De la guerre de Jugurtha à l’équivoque de salluste « Parite 1 »

“Et à quel étranger se fier, si l’on est l’ennemi des siens?” -Auteur inconnu-

L’Afrique aux Africains est l’appel connu de Masinissa,(1) et à Jugurtha de l’appliquer dans ses batailles. Faut-il vraiment s’y fier à de telles affirmations historiques?(2) Le petit-fils mène une guerre qui dure de 112 à 105 av. J.-C. contre les Romains, mettant en péril la présence coloniale. On l’appelle communément guerre de Jugurtha, mais pas la guerre patriotique ou de résistance, sous-entendant le caractère personnel et illégitime du conflit. Elle a lieu trente cinq ans après l’impitoyable destruction de Carthage, fort de défense de l’Afrique du nord.

Faut-il encore croire le récit rapporté par l’historien Salluste, plus de soixante ans après? (3) Il donne vie à des Numides qui ne se lassent pas de s’enfuir, et à Jugurtha de demeurer le lâche «suprême»… Certes, ce guerrier a sa propre tactique, héritée de Hannibal, la guérilla, et reprise ensuite par Tacfarinas, Omar Almokhtar, Abdelkrim Khattabi et d’autres. Faut-il enfin croire ce que disent les autres sur le marginal «résistant»? Si le Jugurtha de Salluste, «si souvent vaincu» (LXXXII), est décrit roi sans préciser son gouvernement et ses institutions, pourquoi un tel essai éponyme? Toutefois, en tant qu’écart, la marge (espace du Barbare) est difficile à être reproduite par le regard de la Cité. (4) C’est bien cela la nature du rapport entre Salluste et Jugurtha, écrire un texte historique sur une personne détestée. Pourquoi prend-il le parti d’Adherbal contre Jugurtha? Son Jugurtha demeure exécrable, et à l’historien d’en aiguiser les points négatifs au moment de traiter l’infraction «nord-africaine»… (5) C’est précisément entre 42 et 40 av. JC que l’historien romain décide d’écrire La guerre de Jugurtha (6) pour rapporter et analyser le conflit entre le monde civilisé et l’univers barbare d’une part, et de l’autre entreprendre l’écriture de son être paradoxal. Sa narration est alors hétéroclite et imprécise, voire lacunaire. (7)

I- LA GUERRE DE JUGURTHA, UNE ŒUVRE DÉDOUBLÉE

Tout d’abord, comment déconstruire, à partir du texte, la figure de Jugurtha et placer ses exploits contre Rome dans l’histoire? Il représente le dernier soubresaut de résistance à la pénétration romaine. Vers la fin du IIe siècle avant l’ère chrétienne, son action politique n’est-elle qu’une conséquence évidente de l’agonie des royaumes amazighes d’une part, et de l’autre l’instauration de l’impérialisme romain après les victoires successives sur Carthage?

Le récit historique altéré, les préjugés décuplés et les anecdotes développés selon la guise du conquérant d’une part, et de l’autre les limites et les reformulations «distorses» de l’univers amazigh, sont intéressants non seulement à déconstruire, mais à rapprocher de quelques faits de la vie de l’auteur. Il y est question d’un dédoublement «moral», entre l’honneur et la quêtes de richesses, entre le patriotisme et la corruption… Salluste cite des noms célèbres, les classe selon des dédoublements : corrompu vs intègre, vaillant vs lâche…, et Jugurtha se trouve au centre d’une telle dynamique.

1- UN RÉCIT PROBLÉMATIQUE

Pourquoi écrire sur la guerre de Jugurtha? L’auteur y répond : «J’entreprends d’écrire la guerre que le peuple romain a soutenue contre Jugurtha, roi de Numidie, d’abord parce qu’elle fut considérable, sanglante, et marquée par bien des vicissitudes ; en second lieu, parce que ce fut alors que pour la première fois le peuple mit un frein à l’orgueil tyrannique de la noblesse.» (V) Il y insère son mépris des nobles romains qui mènent l’Italie à la déchéance. Cette querelle met simultanément au clair les rapports entre Rome et ses «colonies», et «la guerre civile et la désolation de l’Italie.» (V) La pensée de Salluste est simpliste, digne d’un conquérant, imbu des règles de la Cité, soucieux de mépriser l’autre culture dite barbare. Il prétend quand même écrire l’histoire des peuples de la Méditerranée, esquissant la voie à suivre pour les autres penseurs occidentaux. (8) Les peuples devaient naturellement être au service de l’Occident – Rome, voilà la raison d’être d’un tel manuel.

