilani Benchenouf, un greffier et un interprète, comparaît un témoin dont on sait seulement qu’il demeure à Zellatou (19).
Se présentant lui-même comme un bandit d’honneur, « le témoin » (ou l’inculpé, c’est selon) raconte comment il est entré dans le banditisme.
« Bien entendu, il n’y a aucune raison pour que je ne vous dise pas comment je suis devenu un bandit et pourquoi je le suis resté. Je me suis joint aux bandits vers la fin de l’année 1950 ou au début de 1951, sur la demande de mon parent Zelmati Messaoud qui s’est adressé à ma mère en disant qu’il avait besoin de mon aide dans la montagne. Les gens du mouvement (PPA) ont eux aussi insisté au cours des réunions dans lesquelles ils discutent de religion, de politique et surtout de l’aide à apporter aux bandits au nom de la politique ou au nom de la religion. Ce sont en effet les chefs PPA et leurs représentants des douars, notamment les kabyles réfugiés dans l’Aurès qui organisent la vie des bandits, leur ravitaillement, leur sécurité, leur armement et décident de l’aide que tous doivent leur apporter, c’est également le PPA qui dicte aux bandits les sanctions qui doivent être appliquées à ceux qui se montrent des adversaires du mouvement ou qui sont trop fidèles à l’Administration (20). »
Nous nous rendons compte ici, dans la déposition du « bandit » anonyme, que les interpénétrations entre l’organisation du PPA et l’activité des « bandits d’honneur » sont bien avancées ; ce qui corrobore le témoignage de S. L. Ben Tobbal. Mais, on parle dans le procès-verbal de « kabyles ». Il faut revenir au contexte de l’époque et aux acteurs auxquels fait mention le document pour savoir que, chez les Chaouïas, on appelle alors « kabyles » tous ceux qui viennent du nord de l’Aurès et non ceux qu’on a coutume d’appeler ainsi, ailleurs et en d’autres temps, c’est-à-dire les gens de Grande et Petite Kabylies. Légère dissonance ne prêtant pas trop à confusion, sauf si l’on se réfère à la crise provoquée par le passage du commandant Amirouche (21) dans le pays des Chaouïa en 1956 et aux terribles conséquences que cela a provoquées. Contentons-nous d’observer ici que la politisation des Aurès est bien avancée en 1953 et que l’organisation politique du parti nationaliste indépendantiste a réussi à fondre en son sein, ou du moins à contrôler, une partie des bandits d’honneur dont Messaoud U Zelmat (Zelmati dans le PV) comme nous le dit Ben Tobbal (un de ces prétendus kabyles).
L’entrée dans la modernité et la fin du mythe de la Terra incognita
À l’origine, un fractionnement sans fin
Tentant de mettre au clair le vocabulaire de l’ethnologie, Germaine Tillon faisait les remarques suivantes :
« Selon Émile Durkheim, les Kabyles n’avaient jamais dépassé le stade des sociétés segmentaires à base de clans. Or les Chaouïas étaient encore moins organisés que les Kabyles. Nous disons de ces sociétés qu’elles sont segmentaires, pour indiquer qu’elles sont formées par la répétition d’agrégats semblables entre eux, analogues aux anneaux de l’annelé ; et de cet agrégat élémentaire qu’il est un clan, parce que ce mot en exprime bien la nature mixte, à la fois familiale et politique. Il est vrai que ni les Kabyles ni les Chaouïas n’ont pas constitué des États – comme l’ont fait Athènes dès le VIe siècle avant notre ère, ou Venise à partir du Xe siècle, ou Florence après le XIIIe siècle – mais les petits États en question ressemblèrent d’abord beaucoup à un ‘arch… Tel était du moins l’avis du vieil auteur déjà cité, Émile Masqueray, et tel est aussi le mien » (22).
Je ne suis ni ethnologue ni anthropologue mais, dans mes travaux touchant à l’origine des populations des provinces intérieures de l’Oranie au XIXe siècle (23), j’avais observé, rejoignant en cela Jacques Berque, que « de fait, la plupart des tribus agrègent des éléments venus de tous les horizons » (24). L’important ici n’est pas de discuter de la composition des éléments de population que le pouvoir colonial au temps du Second Empire avait nommé tribus et avait constitué en douars ; il s’agit seulement de relever le lien qu’opère l’ethnologue entre le ‘arch et le petit État qu’il constituerait, en tout cas dans sa propre représentation et dans son dispositif narratif. Une sorte de quant-à-soi difficilement réductible aux autres. Une petite fabrique de la mémoire entrant en concurrence avec d’autres petites fabriques de la mémoire.
Petit État, ou petite république, avec son nom comme étendard et sa terre comme territoire imprescriptible et inaliénable pour lequel une atteinte quelconque à son intégrité pouvait être la cause d’un conflit armé.
