De Tacite à Ibn Khaldûn, à la recherche de deux tribus berbères
Introduction
Dans la présente enquête, je voudrais essayer de montrer que l’étude croisée des sources antiques et médiévales permet d’identifier et de localiser deux tribus de Maurétanie césarienne appelées au Moyen Âge « Masûfa » et « Sanhadja ». Et pour ce faire, je me propose d’aborder les points suivants :
- Identifier les Masofi attestés par l’épigraphie de l’époque romaine avec les « Masûfa » du Maghreb central mentionnés par les sources arabes, et situer leur territoire dans la partie orientale du Djebel Titteri à l’intérieur du limes sévérien.
- Montrer la romanisation relativement précoce des Masofi qui ont dû prendre part – sans doute en tant que tribu fédérée- à la conquête des steppes en Afrique proconsulaire, sous les empereurs flaviens.
- Montrer que le nom d’Vsinaz(a) (Saneg en Algérie) est un toponyme construit sur Vsinaz(i), un ethnonyme identifiable avec le nom des Berbères Sanhadja du Moyen Âge.
- Montrer que les Masûfa (antiques Masofi) et les Sanâga (antiques Vsinazi) sont, avec leurs voisins de Lamadiya (antiques Lambdienses), parmi les communautés qui ont formé au Moyen Âge la confédération des Sanhadja sédentaires.
Comme on le sait, cette importante confédération tribale a été dirigée à partir du Xe siècle apr. J.-C. par la branche des Talkata qui était celle des émirs Zirides d’Ifriqiya et de la Qalaâ des Beni Hammâd.
I- Les Masofi d’époque romaine : identifiables avec les Berbères Masûfa des sources arabes
Les sources antiques ne mentionnent pas de groupe ethnique appelé Masofi, mais elles donnent une série onomastique relativement suffisante pour montrer l’origine africaine du nom Masof et pour le rapprocher de celui d’une tribu berbère documentée par les sources arabes du Moyen Âge, à savoir une branche des Sanhadja appelée Masûfa.
a-Anthroponymes construits sur la racine « MSF(N) », attestés par l’épigraphie
Dans un article publié en 2005, le regretté J. M. Lassère a recensé une douzaine d’inscriptions latines1 mentionnant 10 porteurs du nom Masof ou de l’un de ses dérivés, ainsi que deux toponymes construits l’un sur Masof, l’autre sur Massip2 . Pour les besoins de la présente enquête, on retiendra d’importants résultats obtenus par ce savant spécialiste :
– Masof est « un nom africain » comme l’avait suggéré déjà G. camps3 et K. Jongeling4 en le rapprochant de l’anthroponyme libyque MSFN5 donné par une inscription libyque6 . Il est porté comme nom unique (au nominatif ou au génitif) par des pérégrins :
- IRT, 851 : Masof / bona uita uics/it (sic) an(nos) / LVII (à Ouadi Caam, en Tripolitaine),
- CIL, VIII, 12171 : Fortunatus Masofis, Gemini Montani (à Hr sidi Amara/ Agger),
- CIL, VIII, 17258[ILAlg., 1, 951] : T. Flauius Faustus, Masofis f(ilus) (à Koudiet Setieh, près de Souk Ahras).
- ILAlg., II, 7098 : …M. Masofis n(epos), Silensis (à Sila).
– Sous la forme Masop, on le retrouve, toujours comme nom unique de pérégrin (au génitif) dans deux inscriptions de Limisa/ Ksar Lemsa :
- CIL, VIII, 12036 : Iulius Perpetuus et Saturninus, Masopis f(ilii), sufetes
- CIL, VIII, 12051 : […]usius, Masopis f(ilius)
– Ce nom Masofius, « connu également sous la forme Masupius », a servi à créer « un gentilice romano- africain » :
- CIL, VI, 1057 (à Rome) : M. Masof(ius) Satur(ninus ?)7
- CIL, VIII, 811 : Masupius Rogatianus (à Hr Bou Ftis / Auitta Bibba)
– Deux citoyens romains portent l’un, un cognomen dérivé de Masof, l’autre un supernomen dérivé de la forme Masip :
- CIL, VIII, 20804a : Val(eria) Masof (à Sour el-Ghozlène / Auzia)
- CIL, VIII, 27944 ; ILAlg., 1, 3626 : P. Aelius Priscus Masipianus (à Hr Gabel Zguig, entre Tebessa et Tligène)
b- Deux toponymes dérivés l’un de Masof, l’autre de Mas(s)ip
1- Masofiana/ Hajeb el- Aioun (domaine d’un grand propriétaire nommé Masof )
Sur un pavement mosaïqué (encore inédit) trouvé à Hajeb el-Aïoun (en Tunisie centrale, près de Masclianis/ Henchir sidi Abdelkader), A. Beschaouch a lu une inscription mentionnant « Felix Masofiana » en proposant d’y voir un toponyme. Dans un article récent, j’ai abondé dans le sens de ce savant en proposant d’identifier la localité antique qui s’élevait à Hajeb el Aïoun avec un grand domaine appelé « (uilla) Masofiana »8 .
2- Saltus Massipianus/ Borj el-Arbi (CIL, VIII, 587 [ILS 5567] )
Il s’agit d’un grand domaine attesté par une dédicace d’époque antonine9 , situé à six kilomètres au nord de Thala et dont le statut de saltus impérial vient d’être définitivement confirmé par la découverte d’une borne de délimitation récemment publiée10. Comme l’a bien vu J. M. Lassère le nom de ce domaine est construit sur celui d’un premier propriétaire nommé Massip (=Masif)11.
Dans une enquête sur l’anthroponyme Masof et ses dérivés, le même savant retient qu’il s’agit bien d’un « nom d’origine africaine »12 ; mais il ne cherche pas à élargir son enquête aux sources arabes du Moyen Âge qui mentionnent une tribu appelée Masûfa. Pourtant un tel rapprochement entre l’anthroponyme africain antique (Masof) et l’ethnonyme d’époque médiévale (Masûfa) avait été suggéré par la notice de Jongeling qui citait quelques chroniqueurs arabes (al Idrîsi, Ibn Khaldûn …). C’est cette enquête fondée sur l’étude croisée des deux séries de sources que je me propose de mener ici.
c- Masûfa dans les sources médiévales : le nom d’une fraction tribale des Berbères Sanhadja
Deux enquêtes relativement récentes ont été consacrées à cette importante tribu berbère de Masûfa. Elles sont dues, l’une au médiéviste tunisien A. Bouzid en 2007 13, l’autre à son collègue algérien A. Khalifa en 201014. En passant en revue les diverses sources médiévales (Ibn Hawqal, al-Bakri, al-Idrîsi, Ibn Khaldun, Ibn Batûta), A. Bouzid retient que les « Banu Massûfa » sont mentionnés dès le début de la conquête arabe dans le sud marocain (selon une tradition rapportée par le seul Ibn Khaldûn).
Ils appartiennent à la confédération tribale des Sanhadja du Sahara et contrôlent, avec d’autres nomades congénaires, un territoire immense (de Sigilmassa jusqu’au Ghana) où ils s’adonnent à l’exploitation du sel et jouent le rôle de guides du désert. C’est à partir de ce territoire saharien15, que les Banu Masûfa prennent part, au XIe siècle à l’expansion almoravide en Afrique du Nord et en Andalousie (les Banu Ghaniya qui gouvernèrent à Cordoue et aux îles Baléares sont issus de la tribu Masûfa).
Mais A. Bouzid a omis de signaler l’existence d’une importante fraction tribale de Masûfa16 attestée au Maghreb central par des sources du IXe siècle apr. J.-C., comme on le verra plus loin. D’ailleurs, son collègue A. Khalifa a repris pratiquement les mêmes sources tardives pour retenir presque la même information relative à la tribu Masûfa apparentée aux Sanhadja nomades du désert.
