Claude Cornu, l’homme qui a immortalisé Inurer et ses habitants!
Vous êtes nombreux à avoir été époustouflés par la beauté de ces clichés pris au cœur des Aurès à la fin des années 50. Vous êtes des dizaines de milliers à avoir « aimé », « commenté » ou « partagé » ces belles photos sur les réseaux sociaux. Vous vous êtes certainement posé les questions suivantes, qui les a prises ? quand ? et où ont-elles été prises ? Nous allons vous raconter leur histoire extraordinaire!
Claude Cornu né à Tours en 1935, à l’âge de 23 ans, il est appelé en Algérie pour son service militaire. Dans ses bagages, il avait emporté boites de peintures, crayons, pinceaux et appareil photo, bien décidé à ne pas faire la guerre, bien décidé à ne pas tuer son prochain. Par chance, il a été affecté dans une compagnie de commandement, la CCAS du 10ème Bataillon de Chasseurs à pied à Inurar (Nouader), dans la vallée des Aith Abdi, dans les Aurès.
Claude a vécu deux ans à Inurer de septembre 1958 à septembre 1960. À peine arrivé, une corvée d’eau lui fait découvrir les habitants du village perché sur la montagne, travaillant tranquillement dans les jardins de la vallée. Dès lors il n’aura de cesse de vouloir les connaitre et en savoir davantage sur le style de vie et les coutumes des chaouis. Pour ce faire, il profitera des siestes pour sortir du camp en cachette.
Ses premiers interlocuteurs seront des enfants, il aura dans ses poches, pain, chocolat, bonbons mais aussi carnet de croquis et appareil photo, jusqu’au jour où le Commandant Archier, chef de la compagnie à laquelle appartient Claude, découvrira ses sorties. Coup de théâtre, au lieu de le punir, il lui proposa quelques jours plus tard, de faire la classe aux enfants dans le village. Cette proposition est évidemment acceptée avec enthousiasme, les enfants, garçons et filles apprendront à lire, écrire, compter et même à dessiner, le matériel étant fourni par des associations de Touraine. En échange les enfants lui apprennent leur manière de vivre, leurs coutumes et quelques mots en Chaoui. Plus de 90 élèves s’étaient inscrits pour suivre les cours qui avaient lieu tous les jours de la semaine, sauf le vendredi, dans une salle de prière de la mosquée de Inurer.
En 1960, Claude quitta Inurer, ce fût une épreuve pour les enfants comme pour leur « instituteur ». Deux ans plus tard ce sera l’Indépendance de l’Algérie, les contacts avec les anciens élèves s’arrêteront peu à peu et ne seront plus renoués. C’est en 2009 que Mansour, un jeune homme de Inurer, tomba sur l’appel lancé par Claude sur internet, ce dernier cherchait encore à savoir ce que sont devenus ses élèves. Mansour, diffuse la nouvelle dans son village « Claude est retrouvé !!! », les anciens élèves se sont manifestés et ont pris contact avec leur ancien « instituteur » pour organiser une rencontre.
En 2010, soit cinquante années après l’avoir quitté, Claude retourne à Inurer où il est chaleureusement accueilli par tous les habitants du village, se sont suivies deux autres visites en 2014 et 2015.
Claude cornu, exposera en 2009 au centre Nelson Mandela à Besançon, ses clichés et ses croquis en collaboration avec l’association “Germaine Tillion”. Ci-dessous, un petit résumé, fait par Nelly Forget, de cette exposition intitulée “Un village dans les Aurès : NOUADER 1958 – 1960”.
« Les photos que Claude Cornu a prises à Inurar (Nouader) entre 1958 et 1960 auraient pu l’être vingt ans plus tôt par Germaine Tillion qui avait vécu et circulé en Algérie dans le même massif des Aurès, à la fin des années 30. Dans les clichés de l’un et de l’autre, on retrouve les mêmes impressionnantes maisons de pierre, les mêmes sentiers escarpés, les mêmes pieds nus ou chaussés arpentant ces sentiers, les mêmes regards confiants, les mêmes sujets se livrant sans réticence à l’objectif. Sa grande devancière, sillonnait en ethnologue au pas de son cheval un pays en paix, au rythme des mariages, des circoncisions ou des pèlerinages, principaux événements qui scandaient alors la vie de la tribu dont elle avait choisi de partager l’existence plusieurs années durant.