Il serait difficile de parler de la vie du petit-fils de Massinissa, rebelle au regard de Rome, et reconnaître ses victoires sur le Romain altier. Pourquoi Salluste ne raconte-t-il pas la fin barbare du Barbare? Sur quelles références s’est-il basé pour écrire son ouvrage? Il parle des livres de Hiempsal écrits en langue punique, qui parlerait «négativement» de Jugurtha ! Il y a aussi Sempronius Asellio, Cornelius Sisenna, Posidonius d’Apamée… Pourquoi Salluste ne se réfère-t-il pas à Hérodote qui parle des origines amazighes? (9) Ne l’a-t-il pas lu? Si l’auteur de l’Enquête, en voyageur, retrace l’histoire des Imazighen, Salluste vient en conquérant dire l’histoire d’un tel peuple. Il s’agit de deux positionnements différents, avec deux portraits antagonistes de l’amazighité. Les écrivains Jean d’Antioche, Appien, Plutarque, Tite-Live, Diodore de Sicile (10) en parlent tous selon la vision suivante : Jugurtha, un ennemi étranger qui déprécie l’amitié de Rome, un roi tyran, un prince ingrat, un combattant sournois, un barbare irrécupérable… Mais que fut-il vraiment du roi numide? Comment administrait-il son royaume? Quelles étaient ses ressources?

En outre, avant de débattre des épisodes de la guerre de Jugurtha, Salluste entame son récit par une réflexion «idéaliste», appropriée à la fin de sa vie d’hédoniste «en retraite», de politique rebuté (I, II, III et IV) et de personnalité détestée par la noblesse. En menant à terme une autocritique morale, le militaire fait l’éloge de la vertu et de l’intelligence. Il démunit les Numides de tels atouts ou qualités. La narration est alors incohérente, voire digressive. Il use de digressions dans l’intention d’expliquer les déficiences romaines à cause des patriciens corrompus. A chaque digression, il écrit, par rappel ou souci de cohérence, «je reviens à mon sujet» (LXXIX) et il continue à expliquer l’histoire d’un chef perfide. La guerre de Jugurtha est à lire avec un tamis particulier : il faut trier l’utile de l’inutile, l’objectif du subjectif, le surajouté du «vrai» (ce qui s’est réellement passé lors de cette guerre entre Rome et la Numidie)… Bref, sa description de l’Afrique qu’il connait est intéressante à lire dans ses paradoxes. Les magistrats romains ont un pouvoir, et gouvernent plusieurs villes nord-africaines là où leur présence se fait importante. La partie gouvernée par Jugurtha jusqu’à Mulucha ne connaissait l’administration romaine. Si ce fleuve était la limite politique entre Mauritanie et Numidie, c’est parce qu’elle était également une frontière naturelle. Par ailleurs, les terres de Bocchus étaient étrangères à l’influence romaine. En général, Salluste ne précise pas les confins de la présence impériale.

2- SALLUSTE ET L’AVENTURE AFRICAINE

Né en 86 av. J.-C, décédé en 35 av. J.-C., Salluste est un militaire, un politique et un historien ; c’est pourquoi il tend à l’explication «plurielle» dans ses écrits. L’on dit également qu’il préfère approfondir subjectivement l’analyse à donner des détails sur le fait historique, mais sans oublier la suprématie romaine sur tous les sujets traités. Ainsi les histoires de Salluste sont-elles à lire avec précaution : elles manquent d’objectivité dans la narration des faits.

