«C’est le début de quelque chose pour les Aurès»
Vous rentrez de Barcelone, quelle appréciation faites-vous de la rencontre de La Salle à laquelle vous avez participé ?
Après une première rencontre organisée récemment par l’université de Murcia (Espagne, ndlr), où il y a eu un échange très important qui nous a permis de faire découvrir le patrimoine des Aurès, cette rencontre de Barcelone nous a permis d’avoir une meilleure perception de l’intérêt porté surtout par les institutions universitaires, en particulier les écoles d’architecture, au patrimoine vernaculaire algérien, parce qu’en plus du patrimoine aurésien, objet de cette journée, nous avons abordé des aspects du patrimoine algérien, dont l’architecture du M’zab et de La Casbah d’Alger. Nous avons pu échanger sur la problématique et les difficultés du patrimoine traditionnel algérien, et ensuite faire connaître les Aurès et l’architecture aurésienne pour intéresser le monde universitaire à cette architecture. C’est l’un des objectifs que nous nous sommes fixé avant de partir et je crois que nous sommes parvenus à des résultats importants.
Concrètement, qu’est-ce qui a été décidé entre les deux parties ?
En plus de son passage pendant dix jours dans le hall de l’Ecole La Salle, nous avons convenu que l’exposition de photos sur les Aurès, réalisée par Kaïs Djilali, soit placée dans un lieu grand public, à savoir la célèbre librairie Altaïr, située au cœur de Barcelone, qui est une librairie spécialisée dans le voyage et destinée au public à la recherche de destinations et d’équipements qui vont avec. Pour nous, il s’agit là d’un bond qualitatif pour faire connaître notre région en passant d’un public spécialisé au grand public espagnol et même international. L’autre point très important, c’est l’accord passé avec l’association partenaire de l’événement, Rehabimed, qui est une association internationale présente dans 40 pays méditerranéens.
L’accord vise à monter en juillet prochain le premier atelier international d’architecture à Rhoufi. Nous avons déjà eu l’accord de participation de plusieurs universités européennes, notamment La Salle et une autre université de Barcelone, les universités italiennes de Palerme et Gagliari en plus de l’Institut d’architecture de Batna. Nous sommes ainsi passés à quelque chose de durable. L’atelier sera organisé en deux sessions, et à chaque fois, nous allons aborder une partie de l’architecture des Aurès, en particulier celle de Ighzer Amellal (Oued Labiod).
Nous avons l’impression que ce travail qui avance par petites touches fait partie d’une stratégie bien établie…
L’association a concentré ses efforts dès sa création sur le monument du Medghacen. Nous considérons que la prise en charge de ce monument est en très bonne voie aujourd’hui, parce que notamment il y a cet accord avec l’Union européenne et nous sommes à une étape de l’étude qui a été validée et nous allons passer en 2018 à un accord pour le renforcement du bâtiment. Maintenant, l’association se focalise sur une autre région qui a une importance capitale dans le patrimoine aurésien, qui est la vallée de Ighzer Amellal, ainsi que la vallée de Ighzer n’ah Abdi (Oued Abdi) et Lqenderth (El Kantara). Nous allons commencer par un projet pilote sur cette région, celui du Centre d’interprétation culturelle (CIC), au mois d’avril, avec des partenaires institutionnels et ceux issus de la société civile, pour créer ce premier centre du genre dans la région, à Rhoufi, précisément.
Nous avons aussi initié un deuxième projet avec une association partenaire, qui est l’AASPPA (Association algérienne de sauvegarde et de promotion du patrimoine archéologique, ndlr) pour la restauration d’un grenier collectif, toujours à Rhoufi. Actuellement, nous sommes en phase de réflexion avant d’engager l’étude en juillet prochain et la troisième action vise à faire adhérer les universitaires d’Europe pour travailler sur la région et nous aider à trouver des solutions pour restaurer des pans de ce patrimoine de notre histoire. Effectivement, il s’agit d’une stratégie globale qui va peut-être engager des gens à investir dans le tourisme, notamment l’infrastructure ou encore des activités comme les sports extrêmes.
Avant de dessiner votre vision et d’élaborer cette stratégie, quels sont les besoins que vous avez dégagés ?
L’association travaille déjà avec les habitants de ces localités et les associations locales. Ce travail a commencé déjà l’année dernière lors de la journée de réflexion sur le classement de la vallée de Ighzer Amellal, les priorités et le comment du lancement du tourisme dans la région. Au terme de cette rencontre, il y a eu des recommandations faites par les experts et les partenaires, et ce que nous récoltons aujourd’hui est en fait l’aboutissement de ce travail commencé en 2016.
