Algérie : « Beverly Hills (1) à… Tizi Ouzou !»
“Ad nemlil azekka di Café des Braves !” (on se retrouve demain matin au …).
Banal rendez-vous entre deux amis dans une petite ville… d’Algérie. Ce n’est pas à Paris, contrairement au nom du lieu de rendez-vous !
On peut multiplier par milliers cet exemple d’enseignes de magasins dans nos villes qui sont totalement déconnectées du contexte algérien. Le lecteur peut consulter en annexe la liste de quelques enseignes vues dans les rues de Tizi Ouzou et d’Alger.
Le commerce a ses règles, et la première est d’accrocher le client pour vendre. Pour cela, toutes les astuces sont utilisées pour capter le regard par l’enseigne et la vitrine : le rêve, le mythe, l’évasion, la beauté, la qualité, l’hygiène, la jeunesse, etc.
L’objectif des enseignes vues à Tizi Ouzou et ailleurs est d’une évidence flagrante : vendre le rêve de l’étranger pour faire vendre la camelote made in China !
L’ensemble des mythes et marques de l’étranger y sont concentrés comme dans un patchwork sorti des écrans de pub des télés occidentales.
Bien évidemment, pas n’importe quel pays étranger, et ceux qui pérorent à propos de la solidarité avec le peuple palestinien ne le traduisent pas dans les faits. Les noms de Jérusalem/El Qods, Ramallah, Gaza, Jabalia, Khan Younes, Rafah… ne s’y trouvent pas. Les affaires sont les affaires et le bazar n’est pas en Palestine mais à Istanbul et l’image des pneus brûlés et des cailloux jetés ça ne fait pas vendre !
Seul le nom d’El Badr (mythe de la bataille des Arabes musulmans contre des Arabes non-musulmans (déjà la guerre civile!)) est parfois utilisé à Alger. Même une banque nationale algérienne utilise ce nom pour acronyme (BADR) !
Dans cette jungle des appellations, on ne respecte même pas les règles juridiques internationales protégeant les marques et modèles et les droits des franchisés. La plupart des grandes enseignes européennes sont ainsi copiées, assurément sans leur autorisation : La Redoute, Kiabi, L’Oréal, King Burger, Simply, Inter Market, Le petit Marseillais, Waikiki, Mario, Chic et Choc, Rivaldi, etc.).
Sur la centaine d’enseignes photographiées, seul un commerçant de Tizi ouzou a refusé que je prenne la photo. Il sait qu’il est dans l’illégalité et n’a donc pas le droit d’utiliser une marque déposée en France (‘’Le Petit Marseillais’’, marque de savons). Alors, un passant qui prend une photographie de sa devanture, c’est forcément suspect.
A un autre, qui a bien accepté que je prenne la photo, je lui ai posé la question à propos de son enseigne : ‘’Marter – habillement Homme’’ ? :
– C’est quoi Marter ?
– C’est une ville de Turquie? (après vérification : le nom de la ville est en fait Güngören Merter. Et ‘’Merter’’ est l’enseigne d’un grossiste en prêt-à-porter à Istanbul). Dans la mentalité de bazar, on ne vérifie même pas l’orthographe des noms qu’on emprunte!
Deux remarques dominantes à propos des enseignes vues :
1. Les enseignes écrites exclusivement en arabe ne sont pas nombreuses et celles qui sont présentes semblent anciennes. Seuls quelques magasins Syriens appliquent le style oriental (et avec une traduction de l’activité en français ou une copie en petits caractères latins).
2. Il y a très peu d’enseignes en tamazight, même à Tizi Ouzou. Situation assez étonnantes chez beaucoup de jeunes commerçants, avec le pendentif aZa amazigh autour du cou, et toujours prêt à en découdre avec ‘’la police coloniale’’ (sic !). A croire que tamazight est seulement une langue de la révolte/révolution mais pas celle du commerce !
Et pourtant c’est le commerce et l’économie le meilleur support pour l’épanouissement d’une langue, à côté de la production culturelle bien évidemment.
3. Il y a une apparition timide de quelques enseignes en langue darija (arabe dialectal), écrites en caractères latins. C’est rare, mais il y en a. Ce sont des expressions courtes comme celles déjà utilisées dans la publicité).
La liberté d’entreprise, et donc de dénomination et de signalisation, ne doit pas être remise en cause. Le pays a trop souffert du caporalisme de l’État et le souvenir de la politique d’arabisation des noms de lieux et des villes (2) des années 1970 est encore frais. Ce qui se passe actuellement dans nos villes est naturellement la réaction du peuple à cette dictature culturelle des barbe-FLN.
Mais l’entrée dans la mondialisation ne doit se faire avec la mentalité de bazar. En toute chose il y a des règles à respecter et la première est l’utilisation en premier des langues officielles du pays, sans restreindre la liberté d’utiliser toute langue étrangère utile pour le commerce (3).
Quand aux mythes nationaux (Tin Hinan, Massinissa, Tariq, Aheggar/Hoggar, Tassili, Akfadou…), personne ne peut prétendre en contrôler l’usage.
Aumer U Lamara, écrivain
Notes :
(1) Beverly Hills est un quartier de la ville de Los Angeles aux USA, où habite la plupart des célébrités d’Hollywood. Hollywood est aussi un autre quartier de Los Angeles où se trouvent les plus grands studios de cinéma.
(2) Arabisation/déformation des noms de villes (Sétif est devenu Stif, Constantine est devenu un temps Kasentina (on arabise le nom de l’empereur romain Constantin au lieu de remettre le vrai nom de la ville, Cirta, ancienne capitale de la Numidie).
Et pourtant l’Afrique du Nord est parmi les régions du monde les mieux cartographiées/répertoriées par une géniale toponymie et hydronymie (nom de lieux et cours d’eau).
Bien avant le massacre des plaques de signalisation, le célèbre Aâmmi Messaoud voulait arabiser l’Algérie à la radio algérienne (RTA) : « ma tqulc lbanan, qul el mawz ! » (ne dit pas banane, dit ‘’el mawz’’ (nom de la banane en arabe littéraire oriental). j’ai découvert récemment que derrière le pseudo Aâmmi Messaoud, ce n’était pas l’envahisseur Egyptien ou Séoudien qui s’y cachait, mais un homme d’un village voisin du mien, en très Haute Kabylie !!!
(3) On a demandé à un japonais : « Quelle est la meilleure langue ? ». Il répondit : « la langue du client » (anecdote rapportée par Mohia).