Or, j’ai recensé pour ma part trois sources (deux auteurs du IXe siècle et un autre du XIIe ) qui situent de manière relativement précise au Maghreb central une tribu Masûfa apparentée aux Sanhadja. Mentionnée à propos de la conquête arabe, elle vivait dans un territoire appelé « bilad Masûfa » (canton de Masûfa). Voici maintenant les témoignages en question :
– Al -Yaqûbi (IXe siècle apr. J.- C.) :
« En quittant le district du Zâb en direction de l’ouest, on arrive chez les Bani Birzâl qui sont une fraction des Bani Demmer Zénètes… ensuite, on atteint la localité de Hâz habitée par les descendants d’anciens Berbères appelés Bani Iarnaiyen , autre fraction des Zenètes. Les localités suivantes sont peuplées de Sanhâja et de Zouaoua qui portent le nom de Barânis : ce sont des gens riches, éleveurs et cultivateurs de bétail… Distante d’Azba de trois étapes, Hâz est le chef-lieu régional ; on se dirige ensuite vers un canton appelé Mitija (« bilâd Mitidja »)17.
– Kitâb al -Istibsâr (anonyme du XIIe siècle apr. J.-C.) :
« Les Zénètes comptent de nombreuses tribus et leur territoire est immense. Ils ont comme voisins, du côté de l’Ifriquiya les Zoghba qui sont des nomades Hilaliens et du côté ouest, « bilâd Masûfa » (canton de Masûfa) constitué d’une multitude de tribus Sanhajites »18.
– Ibn al-Khayyât (IXe siècle apr. J.-C.) :
« D’après Muhammad Ibn Saîd, Moussa (Ibn al-Nusayr) a pillé et conquis jusqu’à Tûbna et Sanhâja… et le butin était de vingt milles (esclaves)19».
Comme on le voit, deux de ces sources (al-Yaqûbi et Ibn al-Khayyat) sont des chroniqueurs de haute époque, puisqu’ils ont écrit au IXe siècle, bien avant la fameuse extension de l’ethnique Sanhadja, phénomène postérieur à la liste d’Ibn Hawqal (m. en 988)20. Dans celle-ci se trouve mentionné l’ethnonyme Masûfa considéré comme étant le nom d’une fraction des Sanhadja.
Si l’on en croit la tradition orale rapportée par Ibn al-Khayyat, les tribus Sanhadja auraient été soumises par les Arabes au temps du général Mûsa ibn al-Nusayr, au début du VIIIe siècle. Mais ne l’oublions pas, entre nos sources médiévales et celles d’époque antique, il y a un hiatus de plus de trois siècles dont il faudra tenir compte. En tout cas, s’il s’avère que les Sanhadja sédentaires du Titteri avaient réellement des origines antiques, on pourrait les compter parmi les « tribus Maures de l’intérieur », en suivant un classement cher au regretté Y. Modéran21.
En ajoutant à ces considérations,l’argument fourni par l’équivalence exacte -au plan linguistique et phonétique- entre leurs ethnonymes d’âge différent, il devient envisageable d’identifier les Masofi d’époque romaine comme étant les ancêtres des Masûfa d’époque médiévale. Mais pour vérifier une pareille hypothèse, seule l’épigraphie latine pourrait fournir les arguments suffisants. On y reviendra plus loin, à propos de la transposition latine du nom des Sanâga (Sanhadja).
d- Identification et localisation du territoire des Masofi/ Masûfa sédentaires
D’après Al-Yaqûbi qui a visité le Maghreb, « bilâd Masûfa » s’étendait à l’ouest du pays Zénète où vivaient les Bani Birzal, une fraction de la tribu Demmer. Et, on sait que ces derniers occupaient le secteur voisin à l’ouest du Chott el- Hodna, en l’occurrence le Djebel Salat22.
On apprend aussi, par le même géographe que le voyageur qui se dirigeait vers l’ouest à partir du Zab (antique « pays de Zabè ») pouvait atteindre la localité de Hâz peuplée de « Berbères anciens appelés Bani Iarnaiyan».
Hâz est assurément la forme arabisée du toponyme Auzia (avec un passage classique de A à HA, comme pour Sanâga/ Sanhadja)23, et cette identification se trouve confirmée par l’indication de distance fournie par la même source :
– distante d’Azba (l’antique Zabi)24 de trois étapes (soit environ 120 kilomètres), Hâz est située au sud du district de la Mitija (l’actuelle Mitidja). Et, après Hâz, ajoute-t-il, on trouve « des localités peuplées de Sanhâdja… qui sont de riches cultivateurs et éleveurs ».
Toutes ces données géographiques paraissent cohérentes et acceptables et il devient possible, me semble-t-il, de situer le peuplement Masûfa au IXe siècle apr. J.C. entre le pays du Hodna à l’est (où se trouvent Zabi et le Djebel Salat) et la plaine de la Mitidja à l’ouest.
En portant ces indications sur une carte, on obtient un territoire montagneux correspondant au secteur ouest des Bibans et au secteur est du Djebel Titteri dont on sait qu’il a été au Moyen Age le bastion des Sanhadja sédentaires.
À ces résultats obtenus grâce aux sources médiévales, s’ajoute l’éclairage donné par la carte de répartition des porteurs du nom Masof et ses dérivés (anthroponymes et toponymes) attestés épigraphiquement à l’époque romaine25. En effet, la carte confectionnée, donne une répartition par province qui s’établit comme suit :
- 4 occurrences en Zeugitane (Auitta Bibba, Aubuzza, Galaa Bou Atfan, Koudiet Sitieh) – 5 occurrences en Byzacène (Mactaris, Agger, Limisa, Masofiana, Massipianus)
- 2 occurrences en Numidie (Sila, Bahiret Larneb)
- 1 occurrence en Tripoilitaine (Ouadi Caam)
- 1 occurrence en Maurétanie césarienne (Auzia)
Cette répartition montre que le nom des Masofi est relativement bien attesté dans toutes les provinces africaines à l’exception des Maurétanies et de la Tripolitaine. Comme on le sait, les noms ethniques comme Masof et ses dérivés étaient en usage à l’extérieur du pays d’origine des porteurs, car il servaient à distinguer les migrants (ou descendants de migrants) du reste de la population locale. En tenant compte du fait que les Masûfa du Moyen Âge avaient leur territoire au Maghreb central comme le reste des tribus Sanhadja, on n’est pas étonné de constater l’absence du nom Masof dans les inscriptions latines de Maurétanie césarienne en dehors d’Auzia qui n’appartenait pas aux Sanhadja, comme nous l’apprend AlYaqubi, « ses habitants étaient, écrit-il, des Berbères anciens appelés Banu Iarnaiyan apparentés aux Zénètes»)26.
On pourrait donc retenir que le pays d’origine des Berbères Masûfa, peuplé au XIIe siècle d’« une multitude de tribus appartenant à la confédération des Sanhadja », a pu faire partie dans l’Antiquité à la province romaine de Maurétanie césarienne.
Il est permis de le penser d’autant plus qu’une inscription latine d’époque sévérienne, trouvée à Saneg (en Algérie) et plusieurs fois commentée, est venue apporter, à mon avis, un indice décisif sur l’ancienneté du peuplement Sanhadjite dans le Djebel Titteri.
Ce document épigraphique du début du IIIe siècle apr. J.-C. nous donne, en effet, le nom de l’« oppidum Vsinazense » et je me propose de montrer ici que le toponyme d’Vsinaz(a) qui en est déduit est assurément un nom dérivé de l’ethnonyme libyque de Sanag attesté par les sources du Haut-Moyen Âge sous la forme Sanhadja.
II- Vsinazi = Banû Sanhadja
a- Sanhadja sédentaires et Sanhadja nomades : le point des connaissances
Dans une notice de l’Encyclopédie de l’Islam publiée en 1998, on lit à propos des Sanhadja :
« important groupement de tribus berbères ayant joué un rôle historique en Afrique du Nord à partir du IVe /Xe siècle. Elles résidaient dans les deux Maghribs et l’Ifrikiya ; certaines étaient sédentaires, d’autres avaient gagné le désert où elles nomadisaient. D’après les généalogistes berbères, les Sanhadja étaient l’une des sept grandes tribus descendant de Bernès fils de Berr. En revanche pour les généalogistes arabes, comme Ibn al-Kalbi, ils avaient en commun avec les Kutâma (ou Ketâma) une origine yéménite : ils auraient été envoyés au Maghrib par Ifricos, l’un des rois du Yémen… D’après Ibn Khaldûn on comptait près de soixante-dix branches chez les Sanhadja : l’une des plus importantes était celle des Talkâta qui occupait une partie du Maghrib central. Le premier chef connu des Talkâta serait Manâd b. Mankûs, dont le fils Ziri fut l’ancêtre de la dynastie des Zirides, et le fondateur de leur capitale Ashir dans le Djabal Titteri (324/ 935)27».
