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Algérie : les derniers soldats d’Okba !

La réappropriation identitaire et historique par le peuple algérien, impulsée par le mouvement de dissidence populaire  (Hirak) depuis un an, peut être considérée comme le fait majeur de l’histoire contemporaine de notre pays.

C’est un acquis qui a bousculé les préjugés et mis a nu les manipulations historiques et culturelles construites depuis longtemps par un système politique néo-FLN baâthiste illégitime. Le peuple algérien a redécouvert son unité dans la mobilisation citoyenne et pacifique. Le pays n’était  donc pas un agglomérat « de religions, de langues et de tribus » comme l’ont décidé certains.

Beaucoup d’Algériens, dans toutes les régions de l’immense territoire national d’Annaba à Tlemcen, sont surpris parfois de découvrir qu’ils sont issus d’une histoire multimillénaire, une histoire faite de longues luttes et de sacrifices pour ne plus vivre, à chaque fois, sous le joug colonial.

Cette libération nationale, non encore gravée dans les textes fondamentaux de l’État (nouvelle constitution) constitue le pivot de la concrétisation des revendications du Hirak.

Les manœuvres en cours menées par le reliquat du système, dans sa tentative de régénération, sont porteuses de dangers réels pour notre pays.

Ainsi, lorsque Abdelmadjid Tebboune déclare le 16 février 2020 : «Aucune restriction dans la révision constitutionnelle hormis ce qui a trait à l’unité et à l’identité nationales », il revendique le maintien de la forfaiture historique et le déni qui ont produit justement le mouvement de contestation de février 2019 et le ‘’dégagisme’’ revendiqué par des millions de manifestants.

Les manifestations de ce vendredi 21 février viennent de le confirmer partout dans le pays. Le système politique algérien est toujours en retard d’une révolution.

Les tentatives actuelles pour domestiquer le Hirak, qui est une forme de dépossession des revendications du peuple pour les détourner, en caressant dans le sens du poil avec un langage hypocrite (« hirak béni »), en instaurant la journée du 22 février comme journée nationale chômée et payée (sic!), ou en recrutant demain au gouvernement quelques-uns des animateurs du mouvement ou des prisonniers politiques libérés, pour faire plus vrai, montrent que ceux qui sont aux commandes ne comptent pas passer la main. Ils sont toujours dans la roublardise et la guerre des clans pour perpétuer le système.

Cette violence multiforme de l’État est objectivement complice des forces marginales qui s’opposent aujourd’hui au mouvement de libération nationale de février 2019.

Leur socle commun est l’idéologie arabo-islamique qui a squatté l’État algérien depuis 1962, notamment par le fait du duo Boumediène–Ben Bella. Pour mémoire, lors de l’élaboration de l’avant-projet de la charte nationale en 1976, leurs idéologues avaient même contesté l’existence de la nation algérienne. Pour eux, l’Algérie « n’est qu’une partie de la nation arabe» !

Toutes les forces politiques conservatrices dans le néo-FLN (appelé aussi ‘’barbe-FLN’’), ses satellites occasionnels comme les partis islamistes, se positionnent tous dans cette idéologie arabo-islamique négatrice de la réalité historique et culturelle de l’Algérie et de l’Afrique du Nord. Ils considèrent ‘’la fin de l’histoire’’, consacrée par la victoire des soldats d’Okba Ibn Nafaâ après l’invasion militaire de l’Afrique du Nord au 7e siècle, la destruction du pays et la déportation de dizaines de milliers de jeunes femmes amazighes, vendues comme esclaves sexuelles sur les marchés de Damas et de Baghdad (1).

Les quelques nuances ou réserves constatées ici et là ne sont que de la cosmétique pour cacher l’essentiel :

Le néo-FLN fait de la surenchère nationaliste tout en baignant dans l’arabo-baâthisme, notamment par le contrôle de l’éducation nationale et de la justice.

Les mouvements islamistes louvoient depuis toujours pour pouvoir pénétrer l’État, par opportunisme.