Non seulement l’auteur s’octroie le droit d’écrire l’histoire d’une telle guerre, à partir de la perspective romaine (centrale), mais trouve également l’opportunité d’évaluer sa propre vie, entachée par tant de scandales et d’affaires. Dans cet ouvrage d’histoire, Salluste l’homme se détache souvent de l’historien, et l’écriture de soi semble accompagner celle du chef numide, en insistant sur l’interprétation «morale» : les Romains sont de grands hommes quand ils meurent pour la gloire de Rome, et les Numides des perfides quand ils choisissent le sacrifice patriotique.

Sous l’autorité de César, Salluste part en Afrique comme haut représentant de Rome, là il s’enrichit en excellant dans l’extorsion des Numides, amassant une grande fortune. Ainsi la guerre de Jugurtha n’est-elle, en fait, qu’un prétexte pour expliquer la fin d’une vie paradoxale. Il n’est point corrompu ni un libertin, mais quelqu’un qui met la moralité au premier plan dans un univers belliqueux.

Quoique d’origine plébéienne, Salluste arrive à s’assurer une place auprès des empereurs, notamment avec Jules César. Il devient tribun du peuple en 52 av. J.-C., mais il va être expulsé par les censeurs Appius Claudius Pulcher et L. Calpurnius Pison. Durant toute sa vie, Salluste ne connaît que des détracteurs (notamment les nobles) : l’on parle de ses scandales et de sa corruption. Historien de la corruption, Salluste n’en échappe pas. Il a été derrière un grand scandale : «Surpris en conversation criminelle avec la belle Fausta, épouse de Milon et fille du dictateur Sylla, il avait été rudement fustigé et mis à contribution par une forte somme.» (11) A cause d’un adultère, il se sauve dans les Gaules auprès de César qu’il aide dans la guerre civile. Elu quand même préteur en 47 av. J.-C., il va être l’homme de confiance de César qui lui confie le gouvernement de la Numidie entre 46 et 45 av. J.-C. «Après la victoire de Tapsus, Salluste obtint, avec le titre de proconsul, le gouvernement de la Numidie. Il commit dans sa province les plus violentes exactions ; c’est ce qui fait dire à Dion Cassius :»César préposa Salluste, de nom au gouvernement, mais de fait à la ruine de ce pays.» En effet, parti de Rome entièrement ruiné, Salluste y revint en 710 avec d’immenses richesses.» (12) Ne serait dans la Guerre de Jugurtha en train d’expier ses propres péchés, une sorte de catharsis…?

A l’assassinat de Jules César en 44 av. J.-C., Salluste est dépourvu de ses privilèges. Il se retire de ses responsabilités politiques, et recherche la solitude dans ses domaines de Tibur. Il commence alors à composer : La Conjuration de Catilina et La guerre de Jugurtha  et Histoires  (inachevé). (13)

II – PORTRAIT DE JUGURTHA, ENTRE FRAGMENTATION ET ÉQUIVOQUE

En plus d’être fragmentaire, l’histoire nord-africaine est reproduite par différents auteurs qui portent du dédain envers les populations locales, et lors de la composition le font verser indéfiniment. Salluste avait recueilli des fragments par-ci par-là, et il se donne toute la liberté pour les tisser, les recoudre, les réorganiser et les expliquer, selon l’idée de légitimer l’intervention romaine. C’est pourquoi La guerre de Jugurtha ne répond pas à la question relative à l’identité du roi numide.