L’origine yéménite des Sanhadja continue encore de nos jours à séduire quelques uns des chercheurs28, mais les enquêtes les plus approfondies aboutissement au classement de ces tribus parmi les peuples Berbères concernés par la conquête arabe. Tel est l’avis de Bouzid Aleya, professeur à l’Université de Tunis, qui vient de consacrer aux « Sanhadja » une étude exhaustive (96 pages, 90 fractions tribales), publiée à Athènes en deux parties (en 2007 et 2010)29.
Ce bon connaisseur des sources rappelle, dans la présentation de l’article publié en 2010, à la fois l’objectif et le résultat de son enquête :
« … à partir des mythes d’origine du peuple berbère, des anciens récits de la conquête arabe et des anciens traités de géographie et de généalogie, nous avons tenté de mesurer l’importance des Sanhâja par rapport aux autres tribus berbères connues au moment de l’arrivée des Arabes en Afrique du Nord. Nous avons pu montrer que les premiers groupements Sanhâja signalés dans le Haut Moyen Age, étaient établis dans la partie orientale du Maghreb central, plus exactement à l’ouest du Zab, et qu’ils avaient été conquis et soumis au temps de Mûsa ibn Nusayr »30.
En donnant cette localisation du territoire des Sanhadja sédentaires « à l’ouest du Zab »31, l’auteur ne manque pas de les distinguer des Sanhâja nomades du Sahara32, eux aussi signalés lors de la conquête arabe (dans le sud du Maghreb al- Aksa)33 et dont l’émigration, du Tell vers le désert, remonterait d’après Ibn Khaldûn à l’époque préislamique34.
Quant à la carte (assez approximative du reste) qui accompagne le texte de A. Bouzid, sous le titre « territoire présumé des Sanhâja au Ier / VIIe siècle »35, elle semble correspondre plutôt à la situation qui prévaut au Xe siècle. Cet état territorial avait été décrit d’une manière relativement précise par H. R. Idris dans son ouvrage sur le Maghreb ziride (ouvrage dépourvu de carte malheureusement) 36.
En dépit de ces données relativement concordantes fournies par les sources arabes, nombre de savants spécialistes, ont mis en doute -faute de documents probantsl’existence éventuelle au Maghreb antique d’une communauté tribale qu’on pourrait identifier avec les Sanaga/ Sanhadja37. Ainsi, pour G. Camps, ces derniers – tout comme les Zénètes – seraient des « nomades chameliers, venus de l’Est » et qui auraient fini par ruiner la civilisation antique38. Or, une inscription latine de Saneg (en Algérie), complétée par la découverte récente d’un nouveau fragment, est venue fournir, me semble -t- il, le document qui manquait au dossier relatif aux origines antiques des Berbères Sanhadja.
b- Oppidum Vsinazense (Saneg) et « populi noui ex Africa inlati »
En 1990, N. Benseddik a retrouvé à Saneg, à l’est de Boghar et au sud de Berroughia39 un fragment d’inscription qui complétait un document épigraphique publié au 19e siècle40. Le texte reconstitué et établi a été publié par l’épigraphiste algérienne en 1990 41 :
Imp(erator) Caes(ar) L(ucius) Septimius Seu(erus) [Pius, P]ertinax Aug(ustus) Arabicus / Azabenicus, Parthicus maximus, po[n]t(ifex) max(imus), tribunici/ae potestatis XI, imp(erator) XII, co[n]s(ul) III, p(ater) [p(atriae)] et / Imp(erator) Caes(ar) M(arcus) Aurelius Antoninus Pius [A]ug(ustus), trib(uniciae) pot(estatis) VII, co[n]s(ul) II et / [[P(ublius Septimius Geta]] L(ucii) Septimi Seueri Pii [Pe]rtinacis Aug(usti), Arabici / Aziabenici (sic), Parthici maximi fil[[ii M(arci) A]]ureli Antonini Pii [[frater]], / populis nouis ex Africa inlatis, oppid[u]m Vsinazensem per/ P(ublium) Aelium Peregrinum proc(uratorem) CC suum constituerunt.
– Datation : 202-203 ou 203-204 apr. J.-C. (d’après Benseddik) ; 203 (d’après Euzennat)42. – Traduction (en adoptant l’interprétation de J. Desanges)43
« L’empereur César L. Septime Sévère pieux, pertinax, Auguste, vainqueur des Arabes, des Adiabènes, grand vainqueur des Parthes, grand pontife, en sa XIe puissance tribunicienne, acclamé 12 fois Imperator, 3 fois consul, père de la patrie, et l’empereur César Marc-Aurèle Antonin, pieux, Auguste, en sa septième puissance tribunicienne, consul 2 fois, et P. Septime Geta, fils de L. Septime Sévère pieux, pertinax, Auguste, vainqueur des Arabes, des Adiabènes, grand vainqueur des Parthes, frère de Marc-Aurèle Antonin, pieux, ont fondé par l’intermédiaire du procurateur ducénaire P. Aelius Peregrinus l’oppidum d’Vsinaza, après que des populi nouveaux ont été introduits en provenance de l’Africa ».
– En rapport avec la présente recherche de géographie historique, je me borne à rappeler ici l’essentiel du débat scientifique qui a suivi la publication de l’inscription de Saneg.
On s’accorde en général pour dire qu’il s’agit de la fondation par les Sévères d’une agglomération44 (une ville, d’après le sens général du mot oppidum) sur le limes de Maurétanie césarienne45, à une époque où -avec la route stratégique dite nouapraetentura46- la frontière de cette province est reportée à la lisière des Hautes plaines et où les monts du Titteri sont encerclés par le dispositif de l’armée et de la colonisation47
En revanche, l’apport de population qui eut lieu lors de la fondation de l’oppidum d’Vsinaza, exprimé dans l’inscription de Saneg par l’ablatif absolu populis nouis ex Africa inlatis à été interprété de trois manières différentes :
- A ce propos, l’éditrice du texte, N. Benseddik a écrit : « ni personnel, ni spontané, mais collectif et vraisemblablement planifié par l’autorité impériale, l’apport de population à Vsinaza s’insère néanmoins dans le large mouvement migratoire civil constaté vers les pays neufs. La lointaine provenance de ces migrants s’explique-telle par un tarissement démographique de la Maurétanie, par une surpopulation de l’Africa, ou par les effets attendus d’une injection de population anciennement romanisée sur les Maures réfractaires d’une région hautement stratégique ? »48,
- Le premier commentateur, M. Euzennat, critique la théorie de N. Benseddik selon laquelle on aurait affaire à des « populi noui transférés » en provenance d’Afrique proconsulaire, constitués probablement de migrants romano-africains. Il préfère y voir plutôt « une incursion hostile ou une migration non autorisée de populi » (au sens général que lui donne Pline)… des « populi organisés peut-être mais impossibles à rattacher à un groupe connu, natio ou gens » et qui pourraient provenir aussi des « territoires contrôlés par la Légion au sud-est et au sud de la Maurétanie césarienne, traversés par les parcours traditionnels de nomades et de transhumants » 49,
- Plus récemment, J. Desanges a repris la question pour écarter l’une et l’autre des solutions envisagées jusque là. Pour lui, l’oppidum d’Vsinaza n’est ni un centre de colonisation ayant accueilli des civils romanoafricains comme le propose Benseddik, ni une localité créée à la suite d’une invasion de tribus nomades en provenance des régions sahariennes contrôlées par l’armée romaine, situées au sud-est et au sud de la Maurétanie césarienne, comme le suggère M. Euzenna50.
Selon ce savant, l’expression « populi noui» ne pourrait pas désigner « des tribus jusque là inconnues », mais plutôt « des communautés humaines nouvellement reconnues ou constituées par l’Etat et destinées à devenir des communautés territoriales.