Claude Cornu n’avait pas choisi, lui, d’avoir 20 ans dans les Aurès et d’y faire la guerre. Mais en revêtant l’uniforme des appelés, il s’était juré de ne jamais tuer. Les circonstances l’aidèrent à tenir cet engagement. À Inurar, au camp militaire français, en contre-bas du village chaouï de Inurar, il fut d’abord affecté à des tâches administratives, puis, après des escapades réitérées au bord de l’oued pour y rencontrer les plus accessibles des habitants, les enfants, il reçut l’ordre de mettre en oeuvre ce pour quoi il avait d’abord été sanctionné : s’occuper des enfants en leur faisant l’école.
Voici donc les fillettes et les garçonnets qu’il eut pour élèves pendant deux ans. Les voici à la sortie de la modeste bâtisse qui leur servait de salle de classe, les voici dans les champs où ils aident au labour ou gardent les bêtes, dans les rues du village dont l’étagement audacieux se dessine en arrière-plan, sur les chemins de l’école à la maison, et bientôt les voilà à l’intérieur des maisons dont peu à peu, les portes se sont ouvertes.
Alors apparaissent les femmes, elles qui d’habitude s’enfuyaient pour se cacher à l’approche des militaires. Dans leurs travaux quotidiens, à la maison ou dans les champs, elles se montrent sérieuses ou rieuses, moqueuses même, complices en tout cas de celui qui les photographie. Les connaisseurs souligneront la valeur des clichés, la pertinence de leur cadrage, et leurs autres qualités techniques. Ce qui domine de mon point de vue et m’émeut aux larmes, c’est la qualité des relations humaines dont témoignent ces photos prises dans un contexte de guerre qui aurait dû engendrer méfiance et contrainte, peur et hostilité, soupçon et dissimulation. Or aucun cliché n’apparaît capté à la dérobée. Tous les sujets sont pris frontalement, regardant sans gêne celui qui les « mitraille », prenant parfois la pose – ce qui a été indispensable pour les croquis et les gouaches qui complètent la collection – et offrant le plus souvent un large sourire, celui de la confiance.
Quelle confiance il a fallu à Claude Cornu pour s’aventurer sans protection dans des endroits réputés dangereux à juste titre et où ses compagnons d’armes n’imaginaient pas aller autrement qu’en commandos.(il était accompagné, il est vrai, par les meilleurs des ambassadeurs, les enfants). Quelle confiance lui a été faite par le village pour lui confier précisément ses enfants (90 inscriptions dès le 1er jour de classe!), pour le laisser circuler partout, entrer dans les maisons, participer aux fêtes familiales, au risque d’introduire un espion dans leur intimité.
Cinquante ans plus tard, Claude Cornu s’interroge sur le bilan de ces deux années « Je me suis toujours demandé ce que ce court apprentissage avait pu leur apporter. Inurar m’a sans doute oublié ». La réponse lui vient, grâce à Internet qui lui a permis d’envoyer à Inurar les photos que vous allez admirer à votre tour.
“Ce ne sont pas de simples photos. C’est un trésor !” Elles ont fait “événement à Inurar” et alimentent “le discours public ; on ne cesse de parler de vous”. Pas seulement ceux qui furent ses élèves, mais aussi leurs descendants : ”La mémoire a été transmise. Ils ont fait entendre à toute la génération venue après, celle qui pianote sur l’ordinateur et qui sert de relais. “Le 2ème à droite, sur la photo de classe des moyens et des petits, c’est mon frère aîné qui était à l’époque un de vos élèves…Même mon oncle est présent sur l’aire de battage… Ici, c’est Louiza, la tante de ma femme. Et Bahia, et Srrira et Khadidja”…. Claude Cornu n’a pas photographié des prototypes anonymes d’élèves chaouïs ; chaque portrait porte un nom, celui d’une personne qui aujourd’hui peut regarder sans déplaisir l’image de son passé… »
Cette galerie a été ré-exposée en 2010 à Besançon et à Vesoul, en 2011 à Besançon, à Plouhinec et à Montreuil, en 2012 à Paris Bibliothèque Germaine Tillion.
Claude Cornu travaille depuis des années sur le projet d’un livre illustré (photos et croquis), dont le titre est « Destination inconnue » où l’auteur revient sur son histoire, son amour pour les Aurès et l’amitié qui le lie toujours aux habitants de Inurer. Le livre rend hommage également à des coutumes un style de vie qui tendent à disparaître de nos jours. En effet, l’arabisation et l’islamisme sont passés par le pays chaoui, il serait impossible à Claude Cornu de réaliser les mêmes clichés aujourd’hui!
Bien que prêt, ce livre n’a pas encore vu le jour, faute de maisons d’édition pour réaliser ce projet. L’appel est donc lancé aux éditeurs algériens/français qui souhaitent donner une nouvelle vie à une partie de notre patrimoine. Pour le contacter, vous pouvez visiter son site en cliquant ici
Merci Claude Cornu!
Bassem ABDI