D’après l’œuvre de Salluste, le lecteur découvre l’histoire nord-africaine, notamment les temps des guerres puniques. En bon chercheur, il se réfère à tant de noms amazighs et faits propres. Il parle également de Masinissa. «Masinissa, roi des Numides, admis dans notre alliance par P. Scipion, à qui ses exploits valurent plus tard le surnom d’Africain, nous servit puissamment par ses nombreux faits d’armes. Pour les récompenser, après la défaite des Carthaginois et la prise du roi Syphax, qui possédait en Afrique un vaste et puissant royaume, le peuple romain fit don à Masinissa de toutes les villes et terres conquises. Masinissa demeura toujours avec nous dans les termes d’une alliance utile et honorable ; et son règne ne finit qu’avec sa vie.» (V) De telles idées portent atteinte à la valeur patriotique de Masinissa. Encore c’est Adherbal qui va ajouter : «la politique que nous a enseignée Masinissa : «Ne nous attacher qu’au peuple romain, ne point contracter d’autres alliances, ni de nouvelles ligues : alors nous trouverions dans votre amitié d’assez puissants appuis, ou si la fortune venait à abandonner votre empire, c’était avec lui que nous devions périr.»« (XIV) L’apologie des Romains est-elle sincère? Le speech d’Adherbal face aux sénateurs s’étend sur plusieurs pages (XIV) où l’historien fait dire au roi déchu tant de monstruosités sur Jugurtha,(14) et éclairé par conséquent sa vision politique et historique.(15) Bref, d’après ce manuel, les différents faits de la vie de Jugurtha semblent le fruit autant d’une destinée que d’un hasard (ensemble d’accidents).

1- UN BÂTARD ADOPTE PAR LES ROIS

D’après les textes romains, il est le fils «bâtard» de Mastanabal, le neveu et le fils adoptif du roi Micipsa.(16) Sa naissance plébéienne est rappelée à tout instant quand les historiens discutent les stratégies de guerre du chef numide. Une telle origine «scandaleuse» (17) expliquerait sa dite perfidie, et la haine de l’auteur ne serait-elle qu’une sorte d’équivoque chez l’auteur?

L’auteur imagine les paroles de Micipsa sur le lit de mort, et dans ce discours final il insiste sur le fait qu’au moment de l’adoption de Jugurtha, il n’avait pas d’enfant. Il attendait beaucoup d’ingratitude de sa part, de l’amour. Cette prise en charge de l’orphelin a eu lieu aux environs de 143 av. JC, quelques années avant la venue au monde de Hiempsal et d’Adherbal.

En plus d’être initié à la philosophie grecque, le jeune prince est valeureux. Il part aux côtés de Scipion Emilien en guerre contre Numance  entre 134 et 132 av. J.C. Il est à la tête de la cavalerie numide,(18) réputée pour sa force de frappe… Il y apprend les arts de la guerre grâce aux Romains. Et le vieux Salluste d’expliquer ce chapitre de la vie de Jugurtha : l’engagement est une ruse de l’oncle afin de se débarrasser du prince vaillant, un vrai danger pour ses petits, alors que la guerre est censée être une école / un passage obligatoire pour devenir un roi ! (VII)

Durant cette fameuse guerre de Numance, Jugurtha s’y lie d’amitié avec Polybe. Que dira l’auteur de l’Histoire universelle de ce prince numide? Là, en plein séjour ibérique, il découvre les mœurs romaines où la corruption a une grande place, même au sénat (XIII), et dans l’armée en Afrique (XXXII). De nombreux seigneurs romains sont devenus ses amis, et le voyaient bien à la tête de la Numidie.(19) Et les Numides commencent à voir en lui l’héritier du grand Masinissa.

2- USURPATEUR DU RÈGNE

Les exploits du jeune prince, attestés dans une lettre du général Scipion, vont faire revoir les projets de Micipsa. Ce dernier meurt en 118 av. J.-C., et son souhait est de répartir son royaume entre ses deux fils (Hiempsal et Adherbal) et le fils adoptif (Jugurtha). (20) Quant aux Numides, ils «se divisent en deux partis : le plus grand nombre se déclare pour Adherbal, mais Jugurtha eut pour lui l’élite de l’armée. Il rassemble le plus de troupes qu’il peut, ajoute à sa domination les villes, de gré ou de force, et se prépare à envahir toute la Numidie.» (XIII) Ainsi la succession est-elle plus un problème politique pour Rome que pour les propres Numides : elle signifie pour l’Empire la stabilité ou son absence. Rome dépêche des Consuls pour arriver à la paix, et à un gouvernement numide favorable aux intérêts des Romains.