Ces populi sont qualifiés de noui dans la mesure où ils viennent s’ajouter à la liste de Césarienne dans la Formula prouinciae. Ils ont été prélevés sur la population de l’Africa par l’administration romaine, peut-être -en partie ou en totalité- par démembrement de populi d’Africa d’origine tribale51… « des populations, surtout tribales, se trouvaient transplantées ; mais elles étaient établies autour et à l’intérieur d’agglomérations en voie d’urbanisation, et finissaient par constituer une res publica avec sa ville, son territoire, ses magistrats, sa curie et son populus. Le refoulement s’accompagnait donc, dans nombre de cas, d’une attribution de terres et d’une urbanisation, aboutissant, en fin de compte, à une romanisation, mais sans perte importante d’identité »52.
– En ce qui me concerne, je voudrais revenir sur un problème que M. Euzennat a déjà eu le mérite de poser, à savoir le nom d’Vsinaza et son éventuelle identification en tant que toponyme construit sur un ethnonyme africain. Ce savant a tenu, en effet, à écrire ceci à propos des « populi noui ex Africa translati » :
« Ils ne peuvent évidemment être confondus avec les Vsinazenses qui ont un nom et qu’une hypothèse raisonnable conduirait à considérer comme une natio ou une civitas au sens de Pline, V, 30, dont le centre principal, sur l’oued Saneg, aurait été constitué officiellement en oppidum en 203 et pourvu d’un rempart…si celui-ci n’existait pas déjà »53.
Parce que cette idée d’Euzennat me paraît pertinente, je me propose de montrer ici que l’ethnique Vsinazenses est construit sur Sinâg.
c- Vsinazi = Banû Sinâg : Une enquête onomastique et historique
En faveur de cette équivalence, des arguments décisifs peuvent être tirés des trois données suivantes :
- Le toponyme actuel Saneg / Sanak est le nom berbère des Sanhadj(a)
- L’ethnonyme antique Vsinaz(enses) est à mettre en rapport avec le nom berbère Usinag = Banû Sinadj/Sinaz. – Le voisinage entre Vsinaza et la capitale ziride Achir.
1- L’équivalence Saneg/Sanak = Sanhadj(a)
L’enquête approfondie dans les sources médiévales entreprise par A. Bouzid débute par une mise au point sur l’ethnonyme Sanhâja54, avec une citation d’Ibn Khaldûn. Selon celui-ci, « Sanhâj » est un nom berbère arabisé :
« sa forme initiale était Sanâk ou Sanâg…La première lettre de ce nom doit recevoir dans la prononciation un léger mélange du son (S) et du son (Z). La dernière lettre (j) est un (k) se rapprochant du (g)…Entre le (n) et le (a) du même nom, les Arabes ont inséré un (h) afin de l’adapter au génie de leur langue. Par suite de ces changements, Sanâk, Sanâg est devenu Sanhâj »55.
Outre le toponyme Saneg, on relève dans le même secteur d’Vsinaza (cf. Atlas Archéologique de l’Algérie)56 : – n° 51 : « Ruines d’Vsinaza / Saneg (sur la rive gauche de l’oued Saneg, affluent de l’oued el- Maleh qui se jette dans l’oued Chelef »)
- n° 60 : « Bir Sennak (le nom d’un puits situé à une dizaine de kilomètres au sudouest de Saneg »
- n° 82-83 : « Achir (ville fondée au Xe siècle par Beni Ziri)».
Par ailleurs, les généalogistes berbères, notamment al- Baydak (de son vrai nom Abû Bakr ibn Ali al-Sanhâji)57, nous donnent l’ethnonyme berbère désignant les Sanhâdja sous trois formes: Iznagen = Zenag(a)= Sanag(a).
Il apparaît ainsi que, pour une même racine SNG = ZNG =SNDJ, trois variantes du nom sont attestées dans les sources arabes et berbères : Sanag(a) = Zenag(a)= Sanhadja (Sanhâja). A ce propos, il convient de rappeler que le S emphatique de Sanag devient un Z dans Zenaga; de même le « G » de Sanag devient « DJ » dans Sanhadja (forme arabisée où on trouve aussi l’adjonction d’un « H » devant le « A »58).
2- L’équivalence Vsinazi = Usinag (Banû Sinhadj)59
Dans l’inscription de Saneg, « oppidum Vsinazensem » est un accord incorrect comme l’a déjà relevé J. Desanges60 et le nom de la localité fondée par les empereurs sévériens est « oppidum Vsinazense » ou « Vsinaz(a) ».
Vsinaza, est à l’évidence un toponyme berbère construit sur Vsinag (Usinadj = Vsinaz) dans lequel l’élément U-signifie «fils de» (en arabe Banû, Ouled)61 tandis que Sinag correspond au nom des Sinag(a) / Sanâg(a), ethnonyme arabisé sous la forme Sanhadja (Sanhâja/Senhâja) ou parfois sous la forme Sinhâga comme par exemple chez Ibn Abd-al-Halim, un chroniqueur du Moyen Âge, cité par A. Bouzid62. Dans une édition récente de Kitab al-Ibar d’Ibn Khaldun (texte en arabe dont le titre est donné aussi en anglais:» Kitab al-Ibar Wa Diwan al-Mubtada Wa-l-Khabar…By Wali al- Din Abd al-Rahman b. Muhammad IBN KHALDUN. Conclusion of book two and first part of book three : vol.11, collated with the autograph manuscripts, «by Ibrahim Chabbouh,Tunis 2011), le médiéviste tunisien Ibrahim Chabbouh qui a mis à contribution entre autres un manuscrit écrit de la main de l’auteur, le nom de cette tribu est transcrit sous la forme Sinhaja et non point Sanhaja comme on a coutume de le faire. De son coté, le marocain A. Chaddadi a retenu la forme Senhaja dans une récente traduction d’un texte d’Ibn Khaldun (Gallimard, 2012, Ibn Khaldun, Le livre des Exemples, II, p. 266-327). Rappelons aussi que l’évolution phonétique du type Sinag = Sinadj = Sinaz dans laquelle le son «G» équivaut à un «Z» est banale en Afrique63.
Ajoutons que l’ethnique Vsinazensis est sans doute le même que celui porté par un évêque, attesté en 484 sous la forme Vsinadensis64. Dans cette dernière forme, le « Z » est l’équivalent d’un « D » comme pour Azabenicus (= Adiabenicus) dans la titulature de Septime Sévère donnée par l’inscription de Saneg.
3- Vsinaza (Saneg) est -comme la médiévale Achir- une ville du Djebel Titteri, pays d’origine des Sanhadja sédentaires
Entre Saneg (Vsinaza) située dans la partie méridionale du Djebel Titteri, non loin de la médiévale Achir Ziri et l’habitat moderne des Sanhadja au nord (carte archéol. de Medea) s’étendait au Moyen Âge le territoire d’origine des Sanhadja sédentaires. Grâce à l’inscription de Saneg, on sait que ce territoire tribal existait depuis l’époque romaine, même si l’on doit admettre l’hypothèse raisonnable d’une extension spatiale vers le Nord et l’Est notamment à l’apogée des dynasties zirides (Xe siècle). Notons d’abord que le toponyme Saneg qui apparait à l’époque moderne dans le secteur méridional du Titteri sous la forme Sanak se retrouve plus au nord sous la forme arabisée Senahdja qui est le pluriel de Sanhedj (= Saneg : AAA, feuille de Medéa).
III- Masofi et Vsinazi au temps de la romanisation
a- Les indices d’une romanisation avancée des Masofi sédentaires 65.
La documentation épigraphique relative aux porteurs du nom africain Masof (ou de l’un de ses dérivés) que nous avons examinée plus haut66 montre que ces derniers sont, à deux exceptions près (Masof à Wadi Caam et Fortunatus Masofis à Agger), des citoyens romains. En voici la liste :
- C. Iulius Masof (à Aubuzza). – Iulii Perpetuus et Saturninus Masopis f(ilii), sufetes (à Limisa).
- [—]usius Masopis f(ilius), (à Limisa).