Même l’organisation terroriste AQMI joue la tromperie, se définissant ‘’Al Qaida au Maghreb Islamique’’, mais réellement Maghreb arabo-islamique, pour ratisser large et pouvoir mobiliser les ‘’indigènes’’ nord-africains et africains.

Certains mouvements ou associations islamistes revendiquent le qualificatif de ‘’djezzara’’ (algérianiste). C’est un non-sens ; on ne peut être en même temps islamiste et nationaliste, patriote. C’est une contradiction philosophique. Un islamiste est toujours un militant qui obéit à ses maîtres pour l’édification du grand califat arabo-islamique, dont la tête serait  obligatoirement en Orient (2). Certains y voient des différences d’approche ou doctrinales entre les islamistes pro-saoudiens, pro-qataris, pro-émiratis ou autres versions des frères musulmans. Mais c’est toujours la même nuisance et au final le même but : la destruction, la mise sous tutelle ou la vassalisation de l’État national.

Dans cette stratégie permanente de dissimulation de nature coloniale et impérialiste, seule l’organisation terroriste tunisienne ‘’Djound Okba Ibn Nafa’’ / les soldats d’Okba Ibn Nafaâ (3) a joué l’honnêteté. Il s’agit pour eux de reprendre le combat des foutouhates, les grandes conquêtes arabo-islamiques de l’armée d’Okba Ibn Nafaâ qui a envahi l’Afrique du Nord au 7eme siècle. Ce mouvement terroriste minoritaire est rejeté radicalement par la société tunisienne.

Le tsunami populaire algérien du mouvement pacifique de février 2019, dans sa volonté de réappropriation historique et identitaire, dans une unité nationale forte, respectueuse de la diversité, continue de provoquer des réactions de desperados des derniers soldats d’Okab Ibn Nafaa.

Ceux-ci restent minoritaires et se comportent jusqu’à maintenant en snipers politiques (4), versant souvent dans l’opprobre et le racisme. Cette position de repli et de défense est un indicateur infaillible qui prouve le caractère minoritaire d’un combat d’arrière-garde.

La dernière déclaration d’Abdelmadjid Tebboune citée plus haut, imposant ‘’une ligne rouge’’ à propos de son projet de constitution, est-elle encore une nouvelle roublardise qui s’inscrit dans cette perspective conservatrice condamnée par l’Histoire ?

Aumer U Lamara. Physicien, écrivain

Notes :

(1) El Mas’ûdî (Ali Ibn Husin), géographe et historien arabe du 9eme et 10eme siècle (né en 896 à Damas, décédé en 956 au Caire), cité par Ibn Khaldoun dans son histoire des Berbères, édition Berti. L’information a été déjà repise par Ahmed Assid (Youtube) et Amin Zaoui.

(2) Après la prise de Mossoul par DAECH en 2014, l’ex. chef El Baghdadi avait dirigé la prière du 4 juillet 2014 dans la mosquée El Nouri. Il avait alors demandé à tous les musulmans du monde de prier désormais en s’orientant vers Mossoul… devenue un temps la nouvelle Mecque islamique par la force des armes de l’EI.

(3) Djound Okba Ibn Nafaa et Djound El Khalifa, des organisations islamistes terroristes tunisiennes, toutes affiliées à l’EI (Etat Islamique). Djound Okba Ibn Nafaa est active dans l’ouest tunisien, principalement au Mont Chaamba, à Kesserine et à Kef. Le 10 juillet 2018 Djound Okba Ibn Nafaâ avait  attaqué la ville de Jendouba. 6 gardes communaux ont été tués. La Tunisie avait officiellement accusé un pays du Golfe (Qatar) d’être le commanditaire de l’agression. Le responsable de ce groupe terroriste a été abattu en octobre 2019.

(4) Exemples parmi d’autres de la sinistre députée islamiste Naïma Salhi, ou la/le responsable d’un établissement d’enseignement à Biskra qui veut imposer le port du voile islamiste à une enseignante…

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