« Dans l’Aurès, le type de ‘arch que j’ai vu était une sorte de petite république – un peu oligarchique, comme presque toutes les républiques, y compris la nôtre – mais, à l’inverse de la nôtre, très refermée sur soi et souhaitant tourner le dos au reste du monde. […] Identifié au-dehors grâce au nom propre qu’il s’est lui-même attribué, maître d’un territoire où naissent ses enfants, où il enterre ses morts, dont les ressources ont permis sa survie, le petit `arch que j’ai connu s’appliquait à faire régner l’ordre chez lui : son ordre. Il y parvenait. […] Sur ce territoire, il tolérait la présence de visiteurs étrangers, mais seulement dans la mesure ou ceux-ci se présentaient comme des passants ou des hôtes, et il en interdisait bel et bien l’accès à ses propres voisins. Le viol de ce territoire pouvait presque s’appeler guerre : une très petite guerre, à l’échelle d’un très petit État (25). »
En citant aussi largement les travaux de l’ethnologue Tillon, je voudrais juste fixer dans l’idée le fait que nous sommes là devant des structures segmentaires relativement stables tout à la fois fermées sur elles-mêmes, dans la plupart des cas endogènes, mais qui gardent entre elles des relations de voisinage et des formes de communication, comme les synapses du système nerveux (26). On peut parler des marchés locaux, hebdomadaires ou saisonniers, mais aussi des allées et venues des éleveurs transhumants remontant les flancs du massif ou redescendant vers le Sahara. On peut aussi évoquer le patrimoine commun des contes et légendes (dont celles des bandits d’honneur) ou encore des croyances et des cultes agrestes qui leur sont attachés. Des noms qu’ils portent et « des noms qui les portent ». Tout cela circule, se transmet et s’agglomère dans une sorte d’identité collective. On dit bien « les Chaouïas », tout autant que l’on nomme les Ah Bou Slimane ou les Hraktas ou encore les Ah i-Daoued, autant de « petites républiques » dans un grand massif.
Il faut peut-être attendre l’arrivée des premiers militants nationalistes pour entendre parler de Nation algérienne ou de « Nation arabe » selon les termes d’un prévenu transcrits sur procès-verbal d’interrogatoire.
L’intrusion du monde moderne. Interférence, discordances et dissonances
L’Aurès, pour sûr, n’est pas un pays de cocagne ; surtout pas après la Seconde guerre mondiale. Déjà dans l’entre-deux-guerres, il s’ouvre à l’extérieur et de l’argent commence à circuler dans la montagne. Des cafés (nouveaux lieux de socialisation (27) voient le jour ici ou là. La route atteint Menaa en 1917 et des écoles coloniales ouvrent leurs portes tout autant sinon moins que les écoles du mouvement réformiste religieux qui se développent dans la vallée de l’ighzer n-Ah Abdi ou à Himsounine et Biskra à partir des années 1925-1935 (28). À cela il faut ajouter le nombre croissant des jeunes émigrés, partis travailler dans les bassins miniers de Lorraine. Jean Morizot (29) y voit un facteur important dans la transformation des idées, l’émergence d’une conscience politique, et en particulier du nationalisme. Nous en accepterons l’idée pour l’instant en supposant que la conscience politique viendrait de la seule acculturation aux modes et pratiques occidentales, fussent-elles prolétariennes. Au lendemain de la guerre de 1939-1945, le nombre des Aurésiens démobilisés atteint les 4 000 en 1954 sur une population de 70 000 habitants (30), ce qui constitue un chiffre considérable. Tous ces anciens militaires ont appris à manier des armes et n’ont plus pour horizon leur seule « petite république ».
Comme nous l’avons vu, les idées nationalistes parviennent à s’implanter et gagnent du terrain tout autant que les idées réformistes des ulémas algériens. Il n’y pas jusqu’aux idées libérales véhiculées par les partisans de Ferhat Abbas et du Dr Saadane qui ne font pas leur chemin. On signale même des communistes dont quelques cellules s’installent dans les villes environnantes (31)
Selon la déposition-témoignage du prévenu de Zellatou, le PPA existait dans les Aurès depuis une vingtaine d’années mais il n’y avait pas d’organisation. Il n’y avait que quelques éléments nationalistes tels que Messaoud Belaggoun, Messaoud Aïssi et quelques autres. Selon ses dires :
« À la suite du soulèvement de 1945, les kabyles sont venus se réfugier dans la région de Chemorah et ont commencé à faire de la propagande, ils sont venus par la suite à Foum Toub, puis ensuite dans les douars Ichmoul et Oued Labiod où ils ont recruté le noyau qui était chargé de former le mouvement PPA dans les Aurès. Ils sont restés au moins deux ans chez les Ah i-Daoued, surtout à Ichmoul avant de venir dans le douar Zellatou où ils ont été introduits par l’intermédiaire de Bellagoun Messaoud qui a demandé que nous fassions passer les querelles de tribus après l’intérêt de la Nation Arabe (32). »
Nous voilà donc devant un dispositif temporel et spatial où l’imbrication des niveaux se complexifie, et avec elle les régimes discursifs qui leur sont associés. La fabrique de la mémoire intègre de nouveaux éléments et s’expose de plus en plus à l’emballement polyphonique.
Si les militants nationalistes indépendantistes du PPA-MTLD prennent le dessus sur leurs concurrents modérés de l’UDMA ou même sur les Ulémas, qu’en est-il des « irréguliers » jetés dans les zones inaccessibles du massif montagneux ?
Ce qui rend la situation plus terrible encore pour les « contrôleurs du parti » nationaliste, c’est qu’ils ont à asseoir leur autorité dans une contrée où règne un ordre d’un type particulier, non réductible aux représentations modernes de la nation, telles qu’elles furent acquises et intégrées dans l’esprit des militants des villes « modernisées ». Que faire devant cet agrégat élémentaire qui est le clan, parce que ce mot en exprime bien la nature mixte, à la fois familiale et politique. Comment dépasser les pesanteurs sociologiques d’un pays qui sort à peine d’un splendide isolement pluriséculaire ? Rappelons-nous de ce que disait Germaine Tillon :
« Sur ce territoire, il [le Chaoui] tolérait la présence de visiteurs étrangers, mais seulement dans la mesure ou ceux-ci se présentaient comme des passants ou des hôtes, et il en interdisait bel et bien l’accès à ses propres voisins. Le viol de ce territoire pouvait presque s’appeler guerre : une très petite guerre, à l’échelle d’un très petit État ; »
Comment faire pour dépasser « l’archaïsme tribal » et permettre aux populations de ces régions d’accéder à l’esprit révolutionnaire de « la guerre des partisans » ? La tâche est d’autant moins facile qu’il faut faire face aux bandits d’honneur qui ne voient pas d’un bon œil une autre autorité rebelle, d’autres hors-la-loi en armes, étrangers qui plus est, venir leur contester le monopole de la rébellion contre l’ordre établi, leur imposer une autre république fusse-t-elle nationale et populaire.