En effet, Jugurtha n’obéit point aux vœux de l’oncle qui voyait le royaume partagé entre les trois princes. La différence d’âge entre Jugurtha et les deux princes, imprécise, peut-elle être la cause d’une telle mésentente. Il recherche à gouverner tout seul. Il tue alors Hiempsal qui s’était retiré à Thermida.(21) Un tel méfait provoque de l’indignation plus à Rome que dans les régions numides.

A l’instar de ses aïeux, Adherbal est un grand ami de Rome. Son allégeance est imperturbable. Probablement, les affaires romaines fleurissaient avec le fils de Micipsa, et envers Jugurtha Rome impose une sorte d’embargo. Adherbal rappelle, dans une lettre au sénat lors du siège de Cirta, cette alliance : «Le royaume de Numidie vous appartient, disposez-en à votre gré ; mais, pour ma personne, arrachez-la aux mains impies de Jugurtha. Je vous en conjure par la majesté de votre empire, par les saints nœuds de l’amitié, s’il vous reste encore quelque ressouvenir de mon aïeul Masinissa.» (XXIV) Par conséquent, Rome dépêche dix sénateurs pour partager la Numidie entre les deux princes.(22) Si la partie orientale est réservée à Adherbal pour être limitrophe avec la Province romaine d’Afrique, la partie occidentale est du lot de Jugurtha.

Jugurtha n’est pas content : il mène une guerre contre le royaume oriental en 112 av. J.C. Adherbal perd des batailles, et finit par se réfugier à Cirta.(23)Jugurtha assiège la ville pendant cinq mois, n’obéissant pas aux ordres de Rome. «Jugurtha, faisant de nouveaux ouvrages autour de la ville, réduisit, par la famine, son frère à se rendre : de sorte qu’Adherbal, sortant revêtu de ses habits royaux, comme abandonnant le trône, et ne demandant que la vie, ne laissa pas d’être tué par son frère, qui foula en même temps aux pieds et les droits des suppliants et ceux de la parenté la plus proche ; mais, poussant encore plus loin sa vengeance, il fit battre de verges et mourir ensuite tous les Italiens qui avaient été du parti d’Adherbal « (24) Adherbal capitule à cause des mauvais conseils des Italiens assiégés…(25) Après avoir réussi à occuper la ville, Jugurtha exécute son «frère/cousin» et les Romains qui l’aident dans la résistance.(26) C’était alors une guerre contre les Romains, arbitres des royaumes numides, avant d’avoir Rome pour belligérante…

Que fait-il alors Jugurtha? Il unit les villes numides par «la terreur ou les promesses ; il fortifie les places, fait fabriquer ou achète des armes, des traits, et réunit tous les moyens de défense que l’espoir de la paix lui avait fait sacrifier ; il attire à lui les esclaves romains, et veut séduire par son or jusqu’aux soldats de nos garnisons ; partout il excite à la révolte par la corruption ; tout est remué par ses intrigues.» (LXVI) De tels propos sont à relire comme étant l’aversion romaine à toute union des Imazighen…

III- ROME EN GUERRE D’OCCUPATION (Suite dans la Partie 2)

Hassan Banhakeia

Notes :

(1) Bien que la seconde guerre punique éclate lors des confrontations entre Romains et Carthaginois en Espagne, les royaumes amazighs se divisent entre les deux partis. Les Romains ont une alliance avec Syphax, roi des Numides orientaux. Par contre, l’autre roi numide Gala, le père de Masinissa, a une alliance avec les Carthaginois, et la princesse carthaginoise Sophonisbe, fille d’Asdrubal, va être promise au prince numide.

Masinissa remporte des victoires sur les armées de Syphax, et ce dernier va être chassé en Mauritanie. Le vaillant prince s’engage dans les guerres carthaginoises en Espagne, auprès de l’armée d’Asdrubal.

A l’insu de son père, Sophonisbe va être donnée en mariage à Syphax, rompant l’engagement avec Masinissa, afin que l’aguellid exilé cesse ses attaques contre Carthage.