- T. Flavius Faustus Masofis f(ilius), mag(ister) du pagus, a fait une dédicace aux Sévères (à koudiet Setich, près de Thagaste).
- P. Aelius Priscus Masifianus (dans la région de Tébessa), monument élevé par ses fils.
- Val(eria) Masof sœur de Valerius Crescens (à Auzia).
- Masupius Rogatianus, époux d’Octavia Rogata Octaui Seueri fil(ia), mausolée élevé par ses héritiers dont les enfants d’Aelius Primus Masupiani fil(ius), (à Auitta Bibba)
- Masof(ius) Satur(ninus) (à Rome).
Ces Masofi portent le plus souvent un gentilice impérial de haute époque (Iulius, Flauius, Aelius et Valerius), ce qui permet de dater la promotion au droit romain (pour eux ou leurs ancêtres) du temps de la conquête ou de la romanisation (Ier–IIe siècle apr. J.-C.). Dans deux cas (Masofius Saturninus et Masupius Rogatianus), le gentilice est construit sur le nom tribal, ce qui pourrait trahir une promotion relativement tardive (probablement en 212, avec la généralisation du droit de cité).
Pour trois de ces quirites (C. Iulius Masof, Valeria Masof et P. Aelius Masifianus), l’ethnique est conservé en tant que cognomen ou supernomen). Dans quatre cas, le même nom apparaît au génitif pour indiquer la filiation à la manière africaine : Masof (à Aubuzza et Sila), (Masop à Limisa) et Masupianus (à Auitta Bibba). Là on a affaire à une promotion juridique récente (première génération de quirites), puisque le père, de condition pérégrine, est désigné par un nom unique.
Enfin, deux toponymes africains (uilla) Masofiana et saltus Massipianus, sont construits sur le nom Masof dans le premier cas (domaine de Masof) et sur Massip dans le second (domaine de Massip/ Mas(s)if).
Situés dans l’actuelle steppe tunisienne qui fera partie au Bas-Empire de la province de Byzacène, ces deux latifundia sont, comme les domaines sénatoriaux et impériaux67, situés dans des régions fertiles (cultures fruitières à Masofiana/ Hajeb el-Aîoun et céréales au Saltus Massipianus/ Borj el-Arbi) et riches en ressources hydrauliques.
Si ces Masofi latifundiaires sont bien originaires de Maurétanie césarienne, comment ont-ils pu acquérir, à l’époque de la romanisation, des propriétés foncières importantes en Afrique proconsulaire ? Ontils joué un rôle particulier au service de l’Empire en rapport avec la conquête de la steppe peuplée traditionnellement de tribus semi-nomades ? d’ailleurs, plusieurs autres Masofi attestés par l’épigraphie latine sont des notables municipaux où des propriétaires fonciers dans leurs cités d’adoption :
- Ainsi, à Limisa (Ksar Lemsa) dans la Thusca orientale, les Limisenses hororent, par décret des décurions et aux frais de la commune pérégrine (donc antérieurement au règne de Septime Sévère, date de promotion de la cité)68, les sufètes Iulius Perpetuus et Iulius Saturninus tous les deux citoyens romains mais dont le père Masop n’a pas bénéficié de la promotion au droit de cité romaine avant sa mort. De condition pérégrine certes, ce Masof a dû logiquement posséder des biens fonciers suffisants pour permettre à ses deux fils de briguer la magistrature suprême à Limisa et de l’exercer avec une générosité reconnue officiellement (CIL, VIII, 12036),
- De son côté, T. Flauius Faustus, Masofis f(ilus), a pu briguer et exercer sous les Sévères la charge de magister pagi dans sa bourgade située dans la région de Thagaste (Souk-Ahras), en Numidie proconsulaire (CIL, VIII, 17258[ILAlg., 1, 951] ).
En outre, l’épigraphie funéraire nous apprend que deux néo-romains, très probablement liés par des liens de parenté, et portant un nom dérivé de Masif, ont reçu à leur mort une tombe monumentale élevée par la famille ou les héritiers. Il s’agit de :
- P. Aelius Priscus Masipianus à Hr Bou Skikine (CIL, VIII, 27944 ; ILAlg., 1, 3626). Ce défunt qui a vécu 80 ans a reçu une sépulture élevée par son fils, sans doute sur ses terres à Hr Gabel Zguig, dans la plaine de Bahiret el-Arneb (A.A.A., f. 40, 2) qui a dû appartenir à l’origine aux Musulames, puisqu’elle s’étend au sud de Theueste et on y trouve un domaine sénatorial (CIL, VIII, 2625 et CIL, VIII, 3636)69
- Masupius Rogatianus, époux d’Octavia Rogata Octavi Seueri fil(ia); mausolée élevé par ses héritiers dont les enfants d’Aelius Primus Masupiani fil(ius) à Hr Bou Ftis / Auitta Bibla (CIL, VIII, 811).
Si l’on ajoute à cette liste les personnages qui ont donné leur nom aux deux grands domaines de la future Byzacène, (uilla Masofiana et saltus Massipianus), on obtient un total de 6 familles possessionnées en Afrique proconsulaire et promues au droit de cité romaine à haute époque (Ier ou second siècle).
De tels privilèges obtenus par des migrants originaires de la lointaine Maurétanie seraient-ils en rapport avec des services rendus à Rome au cours de la conquête des steppes (situées en Tunisie actuelle) ?
Dans un article récemment publié, je me suis penché sur le cas de Thala et des tribus Musulames mentionnées par les sources en tant que communautés fédérées (socii et amici Populi Romani), et ce depuis la guerre dite de Tacfarinas sous Tibère. On sait désormais, que lors de ce conflit qui a duré sept ans (17-24 apr. J.-C.), la IIIe Legion Auguste a bénéficié du concours de contingents tribaux envoyés par Juba II de Maurétanie et placés (en qualité de socii) sous l’autorité du proconsul commandant de l’armée romaine d’Afrique70. Il me paraît donc envisageable de chercher à expliquer la situation privilégiée des porteurs du nom Masof en Afrique proconsulaire par les liens du foedus qui auraient lié leur tribu d’origine à Rome.
D’ailleurs, lors de la guerre de Tacfarinas, d’autres contingents maures interviennent aux côtés des rebelles africains menés par le Numide Tacfarinas, et leur chef s’appelle Mazippa71. Ce dernier nom mérite qu’on s’y arrête.
b- Les Magi(fenses) / Mazipp(enses) : identifiables avec les « Anjafa », fraction des Sanhâdja sédentaires.
Au point de vue phonétique et linguistique, le nom Mazippa porté par le chef maure allié de Tacfarinas est identifiable avec celui d’une communauté africaine nommée Magifa, attestée par une inscription latine trouvée à Ksar el- Boum, dans la région de Theueste72. En effet, l’équivalence entre le « Z » et le « G » est bien documentée par des parallèles du genre Gergis (Zarzis) ou Zama (Jâma) ; et il en est de même pour l’équivalence entre le « P » et le « F », comme par exemple pour Vzappa / Ausafa (Ouzafa)73.
Ajoutons que, toujours selon Tacite, le dernier épisode de la révolte des Musulames s’est déroulé non loin de l’habitat des alliés Maures de Tacfarinas, puisque la bataille décisive eut lieu près d’Auzia74 (sans doute Sour el-Ghozlène, appelée Hâz par les sources médiévales)75, c’est-à-dire au cœur du futur territoire des Sanhâdja.
On peut, en outre, rappeler que l’inscription de Ksar el-Boum mentionne les dieux de Magifa, « Diis Magifae Augg(ustis)», vénérés dans un petit sanctuaire qui ne coûta au citoyen romain Q. T. Politicus qui l’a fait construire qu’une modeste somme de 8.000 sesterces (y compris les simulacra des dieux). Ces cinq divinités de Magifa mentionnées par l’inscription portent des noms bien libyques (Dii Mauri) et constituent un panthéon propre à la communauté locale comme l’a déjà montré G. Camps (Masiden, Thililua, Suggan, Iesdan, Masidice)76.