« À chaque reprise, ils (les bandits d’honneur) arrêtaient un Touabi de passage et le rançonnaient. C’était une sorte de défi à notre autorité et, à la longue, les gens perdaient confiance en nous. Il fallait absolument réagir (33). »
Il fut enfin possible de les intégrer à l’organisation du parti mais dans une cellule à part où eux seuls étaient admis sans risque de se voir contester par un « misérable » habitant de la région. Belkacem Grine, lui, resta rebelle tant vis-à-vis de la France que du parti nationaliste.
Le phénomène clanique était si prégnant que le recrutement d’un seul personnage, pour peu qu’il fut influent, pouvait faire basculer toute une tribu. Ce fut le cas de Adjal Adjoul (34) des Srahna qui entraîna derrière lui le pays des Ouled Chorfa auquel appartenait Grine. Cela se passait au milieu de l’année 1950. N’avions-nous pas relevé dans la déposition du prévenu de Zellatou que U Zelmat l’avait recruté en s’adressant à sa mère ?
Nous nous sommes permis cette digression dans le champ du politique car cela nous permettra, dans la suite de notre essai, de mieux comprendre pourquoi il est si difficile à ce jour de décrypter le niveau à partir duquel s’exprime le locuteur surtout quand il s’agira de rendre compte de la crise qui a agité les Aurès de 1956 à 1962. Le témoin ou l’acteur, parle-t-il en tant que membre du clan, ou de la farqa,ou du ‘arch ou encore du parti (un ‘arch plus grand que les autres) ? Et dans le parti, au nom de qui parle-t-il ?
Devrons-nous nous étonner quand nous constaterons que cette petite guerre, entre autorités légitimes et entre les registres mémoriels qui leur font pendant, se poursuit et interfère le narratif de la grande guerre menée par le FLN-ALN contre la France ?
Des petites guerres dans la fabrique mémorielle de la grande guerre
Novembre 1954. Un événement somme toute presque commun
Si l’on doit croire à tout ce que l’imaginaire collectif des conquérants, explorateurs, ethnologues et autres militants assignés à résidence, soumis à la question par les Français ou par leur propre parti, a produit, le déclenchement de la lutte armée contre la présence coloniale pouvait ne pas apparaître comme particulièrement exceptionnel. La détention quasi générale d’armes à feu et leur usage plus ou moins immodéré font que leur utilisation contre des cibles plus ou moins symboliques de la présence française dans les Aurès pouvait ne pas sembler sortir de l’ordinaire. Sauf bien sûr que cette fois, la cible désignée est politique. Il faut combattre explicitement, frontalement, la présence française en Algérie. Ce n’est pas seulement le garde forestier, ou le caïd, ou l’auxiliaire, le goumier, qui est visé en tant que tel, mais le représentant de l’autorité coloniale.
Il faut s’attarder quelque peu sur les faits car ce passage de l’insécurité, causée par quelques « hors-la-loi », à ce que l’on va appeler la lutte armée ou thawra en arabe, va revêtir une charge symbolique telle qu’on y puisera pendant longtemps la charge destinée à légitimer les différentes autorités et pouvoirs qui se sont succédé à la tête du pays, jusqu’à ce jour.
Un des premiers actes de cette geste va être la constitution du premier cercle des initiés. Nous employons cette terminologie car elle rappelle, au moins dans les formes, celle du prophète (as-sira an-nabawiya) et celle des suhaba (ses compagnons) (35). Disons qu’il y a là une structure narrative dont la matrice remonte au temps de la première communauté imaginée, celle fondée par le prophète Muhammad. C’est sur elle que vient se greffer le nouveau procès discursif.
Réunion dans la ferme de Mostefa U Boulaïd à Lambèse au début de l’été 1954
Un petit groupe se rassemble, il est constitué de A. Adjoul, A. Laghrour, T. Nouichi (36), M. Belaggoun. Ils prêtent tous le serment de s’engager dans l’insurrection armée contre la France. B. Chihani, alors responsable de la daïra de Batna du MTLD, se joint à ce groupe 15 jours plus tard, suivi de Bachir Hadji de la ville du Khroub et de Mohammed Khantra de Barika (37). Plusieurs remarques s’imposent dès l’abord.
Le caractère solennel de la prestation de serment lui donne une charge émotionnelle qui est de l’ordre du sacré. On jure de sacrifier sa vie (mais aussi d’ôter la vie à d’autres), ce qui n’est pas peu de choses, il faut bien l’admettre. Mais on le fait pour une cause sacrée ; non pas celle de reconstituer la communauté originelle fondée par le prophète, ni la communauté agnatique primitive, mais pour fonder la communauté nationale, restaurer l’État algérien dans sa souveraineté et libérer le peuple de la domination étrangère (le prévenu de Zellatou dit « la Nation arabe). Tel est le mode devenu dominant de la narration, de 1954 à nos jours, une sorte de fabrique de la mémoire officielle.
La deuxième remarque est l’importance du nom des personnes qui appartiennent au premier groupe (bien avant celui du premier novembre). De cette appartenance vont découler plus tard, au moment crucial de la crise des Aurès, la revendication du pouvoir légitime de chaque groupe sur les groupes concurrents.