Cette trahison, ou rupture de l’engagement, va faire changer à Masinissa de parti, il s’allie à Scipion l’Africain.

A la mort de Gala, c’est son frère Isalac (ou Aesalces selon Tite-Live) qui ne gouverna pas longtemps. Le fils de ce dernier Capusa arrive au pouvoir en l’absence de Masinissa. Un prince numide nommé Mezetal tue le nouveau roi.

A son retour au pays natal, Masinissa organise la guerre contre Mezetal et Syphax. Il connaît des défaites. Grièvement blessé par ses ennemis, il est donné pour mort, emporté par une rivière.

A la tête de 2000 numides, dans les rangs de l’armée de Scipion l’Africai, Masinissa retrouve son énergie de combattant. Il remporte des victoires sur Asdrubal et Syphax. Les Romains vont le récompenser, en lui octroyant des terres limitrophes à Carthage.

Son règne dure 52 ans, plein de guerres contre les Carthaginois et leurs alliés. Il est derrière la destruction de Carthage.

(2) Salluste écrit : «Au discours de ces envoyés (romains), Jugurtha répondit que rien n’était plus cher et plus sacré pour lui que l’autorité du sénat ; que, dès sa plus tendre jeunesse, il s’était efforcé de mériter l’estime des plus honnêtes gens ; que c’était à ses vertus, et non pas à ses intrigues, qu’il avait dû l’estime du grand Scipion…» (XXII)

(3) Bouchenaki Mounir, «Jugurtha, un roi berbère et sa guerre contre Rome», in Les Africains, tome 4, sous la direction de Charles-André Julien et Magali Morsy, Catherine Coquery-Vidrovitch, Yves Person, Editions J.A., Paris : 1977, reproduit dans www.mondeberbère.com

«Salluste a donc eu à exercer une responsabilité sur ce territoire pendant plus d’un an et demi. Lorsqu’il en parle, à propos de la guerre de Jugurtha, on peut supposer qu’il a une certaine familiarité avec le pays, même si ça et là on note quelques erreurs. Cependant un certain nombre de questions se posent à propos du sujet qu’il a choisi de traiter alors que près de soixante-dix ans s’étaient écoulés depuis la fin de la guerre et qu’il n’a pu, par conséquent, utiliser des témoignages oraux.»

(4) Ajoutons que saint Augustin parle de Marius, Metellus, Sylla et d’autres protagonistes de la guerre de Jugurtha dans son chef-d’œuvre La Cité de Dieu, mais ne se réfère point explicitement au résistant numide Jugurtha, son compatriote !

Il écrit : «Marius, homme nouveau et obscur, fauteur cruel de guerres civiles, fut porté sept fois au consulat et mourut, chargé d’années, échappant aux mains de Sylla vainqueur» (Livre II, chapitre XXIII)

(5) Ronald Syme & Pierre Robin, Salluste, traduction Pierre Robin, Presses Universitaires Franche-Comté, 1982, volumes 282-284.

«La Guerre de Numidie eut son origine dans les relations entre le gouvernement romain et une dynastie indigène. Les rapports reposaient sur la clientèle plutôt que sur un traité, et ils étaient compliqués par des liens personnels entre la dynastie et certaines familles des classes dirigeantes romaines.» (p.121)

(6) Notre travail se base sur la traduction de Charles Durozoir : Œuvres Complètes de Salluste, Garnier Frères, libraires-éditeurs, Paris, 1865.

(7) Gsell écrit dans Histoire ancienne de l’Afrique du nord : «Aussi, nous est-il assez malaisé de rétablir la suite chronologique des faits qui nous sont présentes, et impossible de reconstituer l’ensemble des opérations militaires, en les plaçant dans leur milieu géographique. D’autres textes nous permettent de constater l’omission par Salluste d’un événement qui nous parait fort important : la perte de Cirta, dont Metellus s’était emparé en 108, et qui en 106 n’appartenait plus aux Romains.»