Il apparaît ainsi que la communauté africaine attestée par l’épigraphie latine au voisinage du territoire des Musulames, pourrait être – comme le dux Mazippa mentionné par Tacite -, originaire du pays maure relevant du Juba II.
Cette hypothèse me paraît d’autant plus acceptable qu’une fraction tribale des Sanhâdja est nommée dans les sources médiévales Anjafa / Anjifa, un ethnonyme qui correspond au Berbère Ingafou77 et pourrait être considéré comme étant la transposition arabe du nom antique de Magifa/ Mazippa. En effet, le « M » dans Magifa est l’équivalent de « N » dans Ingafou, comme pour Masofi/ Masûfa (= Innessoufen)78.
Conclusion
Au terme de cette enquête, je retiendrai une conclusion en cinq points :
1- L’équivalence Vsinazi = Banû Sinhadj confirmée par les sources historiques montre que les Berbères Iznagen/ Znâga/ Sanâga (Sanhadja) ne sont pas à l’origine des « nomades chameliers », mais une tribu maure du Djebel Titteri. L’oppidum Vsinazense (ou Vsinaza) est fondé sous les Sévères par l’introduction aux côtés de la population locale des Vsinazi, de « populi noui » qui sont très probablement d’origine tribale (« nouveaux » à la fois par rapport à la province de Césarienne et par rapport à la communauté du Titteri qui les reçoit en vertu d’une décision impériale). Vsinaza est attestée en tant qu’oppidum en 203 apr. J.-C. et en tant qu’évêché chrétien en 484.
2- Les « populi noui ex Africa inlati » introduits à Vsinaza (Saneg) en 203 proviennent de la province d’Afrique proconsulaire qui avait reçu à haute époque impériale des communautés originaires de Maurétanie, à l’instar des Masofi et autres Magifenses. En accordant aux « populi » nouvellement constitués un statut officiel au sein de la formula prouinciae et en leur attribuant des terres, Rome comptait sur eux pour la protection renforcée du limes de Maurétanie césarienne récemment doté d’une rocade appelée noua praetentura.
3- Le toponyme moderne Saneg apparaît sur la carte topographique de Médéa sous une forme arabisée «Senahdja» (pluriel de Senhadj). Entre Saneg (Vsinaza) qui se trouve comme la médievale Achir dans la partie méridionale du Djebel Titteri et l’habitat moderne des «Senahdja» qui se situe à une vingtaine de Kilomètres au nord d’Auzia s’étendait le territoire des Sanhadja sédentaires. Grâce à la dédicace de Saneg, on sait que ce territoire tribal existait déjà à l’époque romaine ; même si l’on doit admettre l’hypothèse raisonnable d’une extension spatiale vers le Nord et l’Est, notamment au temps de l’apogée ziride (au Xe siècle).
4- L’équivalence linguistique et phonétique Masofi = Masûfa et l’apport documentaire des sources médiévales montrent que les porteurs du nom Masof (ou ses dérivés) attestés à l’époque romaine sont identifiables avec les Masûfa attestés au Moyen Âge, en tant que fraction tribale des Berbères Sanhadja. Comme ces derniers, la communauté de Masûfa avait son territoire dans le Djebel Titteri (plus précisément dans le secteur de cette montagne appelé « bilad Masûfa »).
5- L’équivalence linguistique et phonétique Magifenses= Mazippenses montre que la communauté de Magifa installée à l’époque romaine dans la région de Theueste, au voisinage du territoire des Musulames orientaux, était originaire de Maurétanie comme l’était sous Tibère le chef tribal Mazippa allié de Tacfarinas. Les sources médiévales attestent l’existence d’une tribu berbère appelée Anjafa. Et celle-ci qui est une fraction de la confédération Sanhâdja serait, très probablement, identifiable avec les Magifenses/ Mazippenses d’époque antique.
Ahmed M’charek
Ant. Afr. : Antiquités africaines
A.A.A. : Atlas Archeologique de l’Algérie (S. Gsell, 1902-1911)
B.C.T.H. : Bulletin du Comité des Travaux Historiques
B.S.A.F. : Bulletin de la Société Nationale des Antiquaires de France
CIL : Corpus Inscriptionum Latinarum, Berlin, 1981-1916.
E. B. : Encyclopédie Berbère
E.I. : Encyclopédie de l’Islam
ILAlg. : Inscriptions Latines d’Algérie
I.R.T. : Inscriptions of Roman Tripolitania
R.E.A. : Revue des Etudes Anciennes
1. Lassère (J.-M.), Onomastica africana, 2005, p. 184-185.
2. Voir infra, fig. 7 : notre tableau intitulé «Attestations des toponymes et anthroponymes construits sur Masof».
3. Camps (G.), Liste onomastique libyque, 2002-2003, p. 239.
4. Cf. Jongeling (K.), North African names from latin sources, Leiden, 1994, p. 86 où cet auteur identifie Masof comme étant un « berber name ».
5. Id., Ibid., p. XIII et p. 86 (Libyan name).
6. Chabot (J.-B.), Recueil d’inscriptions libyques, Paris, 1950, n° 706 (inscription trouvée dans les « environs de Guelaa Bou Atfan » , région de Guelma en Algérie). Voir l’illustration qui accompagne ce texte. Voir : infra, fig. 1.
7. Lassère (J.-M.) a rappelé à propos de ce nom que « Pour s’être borné peut-être à ne considérer que ce document [de Rome], Schulze (W.) [dans Zur Geschichte lateinicher Eigennamen, Berlin, 1904, p. 125, 401] a assigné à ce nom une origine étrusque, aussi abusivement qu’il l’avait fait pour tant d’autres. Il le rapprochait d’un élément msu-» (Ibid. p. 184).
8. Cf. M’Charek (A.), «La découverte de deux localités domaniales d’Afrique proconsulaire : Masclianis et Mercuriana», BSAF, 2003[2009], p. 292-312, où on peut lire p. 299 : « Rappelons d’abord que l’identification de la station de Masclianae avec Hajeb el-Aöun a déjà été mise en doute, une première fois, par A. Beschaouch en octobre 1986, lors du colloque de la « Terza Eta dell Epigrafia » qui s’est tenu à Bologne. En prenant la parole plus récemment à la suite de ma communication aux Antiquaires de France, en décembre 2003, le savant tunisien a évoqué la mosaïque encore inédite d’Hajeb elAîoun où on peut lire le nom d’une sodalité et la mention de Felix Masofiana ».
9. Cf. la notice substantielle consacrée par Naddari (L.) dans sa thèse de doctorat intitulée « La haute et moyenne vallée de l’oued Sarrat dans l’Antiquité » soutenue à Tunis en 2007, p. 218-233.
10. Cf. M’Charek (A.), «Une communauté- double (pagus et castellum fédéré) organisée par les Flaviens à Thala (en Afrique proconsulaire)», dans Visions de l’Occident romain, Hommages à Le Bohec (Y.), Paris, 2012, t. 1, p.271-294 (voir pages 276-277).
11. Lassère (J.-M.), Onomastica africana, 2005, p. 284. On notera toutefois, qu’il existe au Moyen Age, une tribu berbère appelée Masîfa, distincte de Masûfa car apparentée, non pas aux Sanhâja, mais aux Kumiya (cf. Bouzid (A.), Catalogue des tribus berbères Butr, thèse de 3e cycle soutenue à Tunis en 1992, p. 57-58).
12. Lassère (J.-M.), Ibid, p. 185.
13. Bouzid Aleya, Sanhâja, 2007, p. 83-86 (Massûfa/ Innessoufen).
14. Khelifa (A.), dans E. B., XXX, 2010, s.u., Masufa.
15. Cf. la carte donnée par l’auteur (Sanhâja, 2007, p. 86, voir aussi infra, fig. 2.
16. Cf. Bouzid (A.), Sanhâja, 2007, p. 84 où l’auteur note ceci « … les Massûfa ne sont pas connus des auteurs du IIIe / IVe siècle. Le premier géographe qui ait mentionné leur nom dans une liste de tribus berbères appartenant aux Sanhâja est Ibn Hawqal (IVe / Xe siècle) ».