La troisième remarque est que des militants des villes rejoignent le premier groupe, 15 jours plus tard. Parmi eux Bachir Chihani, responsable politique issu du Nord Constantinois et successeur désigné par Mostefa U Boulaïd à la tête de la zone 1, celle des Aurès.
Les principaux protagonistes de la tragédie sont tous réunis : U Boulaïd, Adjoul, Laghrour et Chihani.
Réunion de Lokrine (Chemora à 30km à l’Est de Batna) du 20 octobre 1954
À l’initiative et sous la présidence de Mostefa U Boulaïd, elle se tient chez Abdallah Oumezitti y participent : Adjoul, Chihani, Laghrour, Nouichi, Hadji, Khantra. C’est là que se communique la date du déclenchement.
Le 24 octobre, Mostefa U Boulaïd charge Adjoul de convoquer les militants. Ce dernier répercute l’ordre sur Ali Benchaïba, à l’époque responsable de cinq cellules : El Hadjadj, Yabous, Melloudja, Khangat Maache et Aïn El fodda. (38)
Adjoul est donc désigné par le « Grand Vieux » (shaykh amokran) pour convoquer les militants. C’est un signe de confiance et une charge qui donnent de la légitimité à l’autorité. Trois autres cellules qui ont refusé le leadership de Tahar Nouichi lui ont été assignées. Il s’agit de la section de Ammar Maache, des Ah Oudjana (entre Yabous et Khenchela) qui a toujours fait preuve d’un esprit indépendant (39). On retrouve là les observations qu’a faites Germaine Tillon ; l’agrégat élémentaire qu’est le clan (le çoff) refuse le leadership d’un élément extérieur à lui, même si ce dernier est désigné par le shaykh amokran Mostefa U Boulaïd.
La nuit du 30 octobre, les militants arrivent par petits groupes. Ils se reconnaissent souvent et, cloisonnement oblige, s’étonnent un moment de la présence d’un voisin ou d’un collègue au sein de l’organisation clandestine. Ils sont généralement heureux que le moment tant attendu soit enfin arrivé […] Ils savent que cette fois c’est la bonne. Adjal Adjoul, Bachir Chihani, Abbas Laghrour, Mostefa Boucetta, Meddour Azoui, Messaoud Benaïssa, Ali Baazi, Abdelwahab Othmani, les acteurs de la pièce sont là […] Après avoir salué tous les hommes, Mostefa U Boulaïd les rassemble :
« Les enfants, nous allons commencer la guerre de libération. Notre combat c’est la lutte entre le faible et le fort. Notre force réside dans notre foi, dans la liaison entre les groupes, même éloignés les uns des autres. Le sang versé est lui aussi facteur d’unité […] (40). »
Tous les chefs de secteur sont programmés pour prendre part aux actions armées, à l’exception de Chihani (41) et de Adjoul que U Boulaïd veut à tout prix éviter d’exposer en raison de leur importance dans le dispositif révolutionnaire. Un ordre hiérarchique apparaît dans la narration comme dans les faits sur le terrain. Mais si U Boulaïd venait à disparaître, deux c’est trop. Qui de Adjoul ou de Chihani doit céder le pas ?
La crise des Aurès. Discorde et discordance
A- Une interférence de niveaux
Nous venons de voir que Adjoul fait partie du premier cercle et qu’il est même une des deux personnes que le grand ordonnateur Mostefa U Boulaïd considère comme suffisamment précieuses pour ne pas les exposer inutilement à une mort trop prématurée.
Il faudrait peut-être aussi apporter quelques touches à ce caractère hors du commun qui en fait un homme habité par un ethos si apprécié par les hommes rudes du maquis des Aurès (en tous cas par les hommes du douar Kimmel).
Le soir du 11 novembre, à une réunion faisant le bilan des premières actions armées, Adjoul encourage en sous-main une apostrophe de certains combattants contre deux membres du commandement (Messaoud Benaïssa et Meddour Azoui). On leur reproche leur tendance à s’estimer au-dessus du lot et de rechigner à effectuer les corvées communes comme le tour de garde ou la corvée d’eau (42).
Une première ligne de faille se dessine par ces propos recueillis, tant d’années plus tard, par le Dr Madaci auprès des protagonistes du conflit. Adjoul serait-il un puritain égalitariste comme l’aurait été Babeuf par exemple, initiant une sorte de « conjuration des égaux » (toutes choses égales par ailleurs) ? Mais Chihani aussi est un pur et un dur. Un de ses condisciples aurait rapporté à M. L. Madaci que Chihani, lorsqu’il étudiait au collège de Constantine, déjeunait d’eau et de galette envoyée chaque semaine du Khroub par ses parents. N’y aurait-il pas d’autres motifs de discorde dans cette apostrophe ?
On apprend au détour d’une phrase de l’auteur des Tamiseurs de sable que Adjoul a été élève du cheikh Ben Badis (43). Il ne parle pas un traître mot de français. C’est un arabisant pur ; il commande la région de Kimmel connue pour son extrême pauvreté. Elle dépend donc du ravitaillement d’autres secteurs pour survivre.
En soulignant le fait que Adjoul est un arabisant pur, M. L. Madaci renvoie à un non-dit qui gît dans les replis de la mémoire collective. Y aurait-il une autre ligne de faille qui passerait par la langue et par les modes d’acculturation des uns et des autres, une sorte de conflit larvé Chaouïas-Kabyles, avec toutes les limites et les réserves que nous avons données à ces termes ?