(8) Montesquieu accorde une place aux guerres numides. L’auteur français écrit à propos de la grandeur «arrogante» des Romains : «Comme ils ne faisaient jamais la paix de bonne foi, et que, dans le dessein d’envahir tout, leurs traités n’étaient proprement que des suspensions de guerre, ils y mettaient des conditions qui commençaient toujours la ruine de l’état qui les acceptait.» (Montesquieu, Œuvres Complètes, tome 7, Grandeur des Romains, Paris, 1822, pp.67-68)

«Quelquefois ils traitaient de la paix avec un prince sous des conditions raisonnables ; et, lorsqu’il les avait exécutées, ils en ajoutaient de telles, qu’il était forcé de recommencer la guerre. Ainsi, quand ils se furent fait livrer par Jugurtha ses éléphants, ses chevaux, ses trésors, ses transfuges, ils lui demandaient de livrer sa personne ; chose qui, étant pour un prince le dernier des malheurs, ne peut jamais être une condition de paix».» (Montesquieu, Œuvres Complètes, tome 7, Grandeur des Romains, Paris, 1822)

Livrer les éléphants et les chevaux, les garnisons aux Conquérants, brûler les armes et les vaisseaux, payer des taxes… sont les impositions des seigneurs aux barbares.

(9) M. Charpentier, «Etude sur Salluste» in Œuvres Complètes de Salluste, Garnier Frères, libraires-éditeurs, Paris, 1865

(10) Diodore de Sicile parle de la négociation qui va être fatale pour Jugurtha : «Des cinq ambassadeurs que le roi de Mauritanie avait envoyés à Utique, trois partirent pour Rome avec Octavius Ruson ; les deux autres retournèrent vers leur maître, à qui ils n’oublièrent pas de faire le récit de la manière généreuse dont Sylla en avait usé à leur égard. Leurs conseils achevèrent de décider l’esprit du roi, déjà fort en balance, à faire sa paix en livrant Jugurtha, puisque Marius ne voulait entendre à aucun traité sans cette condition. Bocchus, pour se rendre plus sûrement maître de la personne du roi numide, renforça son armée, sous prétexte d’en envoyer une partie contre les Ethiopiens occidentaux, de qui les Maures avaient reçu quelque insulte. Il envoya en effet faire une course sur les terres de cette nation, qui habite le mont Atlas, et qui est fort différente des Ethiopiens orientaux. Iphicrates, à propos de cette expédition, raconte des choses fort extraordinaires sur les curiosités naturelles de ce pays-là ; il rapporte que les Maures y virent des chameaux-léopards, des serpents appelés par les naturels thises, gros comme des éléphants et de la figure d’un taureau (c’est peut-être le céraste ou serpent cornu) ; des roseaux si gros, qu’un seul de leurs noeuds contenait huit pots d’eau (ce sont des cannes de bambou); et une espèce d’asperge beaucoup plus grosse que toutes celles que l’on connaît ; et dont le roi Bocchus fit présent à sa femme».»

(11) M. Charpentier, «Etude sur Salluste» in Œuvres Complètes de Salluste, Garnier Frères, libraires-éditeurs, Paris, 1865, p.IV

(12) M. Charpentier, «Etude sur Salluste» in Œuvres Complètes de Salluste, Garnier Frères, libraires-éditeurs, Paris, 1865, pp.V-VI

(13) Les textes de Salluste ne sont pas nombreux. Il faut citer Historiarum libri quinque (cinq livres d’histoires) qui traite des années entre 675 et 687, avec une introduction sur les mœurs et la constitution romaine, et un chapitre sur la guerre civile entre Marius et Sylla. Puis, il y a Catilina ou Bellum catilinariumtournant autour de la conjuration de Catilina contre Cicéron en -63. Enfin, citons Histoires Dans ce dernier, il parle de Rome entre les années -78 et -67, précisément de la mort de Sylla jusqu’à la victoire de Pompée contre les pirates.