17. Al-Yaqûbi, Kitâb al- Buldân, éd. Khoury (M.-G.-D.), Brill, Leiden, 1967, p. 352.
18. Kitâb al-Istibsâr (auteur anonyme), éd. Zaghloul (S.), Abdulhamid, Alexandrie, 1958, p. 179.
19. Ibn al-Khayyât (Kh.), Tarikh, éd. Fawâz (N.) et son épouse, Beyrouth, 1995, p. 175.
20. Cf. Liwicki (T.), «A propos d’une liste de tribus berbères d’Ibn Hawkal», dans Folia Orientalia, I, 1959, p. 138- 135, et id., Du nouveau sur la liste des tribus d’Ibn Hawkal, Folia Orientalia, 13, 1971, p. 171-200. Sur l’extension tardive du nom Sanhâdja, cf : Modéran (Y.), Les Maures, 2003, p. 724 où ce savant écrit, à propos de la liste des tribus berbères donnée par Ibn Hawqal : « …une extraordinaire liste de quelque 200 ethnonymes, rigoureusement classés en deux ensembles…[qui] portent les noms de Sanhâdja (environ 60 noms) et de Zenâta (environ 140 noms), c’est-à-dire les deux grandes coalitions tribales dont l’extension était continue depuis le IXe siècle », et Ibid., p. 724, note 60 : « On peut remarquer aussi que Ibn Hawqal livre dans ses listes un état originel des deux groupements Sanhâdja et Zenâta, différent de celui que présentera Ibn Khaldûn quatre siècles après. Cette différente est rassurante pour nous, dans la mesure où elle prouve à la fois la singularité des sources de cet auteur et la réalité des évolutions entre Xe et XIVe siècle : la comparaison détaillée des nomenclatures, qui reste à faire, suffirait à prouver que les informations de Ibn Khaldûn en ce domaine valent d’abord pour son époque, et n’ont nullement le caractère quasi intemporel que leur prêtait Gautier (E.-F.) lorsqu’il construisait ses cartes et prétendait les appliquer au VIIe siècle ».
21. Modéran (Y.), Les Maures, 2003, p. 445-554.
22. Prévot (V.), L’aventure ibadite dans le sud tunisien, éd. Gumerus Kvijapaiano. Oy, Finlande, 2008, p. 137, n° 107.
23. Voir infra, p. 250, n° 57.
24. Pour l’équivalence Azba = Zabi, voir Cambuzat (P.-L.), Evolution des cités du Tell, 1986, I, p. 73 ; Ben Abbès (M.), L’Afrique Byzantine face à la conquête arabe, Thèse Doctorat, Université Paris X, 2004, p. 324-325.
25. Voir carte jointe, infra fig. 7 (p. 262).
26. Voir supra., p. 240.
27. E. I. 2 , 1998, s. u. Sanhadja.
28. Cf. Boutchich Brahim el-Kadiri, «Les mouvements migratoires des tribus Sanhadja dans l’Antiquité et à l’époque médiévale», L’Africa Romana, 16, 2004, p. 989-999 (voir notamment p. 992 où cet historien écrit « Les informations que nous avons obtenues de différentes sources , particulièrement des généalogistes nous ont conduit à conclure que les Sanhadja sont d’origine yéménite et qu’à partir du Yémen ils ont émigré vers l’Afrique du Nord ».
29. Bouzid (A.), Sanhâja 2007 ; Sanhâja, 2010.
30. Bouzid (A.), Sanhâja, 2010, p. 45.
31. Voir aussi : Id. ; dans Sanhâja 2007 , p. 20 où il écrit : « …au temps de la conquête, les Sanhâja du Maghreb central demeuraient au-delà de la ville de Tobna, c’està-dire en Numidie centrale et qu’ils n’ont été soumis que sous le gouvernement de Mûsa Ibn Nusayr . La présence des Sanhâja dans le territoire indiqué par nos deux auteurs [Ibn al-Khayyat et le pseudo-Ibn Kutayba] est confirmée au III/ IXe par les observations du géographe al-Yaqubi qui a visité le Maghreb et qui n’a pas manqué de signaler les Sanhâja établis dans les mêmes endroits. « Ils habitent (écrit-il) dans des villes situées à l’ouest du Zâb ». Voir aussi la carte donnée par l’auteur (ibid., p. 20, infra, fig. 2).
32. Cf. Bouzid (A.), Sanhâja, 2007, p. 22 et 26 où il écrit : «Les tribus, fractions et clans appartenant aux Sanhâja se répartissent essentiellement en deux groupes (ou tabaqa dans le langage d’Ibn Khadûn) bien distincts par leur genre de vie : – Le premier groupe est constitué de Sanhâja sédentaires : ce sont les Talkâta qu’on trouve établis à l’est de Tlemcen, dans la région d’Alger, de M’sila , de Hamza, de Médéa et de Bougie. Ils comptent plusieurs fractions dont les plus connus sont : Les Matennân, les Ouannougha, les Banu Mazghinna, les Banu Uthman, les Banû Khalil et les Botouia. – Le deuxième groupe est formé de « Sanhâja nomades : ce sont principalement les Lamtouna (les Massûfa, les Guddâla, les Utrîka (Outriga), les Tarja (Targa), les Zaghaoua (Zagoua), et les Charta ». – A coté des Talkâta du Nord et les Lamtouna du sud fondateurs de royaumes, Ibn Khaldûn connaît un autre groupe de Sanhâja, les Sanâka, qui dit-il «se distinguent des premiers par le fait qu’ils n’ont jamais fondé un pouvoir dynastique ».
33. Cf. Bouzid, Sanhâja, 2007, p. 20-21 : « En dehors des anciens témoignages d’Ibn Khayyât et du pseudo Ibn Kutayba, il faut attendre Ibn Khaldûn et deux autres auteurs tardifs…, pour retrouver les Sanhâja explicitement associés aux épisodes de la conquête du Maghreb extrême par Uqba ibn Nafi ».
34. Ibn Khadûn, Ibar, VI, p. 217, trad. De Slane, I, p. 212 ; voir aussi : Bouzid (A.), Sanhâja, 2007, p. 20-26.
35. Cf. infra, carte fig. 2.
36. Idriss (H.-R.), La berbérie orientale sous les Zirides, Xe – XIIe siècle, Paris, 1962 (Chapitre I).
37. Cf. Modéran (Y.), Les Maures, 2003, p. 698 où on lit ceci : « …le nombre de tribus qui sont mentionnées avec précision dans les plus anciens récits relatifs aux années 647-711 est extrêmement limité… en Maurétanie, c’est aussi seulement chez Ibn Khaldûn ou d’autres auteurs du XIVe siècle qu’on trouve explicitement associés à des épisodes de la conquête les Sanhâdja, Ghomâra, Maghrâwa, Miknâsa et Masmûda, tandis que Ibn Abd al-Hakam ne mentionne pour ces régions, à propos de la fameuse expédition de ‘Ukba, que les seuls Anbia (n. 67… cette tribu était connue de Ya’kûbi, qui la situe aussi au « Sous extrême » , mais la donne comme une fraction des Sanhâdja).
38. Cf. notamment Camps (G.), Les Berbères. Mémoire et identité, éd. Errance, 1980, p. 94-95 : où, à propos des « Sanhadja et Zénètes », il écrit « Ces nomades chameliers vont balayer des plaines méridionales la vie sédentaire et l’agriculture que l’organisation du limes avait seule rendues possibles. L’irruption de vrais nomades dans un monde africain, où depuis des siècles, l’administration royale puis romaine avait poussé le Berbère à borner son horizon à ses rangées d’oignon ou ses lignes d’oliviers, eut pour ce pays et ce peuple, d’immenses conséquences ». Voir infra fig. 4, 5 et 5 bis.
39. Atlas Archéologique de l’Algérie, f. 24, n. 51.
40. CIL, VIII, 9228. Voir infra fig. 6.
41. Benseddik (N.), Vsinaza, 1991 [1992], p. 425-438 (photo : p. 438). Le texte a été reproduit et commenté par Euzennat (M.) (dans B.C.T.H., n. s., 24, 1993-1995, p. 232-233).