On pourrait le penser en se référant à un passage du prévenu-témoin de Zellatou. Il dit :
« Ce Dada Mahmoud (44) est âgé d’une trentaine d’années. Il est beau garçon et parle très bien le français, d’ailleurs tous les kabyles qui viennent dans les Aurès parlent très bien le français et ne se servent que de cette langue pour parler entre eux (45). »
Quelques temps après le déclenchement de la lutte armée, Mostefa U Boulaïd prend à part Adjoul et Abbas Laghrour (46) ; il leur apprend son départ prochain pour l’Orient afin de récupérer des armes pour les maquis. Il les informe aussi de la désignation de Bachir Chihani comme intérim pour le commandement (al-idara) des Aurès et leur demande de l’aider. Ils acceptent le rôle de tuteurs et gardiens du temple. Ils sont désignés respectivement comme premier et deuxième adjoint de Bachir Chihani.
Alors le moment est venu de rappeler les mots de Germaine Tillon quand elle dit :
« Dans l’Aurès, le type de ‘arch que j’ai vu était une sorte de petite république – un peu oligarchique, comme presque toutes les républiques, y compris la nôtre – mais, à l’inverse de la nôtre, très refermée sur soi et souhaitant tourner le dos au reste du monde (47). »
La question qui se pose est de savoir si la petite république oligarchique (le ‘arch avec ses ferqa et ses çoffs) dans laquelle ont baigné les responsables des Aurès avant leur adhésion au PPA-MTLD allait laisser place à la grande république nationale en devenir (au grand ‘arch démocratique et social) ?
B- Respect du code communautaire ou respect de l’ordre politique nouveau ? Ou comment décrypter les récits des petites et des grandes républiques.
Le 13 novembre 1955, Mostefa U Boulaïd s’évade de la prison de Constantine où il avait été transféré après son arrestation en terre tunisienne. Il y est resté 9 mois. Depuis son départ, les choses ont bien évolué dans le premier bastion de la résistance, celui où les plus dures batailles ont eu lieu en ces premiers moments de la lutte armée. Des hommes nouveaux ont émergé dont l’autorité s’est construite sur le terrain de la lutte, les armes à la main. De nouvelles hiérarchies sont apparues. Bachir Chihani n’est plus, il a été victime d’un complot ourdi par ceux-là mêmes à qui Si Mostefa avait confié son adjoint et successeur attitré.
Sous l’influence de Adjoul, le grand responsable des Aurès (le grand shaykh amokran) est mis en quarantaine. L’argument est l’application du règlement de l’ALN hérité de la période de l’OS du PPA-MTLD : « Tout militant, a fortiori responsable, doit être placé en quarantaine dès qu’il sort d’une prison du colonialisme ».
Mais, n’est pas « Grand Vieux » qui le voudrait. Je me permets encore une fois de citer l’ethnologue G. Tillon :
« Il faut savoir que dans l’Aurès, comme d’ailleurs dans les autres pays méditerranéens, on peut devenir très vieux sans être un “Grand Vieux”, car l’autorité vous vient d’abord du lignage, puis du rang de naissance dans la “fratrie”, puis de l’âge, puis du je-ne-sais-quoi qui fait qu’on vous obéit (48). »
C’est ce je-ne-sais-quoi qu’il est important d’interroger pour donner du sens aux récits des uns et des autres. Malgré la décision de mise en quarantaine, Adjoul est obligé d’organiser un grand rassemblement au milieu du plateau de Tedjine. Y prennent part les chefs de zone de Tébessa, Khenchela, Arris, Kimmel et Souk-Ahras. Là, il fait son mea culpa et remet le sceau en caoutchouc (49) à U Boulaïd. Visiblement, Mostefa semble ému. Surtout quand, à tour de rôle, les chefs lui réitèrent leur attachement.
Deux jours plus tard, Hadj Lakhdar, chef de la région de Batna (50), rencontre Mostefa et reconnaît d’emblée son autorité. Il met à sa disposition une troupe de cent soixante djounoud (soldats).
« […] Mostefa atteint le djebel Lazreg qui culmine à près de deux mille mètres d’altitude. Les groupes affluent de toutes parts. Il organise un deuxième rassemblement à Tibhirine où il ne s’arrête que quelques heures, le temps, encore une fois, de parler aux combattants, puis il reprend sa course jusqu’à Kef Larous […] (51). »
Les choses semblent se remettre en place et l’ordre politique des hiérarchies modernes semble pour un temps l’emporter sur les oligarchies claniques. Mostefa U Boulaïd envoie des agents de liaison aux autres responsables absents, à savoir ceux des mintakas 1, 3, 4 et 5. Il leur fixe rendez-vous à Nara (52), dans le djebel Lazreg, quelques kilomètres à l’est de Menaa. Il déclare à Bicha : « De cette réunion va dépendre le futur de la Révolution (53). »
Il n’aura pas le temps d’y arriver. En chemin, lors d’une halte, un poste radio piégé par les Français met fin à sa vie.
Dans les narrations des témoins et acteurs de la tragédie aurésienne, nous passerons très vite sur la chute aux enfers d’Adjal Adjoul qui échappera à une tentative de liquidation par ses adversaires déclarés avant de se rendre aux Français et de vivre dans l’opprobre de la trahison jusqu’à la fin de sa vie.
Pour lui, conclut M. L. Madaci, « tout s’inscrit alors dans une normalité inéluctable – il est devenu l’homme par qui le scandale arrive, ses fidèles renâclent à le suivre, tous se méfient de lui et lui se méfie de tous, à l’exception de son père ou de ses cousins. L’atmosphère devient rapidement irrespirable ».