On s’est dit qu’on va se focaliser sur deux ou trois points et c’est comme ça que les choses vont aller doucement. D’abord, lancer le CIC qui peut être le cœur du développement touristique dans la région. Vous savez, les gens viennent dans cette région visiter les sites connus, mais ils ne connaissent rien sur les différents aspects de ce patrimoine qui a 2000 ans d’histoire, et le rôle de ce centre est justement de combler ce vide et offrir au visiteur le moyen de saisir le site visité et mieux comprendre ses aspects.
Mais vous ne disposez pas de documents suffisants, ce site a été très peu étudié…
Oui, en effet, et c’est le principal objectif de cet atelier qui va réunir 50% de spécialistes étrangers de l’architecture et 50% d’Algériens, qui vont travailler ensemble pendant dix jours sur des sujets que l’association va fixer. Ce qui va permettre aux participants d’approfondir les travaux, notamment les jeunes, qui pourraient plus tard consacrer leurs thèses au sujet, ce qui va nous permettre d’avoir des publications sur cette région, que ce soit fait par les Algériens ou les étrangers, et ce n’est qu’à travers ces études universitaires poussées qu’on pourra avancer et faire des travaux sérieux, que ce soit dans le développement social, la restauration des monuments, etc.
Avec l’intervention et l’implication des universitaires étrangers, espérez-vous un transfert de savoir-faire en matière de restauration et mise en valeur du patrimoine national ?
L’avantage que nous avons avec notre partenaire Rehabimed, c’est qu’il a une expérience de plus de 20 ans, et qu’en plus de son expérience en Méditerranée, il a travaillé à Dellys et Ghardaïa, c’est-à-dire qu’il a une maîtrise de la problématique du patrimoine algérien. On l’a dit lors de cette conférence, l’intérêt du Corbusier pour le M’zab dans les années 1960/70 a ouvert un chantier extraordinaire dans le M’zab, en plus de l’intérêt d’architectes de renom, dont André Ravéreau et d’autres, ce qui a permis de préserver l’architecture de cette région, d’une part, et d’autre, son classement au patrimoine mondial.
Pour moi, c’est le début de quelque chose pour les Aurès. A travers cet atelier international, nous allons voir défiler des experts internationaux qui vont venir bénévolement travailler et encadrer des architectes algériens, ce qui risque d’aboutir dans dix à vingt ans sur une bonne prise en charge des trésors de cette région et pourquoi pas, son classement au patrimoine mondial. Ce que beaucoup ignorent, c’est que les vallées des Aurès sont inscrites depuis 1982 sur la liste indicative du patrimoine mondial, mais depuis ce temps, nous n’avons rien fait. Alors là c’est une opportunité pour reprendre ce dossier avec des partenaires algériens et étrangers.
On a l’impression qu’une grande porte est en train de s’ouvrir, mais quelle est la place de l’Etat à travers le ministère de la Culture dans cette dynamique nouvelle ?
En tant que société civile, je dois dire que nous sommes vraiment déçus, car le premier secteur touché quand il y a une crise économique, c’est celui de la culture. Depuis deux ans, la réduction des budgets consacrés à la culture a atteint 70%, je crois. La société et les gouvernants ne semblent pas conscients que la crise économique des années 1980 est à l’origine des conséquences que tout le monde connaît ; ceci parce que en réponse à la crise, on a choisi de réduire les budgets de la culture, et à un moment donné, on a même supprimé le ministère de la Culture.
Nous avons vu ensuite une autre culture, celle de l’idéologie islamiste, prendre la place. Nous avons mis plus de 20 ans pour en sortir, mais je crains qu’aujourd’hui on refasse les mêmes erreurs. N’est-ce pas dramatique ? En tant que société civile, on a dit que nous allions réaliser des infrastructures culturelles, et nous n’avons pas besoin de milliards pour ça. Si on réussit à monter et financer ce centre d’interprétation culturelle, il peut devenir un modèle pour d’autres régions et d’autres acteurs de la société civile. On n’a rien demandé à l’Etat jusqu’à maintenant, mais on pourrait le solliciter comme appoint.
Cela dit, ce travail ne peut voir le jour qu’avec l’adhésion de tous les partenaires, que ce soit des institutions publiques ou privées. Notre premier partenaire, c’est la direction de la culture de Batna, qui nous a toujours encouragés, et aussi d’autres institutions financières, dont l’ADS (partie prenante du projet du centre), l’Angem ou encore les communes concernées, notamment celle de Ghassira qu’on remercie beaucoup pour avoir mis à notre disposition les locaux de Rhoufi où sera réalisé le CIC. Ainsi, ce n’est plus l’Etat qui prend en charge seul un projet, mais un ensemble d’intervenants.
Un dernier mot …
Nous souhaitons l’adhésion des universitaires à cet atelier international d’architecture qui peut rassembler des étudiants algériens et peut,par la suite, devenir un sujet de publications.
Nouri Nesrouche
Source : El-Watan