42. Euzennat (M.), populis nouis, 1993-1995, p ; 232-233.
43. Desanges (J.), Mouvements de population, 2001, p. 87- 90.
44. Sur le site archéologique de Saneg, cf. en dernier lieu Benseddik (N.), Vsinaza, 1991, p. 425-426.
45. Benseddik, Vsinaza, 1991, p. 430.
46. Au sujet de la rocade appelée « Nova Praetentura», cf. B.C.T.H., 1919, p. 214, n° 1 ; CIL, VIII 22602-22604). Sur cette voie stratégique, l’oppidum Vsinazense fait partie d’un ensemble de positions avancées qui englobèrent à l’époque sévérienne les monts du Hodna, des Bibans, du Titteri, de l’Ouarsenis et de Frenda dans l’imperium Romanum.
47. Benseddik (N.), Vsinaza, 1991, p. 431 où on lit : « La région de Boghar- Letourneaux est une de ces zones limites de nomadisme et de transhumance, entre le Tell et les Hautes Steppes, où s’avéraient nécessaires la surveillance et le contrôle des migrations saisonnières. Ce rôle fut dévolu précisément à ces fondations qui parachevaient ainsi avec Ain Touta, Grimidi, Tatitli et Vsinaza l’encerclement des monts du Titteri, entamé au nord avec Auzia, Rapidum, Thanaramusa Castra, poursuivi à l’ouest avec Ala Sebastiana, Boghar. Avec Vsinaza, on peut aussi penser à un nouveau territoire de colonisation qu’il s’agissait de défendre, grâce à la praetentura, contre des tribus maures récemment cantonnées ».
48. Benseddik (N.), Vsinaza, 1991, p. 431.
49. Euzenat (M.), populis nouis, 1993-1995, p. 232-233.
50. Desanges (J.), Mouvements de population, 2001, p. 87-88.
51. Desanges (J.), Mouvement de populations, 2001, p. 88- 89.
52. Id., Ibid., p. 90.
53. Euzennat (M.), populis nouis, 1993-1995, p. 233.
54. Bouzid (A.), Sanhâja, 2007, p. 15 où ce bon connaisseur des sources précise : « Selon les généalogistes berbères, l’ethnonyme Sanhâja désigne l’une des sept grandes tribus appartenant aux Barânis. Leur ancêtre éponyme est Sanhâj ibn Burnis ibn Barr ».
55. Histoire des Berbères, traduction De Slane II, p. 2 (cité par Bouzid (A.)).
56. A.A.A., 1911, f. 24, Boghar (notice par Gsell S.).
57. Al-Baydaq, Akhbar al-Mahdi ibn Toumert, éd. Lévi Provençal, Paris, 1928. Voir aussi dans Bouzid (A.), Sanhâja, 2007, p. 33 où on lit à propos du même livre d’al-Baydak : « un chapitre de cet ouvrage …contient une liste d’un grand nombre de tribus dont les noms sont donnés en Berbère et, en même temps , sous leurs formes arabisées ».
58. Ce fait de langue est illustré par de nombreux parallèles attestés dans la toponymie berbère (Sanaga/Sanhâja, Askura/Haskura, Anjafa/Hanjafa etc…), cf. Al-Baydaq, Akhbar al-Mahdi Ibn-Toumert, éd. L. provençal, Paris, 1928 ; Bouzid (A.), Sanhâja 2007, p. 33.
59. «Le rapprochement fait par De Slane entre Wuzina, le nom d›une localité du Sersou oriental (cf. Traduction de l’ouvrage d›Ibn Khaldun, Histoire des Berbères…, table géographique, p. 522) et le nom d’Vsinaza n›est pas acceptable car les deux toponymes n›ont pas le meme radical».
60. Desanges (J.), Mouvements de population, 2001, p. 86.
61. Cf. aussi l’exemple de Uzerouel (Banu Zerouel), une fraction des Sanhâdja (Bouzid, Sanhâja).
62. Ubayd Allah b. Salah b. Abd al -Halim (cité par Bouzid (A.), Sanhâja, 2007, p. 21, où on lit : « …de Dara’ a, il (Uqba ibn Nafi) descendit au pays du Sahara…il pénétra dans le pays des Sinhâga, qui dit-on, se soumirent à lui sans combattre, de même que les Haskûra »).
63. On pourrait citer de nombreux parallèles (comme Gergis/ Zarzis,ou encore Djâma / Zama).
64. Cf. Maier (J.-L.), L’épiscopat de l’Afrique romaine, Vandale et byzantine, 1973, p. 233 (Vers 484 : Donatianus episcopus Vsinadensis).
65. Pour le cas des Masūfa nomades du Sahara, cf. Bouzid (A.), Sanhaja, 2007, p. 84.
66. Voir : supra, p. 243 sq.
67. Le saltus Massipianus est d’ailleurs devenu domaine impérial depuis l’époque flavienne au plus tard (cf. M’Charek (A.), Une communauté double (pagus et castellum) organisée par les Flaviens à Thala (en Afrique proconsulaire), Visions de l’occident romain. Hommages à Y. Le Bohec, Paris, 2012, p. 276-277).
68. Cf. Gascou (J.), dans Mélanges L. Maurin, Bordeaux 2003, p. 235 ; Ben Abdallah Benzina (Z.), in Ant.Afr., 40-41, 2004-2005, p. 105 sq.
69. A propos du territoire des Musulames orientaux, cf. M’Charek (A.), Une communauté-double (pagus et castellum fédéré), 2012, p. 285 (carte ).
70. M’Charek (A.), Une communauté-double (pagus et castellum fédéré), 2012, p. 283-285. Voir aussi Hamdoune (C.), Les Auxilia externa de l’armée romaine, 1999, p. 110, n° 2 ; Coltellony-Trannoy (M.), Le royaume de Maurétanie sous Juba II et Ptolémée, Paris, 1997, p. 19-47.
71. Cf. Tacite, Annales, II 52, où on lit, (à propos de la guerre de Tacfarinas) : « La même année une guerre commença en Afrique, le chef des ennemis étant Tacfarinas. Celuici d’origine numide… devint le chef… des Musulames. Ce peuple puissant… prit les armes et entraîna dans la guerre ses voisins les Maures; et Mazippa était leur chef (dux)… L’armée fut partagée de telle sorte que Tacfarinas garda au camp les hommes d’élite…alors que Mazippa, avec une troupe légère, répandit partout l’incendie, le carnage et la terreur ». A propos de Dolabella, vainqueur de Tacfarinas : « il appelle à la lutte le roi Ptolémée avec ses hommes et organise quatre colonnes confiées à des légats ou à des tribuns. De petites troupes de pillards étaient menées par des chefs Maures choisis, et il dirigeait lui-même l’ensemble ». Les « Musulames voisins des Maures » sont, ici chez Tacite, Les Musulames occidentaux dont le territoire se trouve à l’ouest de celui des Suburbures (Desanges, « Les territoires gétules de Juba II, R.E.A., 1964).
72. ILAlg., I, n° 2977 (Ksar el-Boum : AAA, f. 28, Ain Baîda). 73. Cf. M’Charek, «La vallée de l’oued Ouadran, l’antique Vadara : un espace tribal hautement stratégique de Corippe à Ibn Khaldûn», Actes du colloque intern. sur l’histoire des steppes tunisiennes, Sbeitla, 2008, éd. F. Béjaoui, INP, p. 199, n° 17 et 18.
74. Cf. Tacite, Ibid. Pour la localisation de cette ville antique, cf. A. A. A,f. 14, n° 105.
75. L’hypothèse de Laporte (J.-P.) tendant à identifier Haz avec Arras ne me parait pas convaincante, pour des raisons à la fois linguistiques et historiques (cf. Laporte (J.-P.), in L’Africa Romana, 2002 [2004], p. 457 ; Id., in Athar, 7, Alger, 2008, p. 57-90 ; Id., in Urbanisme et urbanisation en Numidie militaire, Actes du Colloque organisé les 7 et 8 mars 2008 par l’Université Lyon 3, coll. du CEROR, n° 34, Paris, 2009, p. 28.). En fait, on retrouve dans la transposition arabe du toponyme, le radical « AZ » qu’on a fait précéder d’un « H », comme pour Sanaga/ Sanhâga (Sanhadja).
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