« Une vendetta,dit G. Tillon, entre deux orgueilleuses familles – drame fréquent – va soudain rompre l’équilibre du ‘arch, c’est-à-dire sa survie… La petite république se trouvera alors à la merci des “ petits peuples ” voisins. Voisins, donc ennemis. Jadis, le danger ainsi couru par le ‘arch était si grand, si pressant que, selon les Vieux, du temps des guerres on ne vengeait pas un membre à l’intérieur du ‘arch pour ne pas risquer d’affaiblir le ‘arch. Or, ne pas venger un meurtre, c’est perdre l’honneur, c’est totalement affreux ».
Abbas Laghrour l’autre responsable à qui U Boulaïd avait confié la protection de son successeur et qui a contribué à son assassinat aura moins de « chance » que son allié de circonstance. Il n’échappera pas à sa liquidation physique.
La mémoire de ces narrations reste ancrée dans les esprits au point que des décennies après l’indépendance, les territoires des petites républiques vaincues (celles de Adjoul et de Laghrour) payent encore le prix du sang versé et de la parole non tenue. À ce jour, la masse des investissements consentis par l’État central (le grand ‘arch) à la région des Aurès bénéficie en premier lieu à Batna, alors qu’Arris et Khenchela sont savamment contournées par les bienfaits de la grande république (démocratique et populaire).
En guise de conclusion
Interférence des structures spatio-temporelles et des ordres symboliques
Mythos, logos et charisma
Dans une étude précédente nous avions tenté de décrypter les modes d’organisation et d’expression du politique en situation insurrectionnelle (54). Nous avions alors relevé que, dans les villes, le mode d’adhésion dans l’espace de la cité est principalement celui du plébiscite (la rumeur nourrissant le mythe) et, pourquoi pas, celui du suffrage (voie électorale). Le changement se fait de manière évolutive, graduelle ; il ne peut se concevoir que sous cette forme-là par ceux qui gouvernent les esprits et administrent les choses. Nous avons vu comment, dans l’immédiat après-guerre (1939-1945), le côtoiement des émigrés algériens avec leurs camarades ouvriers dans les fabriques et manufactures d’Algérie ou dans les zones industrielles de la France va donner naissance à une « intelligentsia prolétaroïde » (55) qui a fréquenté les bistrots CGTistes ou Messalistes, certaines rues et certaines salles (la salle Atlas à Alger, les salles Blanqui ou celle des Ingénieurs civils à Paris), certaines associations révolutionnaires bolchévisantes (Étoilistes ou autres). Ils s’y sont initiés à la conduite de l’action de masse, à l’action sociale et à la gestion sociale organisée (caisses de sécurité sociale, allocation familiale etc.). Certains d’entre-eux vont prendre la direction de maquis comme Amara Bouglez dit Laskri, plébiscité par une partie des chefs de secteur dans la région des Nememtchas et Souk-Ahras en 1956. Il aurait été ancien marin, ouvrier-mécanicien de profession (56).
Avec l’apparition des écoles réformistes religieuses et celles de la France coloniale, naît une petite « intelligentsia d’école »(57) en attente d’intégration dans les structures de la « grande république ». Apparaissent aussi des professions à statut, très rares dans les Aurès certes, mais toutefois influentes dans les superstructures politiques.
Tous ces nouveaux agents sociaux vont se distribuer, selon les intérêts des uns et des autres, entre les partis réformistes, libéraux ou nationalistes indépendantistes. Selon Jean Morizot (1992), « […] depuis longtemps la vallée de l’oued Abdi est acquise [en 1953-1954] au parti de Ferhat Abbas et la vallée de l’oued Abiod au parti de Hadj Messali qui y compte, reconnaît l’administrateur, 60 % à 70 % de sympathisants de longue date ».
Le processus d’individualisation amorcé dans la seconde moitié du XXe siècle va mettre à mal les structures héritées du passé. De nouvelles générations émergent exigeant plus de collégialité et moins de dirigisme autocratique. Pour rompre avec le mode dominant partitaire, charismatique et hiérarchisé, il faut sortir de la structure et dénoncer la mythologie du parti (mythos) et la force d’attraction du chef (charisma). Il faut d’une certaine façon « tuer le père ». Mais pour cela il faut disposer d’une force (matérielle et symbolique) au moins équivalente sinon supérieure et c’est hors la ville, dans les montagnes, que les militants de l’OS l’ont trouvée.
Dans les massifs montagneux, dans le Djurdjura où les premiers maquis s’implantent dès 1945, dans les Aurès, bastion-refuge et lieu mythique de la résistance à l’étranger, les militants de l’OS, ces « irréguliers » improvisés par les circonstances en contrôleurs officieux du parti, vont découvrir un nouveau monde. Contrairement à la ville, les structures traditionnelles villageoises, tribales et claniques sont encore actives. Le travail politique relativement récent a du mal à s’imposer comme forme dominante d’expression. Plus précisément la forme politique (moderne) d’organisation au sein du parti est concurrencée par d’autres formes et d’autres modalités de relation au pouvoir. Dans les Aurès plus qu’au Djurdjura, les hommes sont en armes. Chacun dispose d’un fusil et s’en sert à l’occasion. Ici, le politique baigne dans une atmosphère tribale traditionnelle. Contrairement à la ville, ce sont les structures et les modalités coutumières qui définissent les relations et en particulier la relation au pouvoir. Chacune de ces structures dispose d’un monopole sur le territoire et sur les hommes. Les éléments qui participent de la « modernité » ne peuvent faire autre chose que de les contourner et de composer avec elles ou de les dépasser, mais ce dépassement n’a jamais paru décisif – en tous cas pour le PPA-MTLD. Ici, ce sont plutôt les structures coutumières et claniques qui ont capturé les formes modernes d’organisation en partis et associations pour étendre leur sphère d’influence jusqu’au réfèrent central logique. Contrairement à la ville, le mode d’adhésion est celui de la cooptation et le plébiscite se fait sous la forme de l’allégeance au chef qui répond le plus à l’éthique de la résistance à l’étranger.