(14) «Jugurtha, l’homme le plus scélérat que la terre ait porté» (XIV)

(15) «Tant que Carthage a subsisté, nous pouvions nous attendre à toutes ces calamités : nos ennemis étaient à nos portes ; vous, Romains, nos amis, vous étiez éloignés : notre unique espoir était dans nos armes. Depuis que l’Afrique est purgée de ce fléau, nous goûtions avec joie les douceurs de la paix, nous n’avions plus d’ennemis» (XIV)

(16) «Micipsa fut père d’Adherbal et d’Hiempsal ; il fait élever dans son palais, avec la même distinction que ses propres enfants, Jugurtha, fils de son frère Manastabal, bien que Masinissa l’eût laissé dans une condition privée, comme étant né d’une concubine.» (V)

(17) «Tout homme nouveau, quels que fussent sa renommée et l’éclat de ses actions, paraissait indigne de cet honneur : il était comme souillé par la tache de sa naissance.» (LXIII)

(18) Il nous paraît que la fantasia est une forme de cette cavalerie numide…

(19) «par leurs promesses, ils excitaient l’ambition de Jugurtha, qui n’était pas petite, lui répétant que, si Micipsa venait à mourir, il serait seul roi de Numidie : son mérite emporterait tout, et d’ailleurs, à Rome, tout était à vendre.» (VIII)

(20) «Micipsa fut d’abord charmé de ces premiers succès, dans l’idée que le mérite de Jugurtha ferait la gloire de son règne : bientôt, quand il vint à considérer, d’une part, le déclin de ses ans et l’extrême jeunesse de ses fils, puis, de l’autre, l’ascendant sans cesse croissant de Jugurtha, il fut vivement affecté de ce parallèle, et diverses pensées agitèrent son âme. C’était avec effroi qu’il songeait combien par sa nature l’homme est avide de dominer et prompt à satisfaire cette passion ; sans compter que l’âge du vieux roi, et celui de ses enfants, offriraient à l’ambition de ces facilités qui souvent, par l’appât du succès, jettent dans les voies de la révolte des hommes même exempts d’ambition. Enfin, l’affection des Numides pour Jugurtha était si vive, qu’attenter aux jours d’un tel prince, eût exposé Micipsa aux dangers d’une sédition ou d’une guerre civile.» (VII)

(21) Le Comte de Ségur, Œuvres complètes, Tome 2 : Histoire romaine, Libraire-Editeur Alexis Eymery, Paris, 1828

«Hiempsal s’étant ensuite retiré dans la ville de Thermida, quelques émissaires de Jugurtha, au moyen de fausses clefs, introduisirent dans la maison du jeune roi des soldats qui lui coupèrent la tête.» (p.48)

(22) «On décréta que dix commissaires iraient en Afrique partager entre Jugurtha et Adherbal les Etats qu’avaient possédés Micipsa.

(…) Dans le partage de la Numidie entre les deux princes, les provinces les plus fertiles et les plus peuplées, dans le voisinage de la Mauritanie, furent adjugées à Jugurtha ; celles qui, par la quantité des ports et des beaux édifices, avaient plus d’apparence que de ressources réelles, échurent à Adherbal.» (XVI)

(23) Constantine. D’ailleurs, Salluste va parler du lieu comme une ville maritime : «Les deux armées s’arrêtent non loin de la mer, près de la ville Cirta» (XXI)

Un peu plus loin : «Parmi ceux qui s’étaient réfugiés avec lui dans Cirta, il (Adherbal) choisit deux guerriers intrépides, et autant par ses promesses que par la pitité qu’il sait leur inspirer pour son malheur, il les détermine à gagner de nuit le prochain rivage à travers les retranchements ennemis, et à se rendre ensuite à Rome.» (XXIII)

(24) Diodore de Sicile, Histoire, XXXIV

(25) Le Comte de Ségur, Œuvres complètes, Tome 2 : Histoire romaine, Libraire-Editeur Alexis Eymery, Paris, 1828, pp.54-55

(26) «Il obtempéra à l’avis des Italiens, et se rendit. Jugurtha fait tout aussitôt passer au fil de l’épée tous les Numides sortis de l’enfance, et les Italiens indistinctement, selon qu’ils se présentaient à ses soldats armés» (XXVI).