De la voie des urnes à l’acte d’allégeance
Nous avons vu comment, après s’être évadé de prison, Mostefa U Boulaïd a repris son bâton de pèlerin et traversé de part en part les Aurès pour recueillir l’adhésion de ses troupes, mais cette fois sous forme d’allégeance. C’est ainsi que nous apparaît le mea culpa d’Adjal Adjoul : « À partir de maintenant, dit-il, je redonne ma pleine et entière confiance à Si Mostefa, le père de la Révolution » (58). Et ce ne sont plus les militants d’une organisation politique de type moderne qui l’élisent (comme en 1948) mais les « petites républiques » qui l’adoptent comme le père fondateur ou le prennent à nouveau comme chef spirituel.
« Il a été correctement accueilli et traité par les Ah Fadhel […] De partout fusent les ovations. Visiblement, Mostefa semble ému. Surtout quand, à tour de rôle, les chefs lui réitèrent leur attachement […] D’une manière ostentatoire, Adjoul lui remet le sceau en caoutchouc. Conciliant, Mostefa le lui rend après avoir estampillé les feuilles d’un carnet (59). »
Nous convenons donc avec Jean Morizot que l’allégeance à la nation se substitue à l’allégeance aux groupements primaires, mais le progrès en ce sens tient au charisme d’un homme et demeure donc fragile. C’est ce que souligne Mohammed Harbi. Pour lui, l’échafaudage, construit en un temps record, sera remis en cause du fait d’une succession d’événements qui vont rompre l’équilibre entre les communautés rurales et laisser apparaître derrière la façade bureaucratique, les rapports de parenté et de clientèle.
« Aucun de ces pôles n’a d’homogénéité. La segmentation au sommet favorise partout le désordre, tout particulièrement entre communautés, les Serahna d’Adjoul et les Ouled-Cheurfa de Tahar Nouichi au douar Kimmel, entre segments tribaux chez les Ah i-Daoued où Abdallah Nouaoura s’oppose à Omar Benboulaïd. Toutefois la segmentarité toujours prégnante ne se déploie nulle part pleinement, sauf quand il s’agit du devoir de protection. Les factions sont perméables et les alliances entre réseaux de pouvoir demeurent précaires et instables. C’est le signe que les communautés rurales sont sorties partiellement de leur comportement tribal et que la référence nationale trouve un écho chez elles. Mais cette référence ne domine pas encore, car les circonstances qui mettent en présence des sociétés rivales et président à la compétition entre les leaders activent partout de vieux antagonismes au sein du corps social mité (60). »
La question du sujet dans la narration
Individu singulier, individu collectif ?
Comment expliquer ces entrechocs entre niveaux d’organisation sociale et formes d’expression du politique ? Quelles sont les modalités de légitimation de l’autorité et du pouvoir et comment influent-elles sur la fabrique de la mémoire ? Mémoire sélective, mémoire singulière ou mémoire de la communauté première ? Qui nous parle ?
Il nous faut donc définir le niveau phénoménologique d’expression du narrateur. Celui que nous enregistrons, parle-t-il à la première personne du singulier ou exprime-t-il consciemment ou non, la parole du groupe auquel il appartient ? Exprime-t-il sa parole propre ou celle du groupe social ? Est-ce une conscience apaisée ou les échos d’un conflit fratricide non encore consommé ? Reprenant Marcel Mauss, Bruno Karsenti nous dit :
« Tandis que les faits de conscience de l’individu expriment toujours, d’une façon plus ou moins lointaine, un état de l’organisme, les représentations collectives expriment toujours à quelque degré un état du groupe social : elles traduisent (ou pour employer la langue philosophique, elles ‘‘symbolisent’’) sa structure actuelle, la manière dont il réagit en face de tel ou tel événement, la conscience qu’il a de soi-même ou ses intérêts propres (61). »
Il reconnaît, tout comme nous l’avons fait tout au long de cet essai, que les consciences dont la société est formée y sont combinées sous des formes nouvelles d’où résultent des réalités nouvelles. Alors, est-il possible de déployer le champ historique où cette même conscience (de l’individu ou du groupe) accède à elle-même dans un espace-temps autre ?
Peut-on relever dans la narration du locuteur le niveau de conscience de soi ? Devons-nous comme le fait Mauss interprété par Bruno Karsenti, « penser l’homme dans sa complétude, le considérer comme une totalité, et comprendre la relation que cette totalité entretient avec l’autre totalité que définit le groupe » ?
La complexité du problème vient du fait que nous sommes devant des processus d’individuation qui ne cessent de s’achever et des processus de dissolution des communautés premières qui ne cessent de redoubler de vivacité au moment même où elles sont sur le point de disparaître.
Daho Djerbal | Institut d’Histoire, Université d’Alger
Notes :
1 Jean Morizot, L’Aurès ou le mythe de la montagne rebelle, L’Harmattan, Paris 1991, p. 198
2 Jean Morizot, op. cit., p. 201
3 Ibid., p. 199
4 Ibid., p. 203
5 Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques créé en 1947 pour permettre au Parti du peuple algérien (PPA), interdit, de participer aux élections à l’Assemblée algérienne sous une autre étiquette.
6 Yves Courrière, La guerre d’Algérie. Tome 1 : les fils de la Toussaint, Paris, Fayard, 31 décembre 1988.
7 Mohammed Harbi, Le FLN, mirage et réalités, Des origines à la prise du pouvoir (1954-1962), Paris, Jeune Afrique, 1980.
8 Jean Morizot, op.cit., p. 200
9 Charles-Robert Ageron, Les Algériens musulmans et la France, Paris PUF 1968, t. II, chap. II, p. 34. Cité par J. Morizot.
10 Benyoucef Benkhedda donne, avec Abdelhamid Boudiaf, le nom d’El Abidi Hadj Lakhdar, Les origines du 1er/11/1954, Éd. Dahlab, Alger, 1989, p 165.
11 Selon l’expression du parti lui-même qui les avait affectés à des tâches de contrôleurs politiques sans mention dans les organigrammes officiels.
12 Slimane Lakhdar Bentobbal, Mémoires à paraître. C’est nous qui soulignons.
13 Ibid.
14 Certains historiens font commencer l’ère historique avec l’émergence de l’écriture…
15 Germaine Tillon, Il était une fois l’ethnographie, Paris, Le Seuil, 2000, p. 28.
16 Observation confirmée par G. Tillon, op.cit., p. 106.
17 S. L. Ben Tobbal, op. cit., Kouffars : « mécréants » en arabe.
18 G. Tillon, op. cit., Qouffar et cafards, p. 105-106 en particulier.
19 J. Morizot, op.cit., Document annexe n° 2, p. 267 et suiv.
20 Document annexe n° 2, in J. Morizot, op.cit.
21 Membre du conseil de la wilaya III, chargé en 1956 par le Comité de coordination et d’exécution du FLN-ALN d’une mission de remise en ordre de la wilaya I en pleine crise de succession.
22 G. Tillon, op. cit, p. 233.
23 Daho Djerbal, Les mutations dans la propriété foncière dans les plaines intérieures de l’Oranie, 1850-1920, Thèse de IIIe Cycle soutenue à Paris VII Jussieu en 1979.
24 Jacques Berque, Structures sociales du Haut Atlas, Paris, PUF, 1955, cité par G. Tillon, op. cit., p. 265.
25 G. Tillon, op. cit., p. 238
26 Définition du Trésor de la Langue Française : « structure histologique par laquelle l’axone d’un neurone s’articule avec les dendrites d’un autre neurone ».
27 Voir Omar Carlier, Entre Nation et Jihad, Histoire sociale des radicalismes algériens, Presses de Sciences Po., Paris, 1995.
28 En 1939, les écoles d’inspiration badissiste seront au nombre de 500 instruisant près de 17 000 élèves selon un exposé du lieutenant Soulié, archives du CHEAM du 24-15-1941, cité par J. Morizot, op.cit., p. 206.
29 J. Morizot, op. cit., p. 202.
30 Ibid.
31 Voir Daho Djerbal, Élites locales et pouvoir politique dans l’Est algérien des années trente et quarante. Intégration et dissidence. Colloque du CERES, Tunis, décembre 1989.
32 Document Annexe n° 2, in J. Morizot, op.cit.
33 L. Ben Tobbal, op. cit.
34 On trouvera dans certaines sources le nom de Adjoul Adjoul.
35 Nous puisons à partir de là, largement, dans le travail accompli par Mohammed Larbi Madaci, Les tamiseurs de sable, Ed. ANEP, Alger, 2001.
36 Ancien chef de kasma MTLD de Foum Toub, originaire des Ouled Chorfa.
37 M. L. Madaci, op. cit., p. 11.
38 M. L. Madaci, op.cit., p. 20-21
39 Ibid.
40 Ibid.
41 Originaire du Khroub, adjoint de Mostefa Ben Boulaïd, responsable de la daïra MTLD des Aurès en 1952. Parfait bilingue, il a été aussi élève à l’institut Ben Badis de Constantine (Notice biographique in Benjamin Stora, Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens, Paris, L’Harmattan, 1985)
42 M. L. Madaci, op.cit.
43 Membre fondateur et président de l’Association des ulémas musulmans algériens de 1931 à 1940.
44 Un des adjoints de Mesaoud Bellagoun, originaire de Sedrata vivant à Aïn Beïda.
45 Annexe n° 2, in J. Morizot, op. cit.
46 Responsable du MTLD pour la ville de Khenchela et sa région.
47 Voir supra.
48 G. Tillon, op.cit., p. 105.
49 Sceau de forme hexagonale, comportant au centre une étoile et un croissant et, sur le pourtour, l’inscription : « Armée de Libération Nationale » et « Front de Libération Nationale ».
50 La région de Batna est limitée au Nord-Ouest par Bordj Bou-Arréridj, au Sud par Barika, au Nord par le Khroub et à l’Est par Ain El-Berda.
51 M. L. Madaci, op. cit.
52 Nara est un village en ruine depuis qu’il a été incendié par les Français lors de l’insurrection chaouie de 1850. Le choix du lieu nous semble particulièrement symbolique.
53 M.L. Madaci, op. cit.
54 Daho Djerbal, « Civil et militaire, la question du pouvoir dans le mouvement national en Algérie », NAQD, n° 4, janvier-mars 1993, p. 45 et suiv.
55 L’expression est de René Gallissot. Cf. son dernier ouvrage, Algérie : engagements sociaux et question nationale. De la colonisation à l’indépendance de 1832 à 1962, Paris, Les Éditions de l’Atelier, Le Maintron, 2006.
56 Mohammed Harbi, Le complot Lamouri, in La guerre d’Algérie et les Algériens, 1954-1962, Armand Colin, Paris 1997, p. 153
57 L’expression est aussi de R. Gallissot, op.cit.
58 M. L. Madaci, op.cit.
59 Ibid.
60 M. Harbi, op.cit.
61 Bruno Karsenti, Marcel Mauss : le fait social total, Paris, PUF, 1994, p. 64.